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27/11/2014

LA FICTION DE L'ÉTAT FRANÇAIS. IL EST MINUIT DOCTEUR PLENEL!

Je vais vous choquer mais je pense que l'État français n'existe plus que comme un mythe entretenu. La situation présente est insoutenable*. Pas intolérable mais insoutenable. Le gouvernement qui représente ledit État, a été progressivement amputé de ses "variables d'action", c'est à dire des leviers qui permettent de réguler le pays. Jusqu'à perdre le contrôle des évènements. Comme disait Moustaki : Pendant que je chantais ma chère liberté - D'autres l'ont enchaînée, il est trop tard!

La première amputation (majeure!) fut celle de la maitrise de la monnaie. N'insistons pas, la chose parle d'elle même. La seconde perte concerne la loi. Quoique moins radicale, nous ne légiférons que subsidiairement sous la férule de Bruxelles. Nos lois demeurent soumises à l'épée de Damoclès  de l'Europe, et peuvent être retoquées lorsque cette dernière "le veut bien". Dernier petit exemple celui des subventions aux éleveurs de taureaux de combat que les eurocrates ont "généreusement" accordées encore cette année. Troisième mutilation, la plus directement sensible, le two packs, un paquet législatif qui renforce les pouvoirs de la Commission Européenne en matière de contrôle sur les budgets nationaux. Concrètement, cela implique que les décisions budgétaires (qui scandent notre quotidien) votées au Parlement sont susceptibles d’être retoquées par l’Union Européenne, si elles ne lui conviennent pas. Elle peut décider des amendes, voire imposer des changements, unilatéralement. Ainsi nous avons vu ces jours derniers, le président de la République, Macron et Sapin aller à Canossa tenter d'expliquer les choix français. La corde au cou, tels des bourgeois de Calais du XXIème siècle. Et accepter de serrer un tour de la vis supplémentaire!  Enfin, la dernière ablation a consisté à nous enlever le droit de financer nous-mêmes le déficit avec l'obligation d'emprunter sur les marchés financiers, aux taux que ces derniers choisissent de nous accorder. On vient de citer des choses afférentes au pouvoir législatif, au pouvoir exécutif, au pouvoir judiciaire, au pouvoir économique (monétaire). A partir du moment ou ces pouvoirs aliénés se trouvent concentrés dans une même instance décisionnaire, il devient très facile à l’exécutif bruxellois d’infléchir les votes parlementaires français (et aussi des autres pays concernés) voire de refuser d'appliquer les décisions "déviantes" (ce qui s’est passé dans le cas de l’accord entre la BCE et l’Irlande).

Voilà pour le dur, le hard, comme on dit aujourd'hui. Arrive ensuite le soft, le «doux pouvoir» (softpower). Les pertes précédentes exigeraient, avec le peu qui reste une capacité décisionnelle ferme et sélective pour faire face à la rengaine libérale qui domine chez nos partenaires "du Nord". Trop de fonctionnaires, trop d'entreprises publiques, trop de codes, trop de normes,… Tout cela est ringard, tout cela freine la croissance, tout cela coûte aux braves gens qui travaillent "pour de vrai" (expression sarkosienne)! Le message et ses éléments de langage s'avèrent très largement relayés par les médias de masse de chez nous et circonviennent les foules au point qu'elles s'y rallient, bon gré mal gré, annihilant ainsi les contre feux potentiels. Et ceux qui font office de dirigeants suivent (voire anticipent). Une sorte d'anémie citoyenne s'installe insidieusement.

Ce tableau se peint pour l'instant en couleurs pastel, avec un certain doigté (sauf pour les Grecs mais on les décrits comme des tricheurs fainéants!). Bientôt via la TTIP (accord commercial UE-USA), et l'AECG (accord commercial UE-Canada) le système sera verrouillé et les contre pouvoirs réduits au stade inaudible. The End!

