compteurs visiteurs gratuits

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

03/11/2017

POUCE-POUSSE*

S’il est un fait acquis en économie c’est bien que les acteurs sont rationnels. Tout l’échafaudage de l’économie classique et néo classique part de cet axiome (paradigme), ce qui permet de modéliser et, ensuite, de mathématiser les décisions qu’elles soient individuelles (micro économie)  ou collectives (macroéconomie). Avec ce parti-pris, on a fait de cette "science" l’alfa et l’oméga de l'argumentation politique. La dynamique des idées se nourrit bien plus de taux, de budgets, d’équilibre, de déficits,…. que de sociologie, sans parler de philosophie. L’homo eligens (l’homme qui choisit), icône du libéralisme, se représente dans la figure d’un consommateur-épargnant ou d’un producteur-investisseur complètement raisonnable ce qui permet de construire de belles théories avec de belles équations savantes.

Or, paradoxalement,  le prix Nobel (ou plutôt de Prix de la Banque de Suède en Sciences économiques) de cette année, Richard Thaler**, a détruit ce "merveilleux" conte. En effet il affirme, lui, que "des biais cognitifs " sont le lot commun desdits acteurs, comme l'observe le premier quidam venu. On pourrait logiquement en conclure qu’il a ainsi sonné le glas de toute l’économie fondée sur le principe de rationalité.

L'économie ne serait plus une science exacte et la fameuse main invisible du marché serait affectée d'un Parkinson improbable. Vous imaginez le séisme!  Sauf que son discours issu de l’économie comportementale n’a généré pas même une petite tempête tropicale. Les grands esprits ont convenu de cet obstacle et… décrété qu’il conviendrait donc de "tutorer" ces aberrations.

Tutorer simplement, ce qui exclu l’idée d’économie dirigée, ce diable honni par les libéraux même timorés, du moins dans leur discours. Non, on dit seulement que l’État (ou son émanation) a l’obligation de "donner un coup de pouce" (nudge en anglais) à l’acteur économique pour qu’il retrouve l’ornière de la rationalité qu’il s’apprêtait à éviter. Dès lors les décisions prises à l'emporte-pièce sous le coup de l'émotion, ou d'une méconnaissance des choses (asymétrie de l'information) sont soit empêchées (loi) soit influencées (fiscalité positive ou négative) pour qu'elles ne viennent pas fausser et perturber les soit disant "lois" économiques. L'économie y perd en autonomie, la politique y gagne en pouvoir d'action. Légitimé par cet effet Thaler le gouvernement (quel qu'il soit) va pouvoir s'en donner à cœur joie pour subventionner ceci, taxer cela, favoriser tel secteur, bloquer tel autre,… On comprend mieux en conséquences, l'avalanche de coups de pouce qui poussent les acteurs "dans la bonne direction"! Faites un tour rapide de votre vie quotidienne et vous allez voir que quasiment tous vos actes sont ainsi poussés: le loyer (aide au logement, HLM, APL,…), l'essence (diésel), l'énergie (chèque énergie, éolien), les médicaments (SS), le péage, la nourriture bio, le coca,… De même pour nos usages financiers: épargne (livret A, Assurance vie,.. ), investissements (voitures électriques, loi Pinel,…).

Au total on évolue – sans l'avouer ni le reconnaître - dans un système dirigiste (ou administré) dans lequel, l'État s'immisce partout, en usant de coups de pouce,  pouvant aller jusqu'à l'interventionnisme direct. Pour justifier cette dernière attitude il prétexte, certes,  la gestion des biens collectifs purs (au sens de Musgrave) qui lui revient de droit, mais aussi de "biens méritoires" qui répondent à certains besoins jugés suffisamment importants pour que cet État prenne en charge leur satisfaction. Or, lorsqu'il subventionne un bien particulier – plutôt que de simplement transférer de l’argent au consommateur potentiel - il décide à la place des individus ce qu'ils doivent consommer. Il se rajoute donc une dimension paternaliste au dirigisme. Ce n'est plus un coup de pouce mais une consommation forcée (force feeding).Avec l'accumulation de ces interventions, le fonctionnement économique s'en trouve largement encalaminé, rigidifiant les échanges, les marchés en allant même jusqu'à contrarier la logique naturelle des flux.Ce type de système peut marcher, voire même s'avérer efficace, à certaines conditions.

