11/10/2010
LE FILS DU CRÉMIER ou LE HANDICAP DE L’INTELLIGENCE.
Maurice Allais, petit fils d’ébéniste et fils de crémier, unique prix Nobel d’économie français (G. Debreu qui fut son élève et qui reçut le prix en 83 étant naturalisé américain), vient de s’éteindre à 99 ans. Ce major de polytechnique reconverti à l’économie par hasard et désireux de fournir au monde un modèle afin que la vision de la crise qu’il avait côtoyée aux USA ne se reproduise plus, a été pour cette science la meilleure et la pire des choses*.
La meilleure via son intelligence mathématique (physique) supérieure qui lui permit de cerner des démonstrations formelles puissantes imposant le respect de tous. Ainsi il révolutionna la théorie de l’équilibre général en introduisant la monnaie, l’intérêt puis les probabilités avec le fameux paradoxe d’Allais. Le pire naquit du penchant formaliste que crurent devoir adopter les économistes successeurs avec des qualités moins reconnues et une tendance nocive à l’ésotérisme des échafaudages d’équations, en lieu et place de véritables raisonnements applicables à la réalité. Et qui devinrent, hélas, majoritaires dans ce pays, pour ne pas dire hégémoniques !
Car Maurice Allais, fils de petits commerçants lui, ne perdait jamais de vue que l’économie est une science humaine, voire sociale, et nécessite une applicabilité avérée. En ce sens il dérangeait, à la fois les «trafiqueurs de modèles théoriques» et les suppôts d’idéologies politiques. Les premiers voyaient d’un mauvais œil ce génie qui démontait inlassablement leurs tentatives qui se noyait plus dans le scientisme que dans le réalisme. Les universitaires le poussèrent donc à l’exil puisqu’il fit l’essentiel de sa carrière aux Etats Unis. Les suppôts idéologiques supportaient mal, pour leur part, le discours qui se voulait «socialiste libéral», minant ainsi leurs élucubrations d’un libéralisme pur et dur, miracle annoncé de la perfection de la main invisible. Au point même de le faire passer pour gâteux lorsqu’il annonçait, bien avant tout le monde, la crise que nous vivons. Au point de le traiter faussement de protectionnisme, alors qu’il démontrait la perversité de la mondialisation, ce qui défrisait les « acteurs intéressés » laissez-fairistes mondialistes.
Demandez-vous pourquoi vous n’avez (presque) jamais entendu parler d’un prix Nobel français ! Ce génie dérangeait,… même la gauche pro européenne. Si je vous cite son opinion exprimée dans une «Lettre aux Français» récemment publiée par Marianne, dénonçant «un pourrissement du débat et de l’intelligence, par le fait d’intérêts particuliers souvent liés à l’argent. Des intérêts qui souhaitent que l’ordre économique actuel, qui fonctionne à leur avantage, perdure tel qu’il est. Parmi eux se trouvent en particulier les multinationales qui sont les principales bénéficiaires, avec les milieux boursiers et bancaires, d’un mécanisme économique qui les enrichit, tandis qu’il appauvrit la majorité de la population française mais aussi mondiale», vous commencez à comprendre. Il suggérait aussi de différencier des espaces «régionaux» économiques et sociaux homogènes, tant au sein des pays riches que du côté des pays émergents, décrivant des marchés suffisamment dimensionnés pour permettre une croissance interne sans créer des déséquilibres ingérables en terme de coûts (de salaire). Crime de lèse libéralisme qui ne lui fut pas pardonné ! Il s’avère dur d’avoir raison à contre courant ! Les puissants ne vous pardonnent pas d’avoir prédit dix ans plutôt que «toutes les difficultés rencontrées résultent de la méconnaissance d’un fait fondamental, c’est qu’aucun système décentralisé d’économie de marchés ne peut fonctionner correctement si la création incontrôlée ex nihilo de nouveaux moyens de paiement permet d’échapper, au moins pour un temps, aux ajustements nécessaires. Il en est ainsi toutes les fois que l’on peut s’acquitter de ses dépenses ou de ses dettes avec de simples promesses de payer, sans aucune contrepartie réelle, directe ou indirecte, effective». Bonjour crise des subprimes !
Alors que les politiques défilaient jadis chez Pinay qui se qualifiait lui-même de piètre économiste, alors que les gourous conseillers s’appellent aujourd’hui Minc ou Baverez, personne ne s’est jamais déplacé à Saint Cloud pour solliciter les conseils du Prix Nobel. Quand il a été fait Grand Croix de la Légion d’Honneur d’aucuns ont titré «Maurice Allais: l’homme qu’on honore au lieu de l’écouter». C’est regrettable et cela ne contribue pas à la réputation des économistes dans le public.
Et, il faut le dire, seul J.C. Martinez ancien intello du Front National a promu ses idées (notamment en terme de fiscalité). D’ailleurs B. Gollnisch et M. Le Pen ont été prompts à regretter le décès de « l’homme de bien, toujours préoccupé par le service de la nation, et par la volonté d'améliorer le sort des hommes,… le plus grand économiste de France ». Quand Sarkozy se fourvoie dans une surenchère sécuritaire et romisante pour lui piquer des électeurs, le FN se refait une image de gestionnaire lucide ! Nous vivons une belle époque !
Au total, j’éprouve un sentiment de honte à voir qu’un intellectuel citoyen de cette qualité finit dans une indifférence prétentieuse parce qu’il a eu le courage de dénoncer l’aveuglante dérive d’un monde dominé par la morgue d’une pensée unique. «Le consentement universel, ou même celui de la majorité, ne peuvent être considérés comme les critères de la vérité. Le seul critère valable de la vérité, c'est l'accord avec les données de l'expérience »**.
* Son ouvrage clef : « À la recherche d’une discipline économique, première partie : L’économie pure », à compte d’auteur1943, puis, en 1952, Imprimerie nationale, Éditions subséquentes sous le titre « Traité d'économie pure », éditions Clément-Juglar, 1994.Pour plus d’information voir http://allais.maurice.free.fr/
* Discours de M. Allais au Lycée Lakanal 03/02/2OO1
19:33 | Lien permanent | Commentaires (0)
Les commentaires sont fermés.