Alors, honnêtement, objectivement, quelle est la substance du gouvernement français? Que lui reste-t-il sinon de tenter de justifier en façade qu'il fait bien le job (…de Bruxelles!). D'interdire les voix discordantes ou de les tourner en dérision. De jouer avec des réformes improbables comme la taille des régions ou le nombre de métropoles. De faire du yoyo sur des pseudos décisions visant ceux qui sont les plus inorganisés (les vieux, les jeunes, les malades,..) donc les moins dangereux. De racler sans vergogne les fonds de comptes en banque des peu aisés (livret A)… De décider d'autoroutes ou de TGV au profit des grands groupes bétonniers… l'ensemble sans la queue d'un programme cohérent, quelque chose qui ressemblerait à un plan pluriannuel.

A si, il lui reste la guerre! Comme personne en Europe n'est partant pour pacifier le Moyen-Orient et l'Afrique réunis, là s'ouvre une prérogative pour étaler notre latitude décisionnelle. Allons zenfants….

Sinon, comment s'occuper dans cette fiction étatique vidée de substance? La tragédie actuelle de la zone euro est l’esprit de résignation par lequel les partis de l’establishment du centre-gauche et du centre-droit font dériver l’Europe vers l’équivalent économique d’un hiver nucléaire. Pour le moment, les gouvernements européens continuent à jouer à "durer et faire semblant"**. En se chamaillant, en s'invectivant, en se trahissant,… au jour le jour comme une armée sans objectif. En préparant les prochaines élections, les prochaines primaires, les prochaines corruptions, les prochaines distribution de prix, les prochains scandales! Or, une fiction ne peut intéresser que si l'histoire racontée, non seulement tient debout, mais, en plus, intéresse, voire passionne. Hélas nos dirigeants n'arrivent même pas à construire un récit cohérent (storytelling) et attrayant qui pourrait recueillir des partisans, un scénario crédible qui excède le dixième de croissance, la minoration du chômage,…FIc.jpg

Pourtant certains regimbent. Médiapart a monté une soirée contre la corruption politique ou toutes ces choses ont été passionnément débattues par de grands noms*** .Mais je crois qu'il est trop tard, Docteur Plenel! Profondément verrouillé le système libéral possède les pouvoirs - tous les pouvoirs - patiemment "rachetés" selon des OPA politiques, sociales, médiatiques, culturelles, sportives, technologiques,… Ceux, dont je suis, qui s'indignent de cette confiscation paradoxale du libre arbitre individuel et donc de l'avenir, ne peuvent que dénoncer, alerter, tels des fourmis affrontant des montagnes, frappés d'impuissance objective. Il m'arrive même parfois de me dire que j'ai tort, comme si le poison faisait son œuvre, comme un pessimisme coupable m'avait contaminé. Mais je désespère de voir le piège démocratique se refermer sur un peuple qui suit les joueurs de pipeau, les Pans opposés conduisant les foules panurgiennes aux mêmes précipices. Et de vérifier que les voies adjacentes sont toutes dotées de dispositifs annihilateurs ou de trappes enrayantes.

En fait, trois mondes coexistent dont les rythmes ne sont pas synchrones: la science, la politique, la religion. La dialectique entre ces mondes reste le talon d'Achille du capitalisme. La science et la technologie se sont régulièrement et brutalement affranchies des contraintes imposées. Les pandémies terrorisent encore plus que les armes, fussent-elles médiatiques. La religion s'émancipe de l'emprise politique dans un regain de séduction (notamment l'islam). Les récupérations effectuées restent hasardeuses. La sortie de l'impasse se situe peut être dans le brouillage ou la recomposition des frontières entre les trois mondes (réalité augmentée, virtualité, réseaux sociaux, charia,…) annihilant la prégnance de clichés qui paralysent actuellement la production de nouvelles émancipations, en frayant les voies d’un imaginaire alternatif. Meilleur? Pire? Qui vivra, verra!

