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20/12/2017

EXUTOIRE MÉMORIEL OU PIÈGE FUTURISTE? 1

Est-on légitime pour juger le comportement d'un groupe humain si on est extérieur à lui, à ses racines, à ses valeurs? Ce problème je me le suis posé avant de parler des mouvements sécessionnistes actuels (Catalogne, Corse, Ecosse,…). Ce qui nous paraît raisonnable à nous étrangers à ces cultures, à leur vécu,… l'est-il pour eux? Qui tient le bon bout? Y-a-t-il un bout? Cette problématique exotopique* quoique très pertinente, nous amènerait trop loin. Je vais tenter seulement de défaire quelques rubans de ces écheveaux d'arguments contradictoires maniés par les protagonistes.

L'évolution des sociétés (micro sociétés) n'est pas une marche uniquement scandée par le modernisme et le progrès. Elle s'avère aussi une machine à broyer le passé en laissant des scories qui ne demandent qu'à s'embraser à nouveau. Deux logiques s'entremêlent: un pole de l'avenir animé d'espoir mais aussi de risques et celui de la mémoire fait de sécurité et de traditions. Les acteurs internes ou externes se rallient à l'un ou à l'autre assurant qu'il représente le seul viable.

René Girard nous explique que les deux pôles s'entrechoquent pour donner lieu à une crise majeure, paroxystique si on ne l'enraye pas. Le sacrifice de la victime émissaire  casse cette dynamique suicidaire pour que la société se refonde au travers de tabous, rites et mythes. Ces derniers sont, selon lui, les remparts qui empêchent le retour des ingrédients de la crise originelle.

Si j'adhère à sa phase victimaire de Girard, je crois qu'il sous estime le pouvoir de résurgence des traumas passés. Comme si le refoulement des tensions mortifères ne laissait pas intacte la potentialité de réminiscences sous une forme ou sous une autre des haines originelles confinées dans l'imaginaire collectif. Plus les évènements furent dramatiques, plus les animosités se sont traduites par des exactions dramatiques et plus la rancune restera incandescente sous la cendre historique. Prompte à nourrir des envies de vengeance différée de la part des victimes. Ce retour du refoulé se produit à l'occasion d'une nouvelle tension.

Ce qui nous masque ce processus, ce en quoi ces micro sociétés se mentent, c'est que la raison apparente de la nouvelle crise avance toujours d'autres motifs, plus modernes, plus matériels, plus "acceptables" par l'opinion. La démocratie, les finances, l'économie, la liberté d'entreprendre,… je crois que ce voile rationnel masque des remugles plus inavouables qui enveniment le conflit.

La guerre d'Espagne** reste présente dans les mémoires mortes de ses protagonistes et vives de ses descendants. La haine réciproque de Madrid et de Barcelone trouve un nouveau canal d'expression déguisé en oppositions constitutionnelles, économiques ou fiscales. Et de controverses (de Valladolid ?) en controverses, d'agressions verbales en agression tout court, la rupture devient probable. Et les acteurs du drame revêtent des habits d'époque: l'ombre de Franco, de Largo Caballero, de José Miaja Menant,… se profilent derrière les protagonistes jusqu'au boutiste actuels.

Le fondement idéologique de l’affaire s'inscrit donc, selon moi, dans une passion nationaliste et identitaire. Hystérisée, elle génère une distorsion de la réalité et la destruction du lieu institutionnel de la discussion raisonnable. Rajoy et Puigdemont ont, par étapes, renoncé à cet espace de négociation rationnel au profit du diktat d'un impérialisme centralisateur excessif pour l'un, un libertaro-individualiste-localiste exacerbé pour l'autre. L'argument de la nation mère du droit ne souffrant aucune entorse vu de Madrid opposé à une émotion politisée de patriotisme local (régional, linguistique-culturel et communautariste) ne laissent aucune place à un débat serein. Une incompréhension mutuelle s'instaure occultant tout accord négocié.

La position de Madrid se retire sous le bouclier de la légalité constitutionnelle en oubliant les entorses qu'elle a subies. Masquant au maximum les lobbies qui impactent fortement ses décisions.Coca Senyera.jpg

Le nationalisme catalan – comme tout nationalisme – est loin d’être monolithique, réunissant (?) indépendantistes d’extrême gauche, adhérents à une idée plus substantielle et charnelle de l’identité catalane, partisans d'une revendication culturelle (voire ethnique). Et à ce titre il a du mal à  rester dans une stricte cohérence. Il en appelle à l’État de droit et à la Constitution de 1978 alors même qu’il y a quelques temps, il déniait toute autorité aux mécanismes constitutionnels d'un « État fasciste » dont était issu ce texte consensuel. Au delà de l'argumentaire dont ils sont conscients des limites, les indépendantistes tentent de provoquer l’irréparable pour rendre l’indépendance inévitable. En agitant la confiscation de l'expression démocratique par l'État central, en stigmatisant la violence, pour en appeler à l'Europe qui ne peut (veut?) en aucun cas se mêler à l'affaire.

Mais peut être que tout cela n'est que l'écume des vagues! Peut être l'enjeu s'inscrit-il dans la dynamique du libéralisme international. Certains, en effet, avancent l'idée qu'une grande offensive pour fractionner les États serait en marche. Que les revendications d'existence de "peuples sans état", de recherche d'autonomie de régions au nom d' "identités zonales" serviraient l'intérêt d'un capitalisme qui s'inquiète d'enclosures nationales trop fortes et promptes à (trop) règlementer ou à réguler les échanges.  Le jeu masqué étant de constituer à leur place un espace malléable et lisse constructible-déconstructible à l’infini. Un puzzle de pseudo régionalités qui pourrait servir à la déconstruction des États nationaux afin de promouvoir une dynamique de marché extra territorial et extra judiciaire. Cette nouvelle stratégie de la finance, dite des marchés-frontières***, peut représenter des ficelles invisibles qui animent les "braves gens" croyant  défendre une identité menacée, une langue bafouée, bref une culture, affrontées à des menées catalonophobe, corsicophobe, scotlanophobe,… Paradoxalement Puigdemont serait alors le Playmobil des Goldman Sachs et cie!

Nous sommes entrés dans l'ère postnationale via les zones de libre échange*** qui détricotent les frontières et partant, les droits et normes.

Alors, le conflit catalan ne serait-il pas une manipulation déguisée en une "guerre identitaire", (conflits d’antériorité)? Conflit faisant appel aux mythes essentiels, aux religions, à l’Histoire fondatrice, aux attachements ontologiques et aux intérêts nationaux vitaux, le tout mâtiné de désinformation mutuelle à des fins tierces*.

 

1 J'ai sciemment pris le risque de publier cette note avant les élections du 20 décembre.

* concept développé par T. Todorov, Les morales de l'histoire. Éditions Grasset & Fasquelle, 1991.
** et bien avant: voir John H. Elliott. The Revolt of the Catalans: A Study in the Decline of
Spain, 1598–1640. Cambridge University Press, 1963.

*** Zones où les réformes structurelles imposées augmentent la productivité et la croissance économique en améliorant la concurrence sur les marchés du travail, en abaissant les normes environnementales, en créant les infrastructures plus concurrentielles. Une zone à la limite de l’anarchie, un far west où les investisseurs encaissent des profits sans commune mesure de ceux retirés des zones traditionnellement régulées.
**** U.E, CETA, TAFTA, ALÉNA, ASEAN, AELE, ALECE,…