03/06/2021
EDUQUER LE PEUPLE
Il vient de se tenir la Conférence du Grenelle de l'éducation (26 mai 2021)*. Les enjeux en étaient particulièrement importants car l'inflexion de l'économie (attendue, paraît-il!) exige un renouvellement profond des esprits et comportements. Le traitement de l'enseignement en France – certes un chantier de long terme mais il faut bien commencer un jour! – conditionne la nature de ressources humaines dont disposera le pays pour soutenir sa transition vers des formes plus humaines de société.
Or il me paraît, à l'instar de ces grandes causeries baptisées "Grenelle de" (voire Ségur!), pleine de bonnes idées mais sans que soient précisés les leviers concrets de mise en œuvre, que la montagne accouchera d'une souris. Je parierais que les logiques libérales entameront dès demain ces grandes idées.
Tentons quelques réflexions.
Sur le plan général : La formation des jeunes, qu'elle soit générale ou professionnelle, qu'elle provienne des AIE (Appareils Idéologiques d'État) selon Althusser, de la famille ou de toute autre source, contribue à façonner leur identité et leur capacité de réflexion. A l'idéal, il faudrait que chaque génération (cohorte) d'apprenants sorte du système avec les clefs de compréhension du Monde stricto (son environnement proche) et largo (grands enjeux planétaires) sensu, ainsi qu'avec un viatique professionnalisant.Et qu'elle soit dotée d'une lucidité citoyenne. Ce bien commun auquel devrait avoir accès tout individu d'une nation donnée dépendra, in fine évidemment, des capacités cognitives de chacun. Mais il doit être disponible, accessible pour chacun.
Sans vouloir faire en quelques lignes un panorama du contenu adapté de ce bien commun, il faut tout de même insister sur l'impérieuse nécessité de prendre en compte qu'il existe maintenant des sources quasi infinies de connaissances à disposition via internet et ses avatars. L'apprentissage doit donc se consacrer à un apprentissage de l'efficacité de la recherche d'information utile plus qu'à l'acquisition de milliers d'informations par ailleurs disponibles quasi instantanément, sur les moteurs de recherche notamment. Il s'avère surréaliste de faire apprendre la production de blé du Saskatchewan, ou la population du Bélize! Par contre il serait nécessaire de construire un socle structurant la capacité d'accès et de traitement des données en vue d'un exercice citoyen et professionnel efficace. Il est aberrant qu'il n'existe pas, pour tous, par exemple, d'initiation au droit civil et pénal, ou d'initiation au fonctionnement monétaire et financier ou des bases de psychologie. On s'étonne ensuite que les jeunes soient déviants ou que les ménages s'endettent exagérément.
Cette refonte, pourtant évidente, reste toujours à faire… Pour la mener à bien, il serait nécessaire de former les enseignants à ce nouveau métier, en évitant de faire comme si cela coulait de source. Durant le confinement le Ministère a fait comme si tous les enseignants avaient reçu une préparation à l'enseignement à distance (technologie, spécificité, fabrication de cours,..) ce qui est loin d'être le cas! Dans le supérieur on continue à recruter des profs sur le seul critère de la capacité à la recherche…
Côté apprenants, il est prouvé que les individus sont plus utiles à la société lorsqu'ils peuvent faire des choix conformes à la vision qu'ils ont de leur épanouissement futur. On verra que c'est loin d'être le cas! L'équation à optimiser est donc: propositions d'enseignements favorables au bon fonctionnement de la société, en nombre et localisation suffisants, latitude de choix maximum pour chaque (futur) citoyen, qualité des "fournisseurs de savoirs" (intrinsèque et acquise), possibilité de mise à jour périodique de ces connaissances et savoirs faire, tant des formés que des formateurs.
Enfin, pour exister en tant que bien commun il s'avère nécessaire de construire un corpus enseigné pertinent par rapport à l'état de la société actuel et à venir, de fournir les moyens d'y accéder égalitairement, de décliner les motivateurs nécessaires.
Le corpus sous entend une sélection, une organisation et une façon d'enseigner les discours nécessaires. On dit bien discours et non matière car est-il pertinent de saucissonner le savoir en tranches étiquetées? Les moyens s'avèrent de plus en plus nombreux et variés depuis que les fameuses NTIC et NTIE sont disponibles mais posent les problèmes de formations (élèves et maîtres) à ces technologies. Quant aux motivateurs, on entend par là les faits encourageants à l'investissement en temps et en effort. Espérance de bonheur, de gain, de sécurité,… il faut un peu de tous ces ingrédients pour que la quête des savoirs et savoirs faire motive celui qui s'attelle à ce chemin de Damas. Il est évident que les appareils les plus attrayants seront privilégiés. Ainsi, si l'école n'apporte pas cette espérance de plaisir (largo sensu), les religions, par exemple, prendront sa place. Où le foot, ou la tribu (au sens de Maffesoli). Peut être faudrait-il y ajouter un échéancier afin de sortir de ce cloisonnement dans le premier tiers de vie. Mais la tâche est suffisamment ardue pour penser que cet échelonnement temporel se fasse selon chacun à condition qu'il soit possible.
Concrètement, plusieurs remarques a minima. Primo, la remise en transparence de de l'avant et l'après bac. Avant, sans doute devrait-on assumer réellement les filières professionalisantes courtes des longues quitte à permettre de "raccrocher" les erreurs patentes en rehaussant la qualité et la valorisation desdites filières selon le vœu de l'OCDE. Pour le passage du secondaire au supérieur, le système Parcoursup** s'avère d'une opacité quasi complète tant pour les candidats que pour les enseignants. Quant au choix des filières et quant à l'affectation post bac. Sous prétexte de neutralité des choix (?), tout se fait suivant des algorithmes inconnus***, avant que soient connus les résultats du bac. Dans ces conditions, ce dernier à quoi sert-il? Comment les candidats sont classés? Sur quels critères?... Cela s'assimile à une loterie menteuse**** affectant "au canon", des dossiers "incomplets" sur des parcours repérées par leur seul intitulé. Résultat médian: un candidat et une filière frustrés, sans recours. Deuxio, la nécessité de revoir les contenus paraît urgente, même si l'inertie et les corporatismes de discipline freinent puissamment. Tercio, construire une fabrication officielle de contenus fournis avec la technologie adéquate.
Voilà quelques pistes. Il faut insister sur la nécessaire priorité de traiter cette problématique de la formation des ressources humaines au sens large (et non seulement des élites) si l'on ambitionne de modifier le sens et le contenu de l'évolution économique. Diderot disait "Instruire le peuple répond à une finalité de prospérité générale tout autant que de justice sociale". Donnons-lui raison.
* à voir les conclusions sur le web: education.gouv.fr
** Si vous avez le temps (et un tube de Doliprane) essayez de comprendre cette usine à gaz.
*** article L612-3 du Code de l'Éducation dérogeant aux obligations normales de l'Administration
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