Avant tout, il faut résoudre le préalable de la rationalité prise en référence. En effet il n'existe pas une rationalité transcendantale qui s'imposerait ex nihilo. La rationalité s'avère toujours le produit d'une idéologie qui la pose et la justifie. Quand Thaler parle de coup de pouce, il entend "afin d'infléchir la décision vers une norme jugée rationnelle". Toutefois, comme personne (et aujourd'hui moins que hier) ne définit le projet de société dont la rationalité serait le sous produit contingent, le nudge relève d'un parti pris sans que ce dernier ne soit connu de celui sur lequel on l'applique. Et si le coup de pouce nous poussait vers le précipice? Ou vers une situation inacceptable? Vers une catastrophe?Nudgé.jpg

Ce flou dangereux, les citoyens électeurs français l'ont ressenti et "dégagé" les dirigeants  qui le perpétuaient. Sans se garantir que les nouveaux maîtres seraient plus finalisés et plus explicites sur cette finalité. 

L'astuce du macronisme a été, à mon avis, de donner en défausse à cette vision garrottée, une finalité éco-gestionnaire new look, en occultant soigneusement la finalité sociétale (en avait-il une?). Une majorité de français avait conscience de l'empilement régulateur qui étouffe le pays selon une métaphore largement utilisée. Elle a donc adhéré à une présentation "managériale" de la gouvernance apportant moins de dirigisme mais plus de coaching, et où les nudges seraient délivrés avec parcimonie mais puissance. Selon cette logique on supprime des intermédiaires (au sens large), des médiations, des relais,… toutes choses jugées contraires à la fluidification des flux. On supprime aussi quelques nudges ne paraissant pas opportuns. Le prix social à payer réside dans la perte de protection (au sens noble et au sens négatif) qui tombe brutalement sur le jeu traditionnel des acteurs économiques. Qui dérange. La chose relève d'un coup de… pied au cul à ceux qui se planquent dans les méandres du dirigisme rigidifié. Ou d'une poussette aux investisseurs afin de les débusquer des tanières immobilières où ils stagnent. Pourquoi pas? Mais pour construire quoi? Flexibilité comme crédo. Mais que veut dire ce mot pour toute une catégorie d'individus qui n'ont ni le QI, ni l'envie, ni parfois l'âge d'enfourcher le pouce tendu, formation ou autre palliatif? Il ne s'agit pas de déconstruire mais aussi et surtout de reconstruire une société plus……, mieux……, mettez les qualificatifs qui vous plaisent.

Actuellement on se trouve entre deux "eaux": la fuite en avant aventureuse des LRM et le maintient dirigiste des Insoumis. En rendant la société plus agile (mot à la mode!) la seule cible visible d'E. Macron consiste à placer un peu mieux la France dans le concert européen, voire mondial. Courir avec les autres, si possible dans le peloton de tête, mais sans projet humaniste clairement assumé. Ou bien un projet conciliant avec les "puissants" par le biais d'accords ou de traités internationaux (U.E.,CETA) jouant le rôle de défausse de responsabilités***.

A l'autre bout, pourquoi pas tenter de resocialiser avec Mélenchon! Mais alors il faut mobiliser la seconde condition, au moins aussi importante, qui s'inscrit dans un puissant contrôle des actions d'assistance. Gouverner selon un dirigisme appuyé et des redressements musclés implique ce contrôle extrêmement rigoureux. La Chine fournit un exemple parlant de ce "modèle" en réalisant des performances en terme de croissance économique de 6 à 7% par an. Ce "socialisme aux  caractéristiques  chinoises" de Xi Jinping s'avère aujourd'hui exportable. On peut même avancer qu'il préfigure parfaitement le capitalisme occidental de demain à condition que le dirigisme occidental accepte de s'appuyer sur la vérification que les injonctions soient appliquées strictement. On nous dira que ce n'est pas notre culture. Mais l'un ne va pas sans l'autre sauf à fantasmer.

On nous dit que tout change ou va changer. Je crois comme Marx que les conditions de production seront plus maitre d'œuvre dudit changement que les discours des hommes fussent-ils gouvernants. Ces derniers s'agiteront dans le décor, un peu comme des acteurs de théâtre d'une pièce hypermoderne dont le public ne saisit pas vraiment le sens de l'intrigue. Une intrigue sans raison! Quand la question des moyens évince celle des finalités, les choses perdent leur sens, l'État sa raison d'être, et l'homme son chemin****. 

* En fin de rédaction de cette note, je m'aperçois que Christian Schmidt traite (en mieux!) le même sujet sous le titre "Pourquoi les politiques croient-ils encore à la rationalité?" dans le Monde du 26/10/2017.
** pour être juste il faut lui associer Cass Sustein qui a coécrit ses contributions majeures. Cf "Richard Thaler remporte le prix Nobel d'économie". Le Nouvel Economiste.fr. Publié le 17/10/2017.
*** cf La démocratie n’est pas gênante. Marcel MONIN. Agoravox.29 octobre 2017
**** Régis Debray. L'erreur de calcul. Éditions du Cerf. Le Poing sur la table. 2014