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11/12/2009

GAP EXISTENTIEL

La démocratie est une construction fragile. La démocratie représentative (ou gouvernée selon G. Burdeau) - qui est la nôtre depuis la révolution, par opposition à la démocratie participative (ou gouvernante idem) - repose sur un oxymore «une utopie réalisée»  (Rosanvallon parle de promesse-problème). L'utopie de valeurs idéales (donc inatteignables) du triptyque Liberté-Egalité-Fraternité (l'espoir), se trouve en effet confrontée à une «médiocrité» des réalités vécues (le ressenti). Ceci du fait des contraintes diverses, certes, mais aussi de l'impression de «trahison» de la classe gouvernante élue. Il en naît une frustration obligée, un gap existentiel (certains parlent de dissonance cognitive) découlant de choix collectifs décalés par rapport aux désirs privés, de l'imperfection des dirigeants (les honnêtes, les honnêtes imparfaits et les racketteurs) mais aussi de la perception d'un «corps de représentants professionnels » (cumuls mandats, ...) confisquant le droit au suffrage. Ce gap (écart) suscite une réserve de défiance des citoyens provoquant une revendication (quasi) permanente et d'un certain désintérêt pour l'expression électorale. jump.jpg
En vérité, ledit gap n'est acceptable par la majorité du peuple que lorsqu'il semble (à tort ou à raison) en voie de réduction. Nous qui avons vécu les trente glorieuses, ce sentiment était réel avec l'avènement des congés payés, de la bagnole, des arts ménagers, du cinoche, de la télé, ... pour le quotidien, l'existence de Malraux, Camus, Sartre, Foucault, ... pour l'esprit.
Aujourd'hui, et depuis le tournant du siècle, ce qui est versé dans la corbeille du gap existentiel s'appelle crise financière, délocalisation, chômage, pandémies, attentats, turpitudes écologiques, pour ne citer que le plus criant ! Plus une carence de socle idéologique durable. Plus un sentiment d'impuissance pratique du quidam relatif aux affaires publiques. Plus le fait avéré que la génération suivante sera moins privilégiée que la précédente. Malgré une «contre démocratie» d'expression (Internet, blogs, ...) et de résistance (ONG, syndicats, associations, collectifs) qui peine à se faire entendre, le «peuple» n'était pas encore complètement conscient de cet état de fait.
Alors, il faut être totalement aveuglé par la tambouille électorale pour lancer une réflexion sur l'identité dans cette ambiance délétère ! Il ne manque plus qu'à touiller dans le racisme latent, dans le communautarisme, dans la différence religieuse, dans le débat de Café du Commerce, ... Quelques lucides s'en sont aperçus. Trop tard pour reprendre les rennes, le poison a diffusé dans les couches les plus inaptes à traiter sereinement de thèses philosophiques. On ramasse déjà des brèves de comptoir bien grasses, des prises de positions plus facho tu meurs. Les extrémistes se frottent les mains puisque se réveillent les vieilles peurs, les vieilles antiennes plus aptes à accroître le gap existentiel qu'à le réduire.
La sarkozie s'est, à mon avis, tiré une balle dans le pied. Elle avait réussi, jusque là, même si l'on peut en critiquer les termes, à gérer la promesse positive. Nous renforcerons le pouvoir d'achat, abolirons le chômage, nous formerons les jeunes à l'avenir, nous réformerons l'État, nous éradiquerons les paradis fiscaux, la spéculation, nous repeindrons en vert une agriculture polluée, ... proclamait-elle. Paradoxalement une majorité de français recevaient favorablement ce discours « améliorateur » ! Avec l'identité nationale, l'UMP éclate en «courants» (laïques, religieux, droite, préfachos) relayant des postures «citoyennes» de mêmes tendances.  La sarkozie aurait dû savoir que  la politisation des référents identitaires est aujourd'hui la chose la mieux partagée au monde: de l'Amérique du Nord et du Sud à l'Asie, en passant par le monde arabo-islamique, l'ex-bloc socialiste, on observe partout un réveil, souvent violent, des ethnismes, des nationalismes ou des régionalismes, cependant que les utopies religieuses fondées sur la quête de «nouvelles Jérusalem» entretiennent comme jamais auparavant peut-être les imaginaires politiques, tant en terre d'islam que de christianisme ou de judaïsme*. Et que personne n'a rien à gagner à attiser ces braises. L'immense orgueil de notre Président lui fait croire qu'il peut circonvenir le monde entier à ses désirs. Sur les banques, sur le réchauffement du climat, passe. Mais sur des fondamentaux citoyens et républicains, certainement pas !
Alors que l'un des enjeux forts du progrès démocratique passe, non seulement par la pluralisation des formes de représentation, mais aussi par la multiplication des modes d'expression dits participatifs, notamment sur le terrain de l'expertise, de la veille citoyenne  et de l'expression publique (blogs, forums) afin de créer une « souveraineté complexe », on se trouve embourbés dans un non-débat de factions rétrogrades, dans des surenchères identitaires, dans une « démocratie de slogans  et de poncifs ».

"Cet âge où les hommes vivaient côte à côte dans les Échelles du Levant et mélangeaient leurs langues, est-ce une réminiscence d'autrefois ?
Est-ce une préfiguration de l'avenir ?"

Amin Maalouf, Les Échelles du Levant, Grasset

* René Otayek. Afrique : les identités contre la démocratie ? Cahiers des sciences humaines. Nouvelle série numéro 10.

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