30/12/2009
RETOUR AU TRIBALISME
Il ne vous a pas échappé que la fameuse conférence de Copenhague s'est soldée par un cuisant échec. L'illustration précédente avec son doigt d'honneur symbolisait pour moi la grossièreté dudit échec.
Mais je pense que, bien plus qu'une déconvenue sur le climat stricto sensu, de l'écologie largo sensu, le monde s'est confronté là à un schisme beaucoup plus fondamental, pour ne pas dire vital ! Le retour au tribalisme !!
Mode d'organisation basée sur le sentiment d'appartenance, à un lieu, à un groupe comme fondement essentiel de la vie sociale, le tribalisme nous le comprenons ici comme communauté d'intérêt formant une entité spatiale et ethno-sociologique qui se veut (et qui se vit) comme différente des autres. Ainsi, l'opposition irréductible qui a scandé Copenhague se décrit en tribu américaine, tribu européenne, tribu asiatique, tribu indienne, tribu africaine, tribu océanienne. Opposition qui vient de l'absence d'intérêt commun comme PGI (plus grand idéal) ou PPCD (plus petit commun dénominateur) face à l'évolution à court et moyen terme de leur modus vivendi.
Sous couvert de grandes idées telles que l'avenir de la planète, le réchauffement du climat, l'écologie, la biodiversité, le développement durable, .... l'enjeu central s'avèrait l'accès ou non à un niveau de vie et à un mode de vie espéré. Hélas ce qui est la réalité pour la tribu européenne devient une contre réalité pour la chinoise ou l'indienne, un obstacle pour l'africaine ... L'idéologie capitaliste fordiste (pour faire simple) a inculqué au monde entier le désir de consommation et de confort comme première motivation durant (quasiment) un siècle. C'est à ce prix que nous avons colonisé et exploité l'Asie mineure et extrême, l'Amérique centrale et méridionale, l'Afrique entière, en promettant l'Eldorado consumériste... un jour ! Ce jour, ce lendemain qui chante, restent un leurre pour beaucoup mais devient accessible pour les chinois, indiens, argentins, brésiliens, .... Et à ce moment précis, on leur dit qu'il s'agit d'un mauvais plan, que ce n'est pas possible, que le Noël tant espéré ne sera pas fêté.
Sauf qu'aujourd'hui, la Chine n'est plus un quasi-continent arriéré mais détient presque la moitié de l'endettement américain. Qu'elle fabrique avec l'Inde la grande partie de nos équipements. Que quand elles s'assoient à une table, elles ne se contentent plus de strapontins mais occupent des fauteuils clubs. Sauf qu'aujourd'hui les pays à qui l'on expliquait que leur retard provenait du mode de production socio-communiste, veulent engranger les bénéfices de leur conversion au capitalisme. Cash, et sans qu'on leur oppose des précautions nouvellement prioritaires.
L'intérêt supérieur de la planète est un concept vide, creux, spécieux. Il n'existe aucun compromis qui puisse en faire cas. Le Monde se trouve fractionné en tribus d'intérêts contradictoires et, ce qui est nouveau, de forces équilibrées. Quand deux nations (USA, URSS) imposaient leurs ordres, les autres, toutes les autres, passaient sous leurs fourches caudines. La solution hobbesienne régnait ! Maintenant, le bloc russe est éclaté, les E.U. ne règnent plus en maître, l'Europe pas davantage, face aux mastodontes qui se sont extraits de la glaise communiste ou colonialiste. Et sans intérêt supérieur aucune régulation n'est viable.
Copenhague a marqué la fin d'une époque, celle d'une planète sous la férule d'un centre de commandement (militaire, économique, financier, sociétal) aimé ou haï ce n'était pas le problème. La tyrannie américaine laisse place à un espace tribal où se meuvent des «blocs» d'intérêts . Ces derniers n'ont que faire du But messianique à atteindre, du Projet idéal («pro-jectum»), économique, politique, social, à réaliser. Elles préfèrent «entrer dans» le plaisir d'être ensemble, «entrer dans» (« ingrés ») l'intensité du moment, «entrer dans» la jouissance de ce monde tel qu'il est*. Dès lors que voulez-vous qu'ils trouvent d'attrayant dans un discours de restriction, de raison, de régression, de régrédience, ... dont les bénéfices seraient potentiellement diffus et dissous dans un avenir long ?
Nous avons été usurpés par l'idée de globalisation qui nous a fait croire à l'émergence progressive d'un destin commun, d'une solidarité planétaire en marche aspirant à une régulation mondiale. À l'inverse, voici venu le temps d'un fractionnement tribal reposant sur des«archipels d'intérêts stratégiques»excédant largement les nations afin d'accéder à des ensembles de puissance sensiblement équivalente. Qu'adviendra-t-il du concert de ces archipels ? Cacophonie ou harmonie ? Copenhague, comme ring pionnier, a révélé un gap jugé infranchissable. La suite nous dira si un état de fait s'établit (chacun pour soi avec un discours mystificateur), si un vrai débat apparaît pour traiter au cas par cas des problèmes de coexistence, ou si, hélas, un affrontement tente de réorganiser le Monde.
On ne décrète pas l'avenir, mais on connaît la folie des hommes !
* Michel MAFFESOLI. Le tribalisme postmoderne. Constructif.N°13 - Février 2006
** l'illustration est de Barrigue, http://www.barrigue.ch/
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