* voir à ce sujet Y. Citton. Renverser l'insoutenable. Éditions du Seuil, 2012
** voir dernier éditorial décapant de Wolfgang Münchau, rédacteur en chef adjoint du Financial Times " La gauche radicale a raison à propos de la dette de l’Europe". 25 novembre 2014
*** à voir ou revoir sur: http://www.youtube.com/watch?v=LLXpXNy7agc

04/11/2014

HOMMAGE A UN GRAND ECONOMISTE

La semaine dernière le professeur Robert Badouin s'en est allé discrètement, comme toujours, à quatre vingt dix ans. Son nom ne vous dira sans doute rien car l'homme s'avérait réfractaire à l'avant scène et à la publicité. Agrégé des universités, ce protestant viscéralement attaché à sa terre gardoise a fait toute sa carrière à la Fac de Montpellier… et à Dakar, neuf mois par an ici, deux mois là-bas.  Son expertise, d'abord en économie rurale (il a écrit un manuel qui fait encore référence*), puis en économie du développement s'avérait à la fois originale, pragmatique et humaniste.

Originale, car à une époque où les modèles formels faisaient florès, il prônait un développement intégré, assis sur l'agriculture et l'amendement des structures sociales inspiré de W.A. Lewis et précurseur des thèses du prix Nobel Amartya Sen. A la suite de Rostow, la plupart des systèmes de développement recommandaient une industrialisation de type occidental. Or les nations concernées ne possédaient ni le capital nécessaire pour investir, ni la main-d'œuvre qualifiée nécessaire à leur fonctionnement, ni la stabilité politique garante des investissements,  ni les infrastructures financières et bancaires aptes à "irriguer" le processus. R. Badouin soutenait qu'il fallait faire émerger une dynamique globale dans laquelle toutes les forces vives seraient impliquées, et initialisée par un surplus de subsistances agricoles. La contingence des phénomènes économiques représentait l'ossature paradigmatique de sa conception de l'évolution sociale. Sa connaissance du terrain et de l'âme africaine légitimait ces points de vues "hétérodoxes" qu'il a développés dans une trentaine d'ouvrages, et essaiméBob.jpg dans trois cents directions de thèses. Cet enchâssement étroit de la sciences économique dans la globalité de la vie, lato sensu, il l'exprimait dans son fameux exemple de la chasse au lamantin chez les Sorkhos (peuple vivant sur les berges du fleuve Niger) mêlant légendes, croyances, religion, hiérarchisation des rôles, médecine, nourriture,… pour fonder son concept de développement intégré en utilisant cette richesse traditionnelle plutôt que de la nier, voire l'éradiquer. R. Badouin disait que celui qui oeuvre à un développement de cette nature doit connaître les conditions locales et — bien plus — ils doivent être capables de distinguer clairement entre ce qui est souhaitable et ce qui est pratiquement réalisable. C'est la composante pragmatique qui exclut la planification en ce qu'elle a de normé et de prévisible. Le temps africain possède une métrique particulière qui ne saurait se plier à des programmes précisément scandés. Quant à la dimension humaniste elle était consubstantielle à l'habitus du personnage. Ses références, à savoir l'école de Nîmes (Auguste Fabre, Charles Gide,…) en économie, la morale protestante qui lui avait enseigné qu'«instruire un homme, ce n’est pas garnir un cerveau, c’est enseigner à vivre», le portait à une rigueur paternaliste. Et à un respect des hiérarchies, des normes établies.

Son attachement à la région s'est manifesté par la direction du CRPEE (Centre Régional de Productivité et des Études Économiques) à la suite de Jules Milhau, institution au travers de laquelle il a façonné des générations de chercheurs/acteurs de l'économie spatiale. On retrouvait là les mêmes valeurs mises au service d'un développement intégré régional.

En réduisant la focale, R. Badouin a consacré sa fin de vie à plusieurs études historiques sur sa terre natale de Langlade.

Loin des fastes et des honneurs ce colosse bougon s'employait à donner des enseignements de grande qualité, en arpentant sans relâche les allées des salles de cours "les yeux fixés sur ses pensées".

Adieu Monsieur le Professeur! Merci bwana!

* Économie rurale, par R. BADOUIN. Série «Sciences économiques et gestion ». Librairie Armand Colin, Paris, 1971.