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06/02/2011

LE TEMPS DES DÉBACLES

Nous sommes en train de vivre une transition fondamentale. Longtemps - aujourd’hui encore - l’attirance du stable, de l’immobile, de l’affermi, de l’ancré, du constant, du continu, du durable, de l’immobile, de l’inaltérable, de l’invariable, du permanent, du persistant, du sédentaire, du solide, du stationnaire, du statique,…. domine la pensée. Dans notre cerveau archaïque, la société traditionnelle immuable jusqu’à l’excès continue à représenter un archétype référentiel. Je ne critique pas car j’ai, moi même, tendance à regretter le temps arrêté des palabres sous les platanes de nos villages engourdis sous le soleil. Sauf que le monde change ! Selon Z. Baumann*, une «modernité liquide» succède à une «modernité solide  dans laquelle la gouvernance immanente Dieu ou la Main Invisible) ou humaine (Roi, Tsar, Dictateur, Président) était censée reproduire une société proche de la perfection telle que tout changement ne pouvait que la dégrader. Baumann établit un lien entre l'état liquide de nos sociétés, le malaise qui en résulte, et la globalisation, laquelle implique plus de liberté, et aussi une insécurité accrue dans de nombreux domaines. Tout s’accélère, tout bouge créant une difficulté majeure à se situer, à s’adapter, à s’assurer. Les outils sociaux que sont devenus l’avion, le téléphone mobile, Internet, le Web, Facebook, les réseaux en général,… modèlent un monde de nomades proche du temps réel, c’est à dire débarrassé de structures pérennes et de certitudes à moyen terme, communiquant en temps réel. Ce « court termisme » affecte l’ensemble des logiques et des pratiques en provoquant souvent des dégâts, non pas tant intrinsèquement, mais à cause de l’inadaptation des esprits et des usages à cette accélération généralisée. J.L. Servan-Schreiber dans son essai «Trop vite !»** stigmatise cette société dans laquelle l’urgence de l’action, de la décision, domine l’horizon des dirigeants comme des citoyens. Et, comme une lame de fond, cette logique liquide emporte tout ce qui résiste.moulin.jpg
Ainsi les zones géographiques qui se trouvaient en régime de gel ou de coagulation du fait de dictatures plus ou moins condamnables décrochent les unes après les autres emportées par la contradiction entre le fleuve et l’ile. La Tunisie, l’Egypte, déjà, le Yémen, le Soudan, la Birmanie, la Lybie,… demain, ont détaché les amarres de leur pays en détrônant les potentats qui les maintenaient dans une immobilité qui les servait. Au delà de la faim et du chômage, larguer les amarres des médias, de l’expression, de la liberté de commerce, faire en sorte que les privilèges incommensurables des élites cessent, éradiquer le racket institutionnalisé. Voguer ainsi sur le fleuve des démocraties modernes ...
… Même si le paysage est aussi confus que le passage Nord Ouest ! Le passage du Nord-Ouest fait communiquer l’océan Atlantique et le Pacifique, par les passages froids du Grand Nord Canadien. Il s’ouvre, se ferme, se tord à travers l’immense archipel arctique, le long d’un dédale follement compliqué de golfes et chenaux, de bassins et détroits, mêlant l’eau et la banquise en dégel, la terre et l’eau dans un dédale mouvant. Le voyage y est aléatoire, les chemins sont rares, instables et parfois barrés, selon la débâcle des glaces***. Mais l’espoir mobilise les opprimés.
Et nous, nations depuis plus longtemps embarquées dans ce fleuve moderne qui nous charrie sans dévoiler le bout du chemin, nous faisons les fines bouches. Sont-ils adultes démocratiquement ? Ne sont-ils pas la proie différée des «barbus», sortes de condors charognards observant la décomposition des nations ? Ont-ils des dirigeants de qualité (c’est à dire qui nous agréent à nous) ? Nous reproduisons les fausses précautions déjà émises pour l’Espagne post Franco, le Portugal post Salazar,… Péripétie de l’attrait du stable je vous le disais, fut-il inacceptable pour les autochtones, la pérennité connue et rassurante, comme dirait Alliot-Marie !
Car il y a un dilemme encore plus fondamental que les relations dialectiquement opposées entre besoin de liberté et besoin de sécurité. Quel comportement doit-on privilégier dans cette société mutante ? Se laisser entrainer au fil de l’eau, en pariant le mieux sans en avoir la moindre visibilité, selon le crédo libéral ? Faire semblant de pagayer utile sans la moindre efficacité (socio-démocrates) ? Parler de gouvernance alors que l’on n’a pas le moindre gouvernail (sarkozisme) ? Dire que l’on peut non seulement arrêter mais remonter le courant (FN) ?
En vérité il est nécessaire de refonder une idéologie mêlant le changement et la structuration des choses dans le respect de l’intérêt général. Il ne faut plus rêver de lacs ou d’étangs, d’îles singulières voire de barrages et de digues. C’est autant dérisoire que dépassé. Il est nécessaire de s’atteler dès l’école, à produire des citoyens décideurs capables de surfer utilement sur les vagues du changement, à mieux gérer harmonieusement l’instantané et le moyen terme. Dépasser le cartésianisme (même si on ne doit pas l’éradiquer) qui nous handicape dans cette nouvelle donne. C’est une tâche immense et complexe, mais urgente. Les cadres se forment plus lentement que ne se montent les murs (D. Desanti)
Car demain le tsunami en marche arrivera jusqu’à nous. En effet, à l’instar des modèles sociaux antérieurs, la société moderne liquide s’avère aussi une société de classes, organisée entre dominants et dominés. Les «dominants» forment une élite extraterritoriale, qui dispose des aptitudes (apprentissages et dons) et des moyens de s’adapter continuellement aux soubresauts de l’actualité. Les dominés sont tous les ceux qui ont toujours un temps de retard sur les dominants. Mais qui s’en aperçoivent ! Un jour, il ne sera plus temps de nier l’évidence, de dire aux masses qu’elles n’ont rien compris, de mentir soit disant utile, pour mieux se maintenir aux commandes d’un bateau ivre. On cherche donc une science du circonstanciel et du mouvant, là où tous nos concepts sont moulés dans la cire solide (Michel Serres). On cherche un nouvel Homme à la fois nomade et ancré, empreint de racines, futuriste en incluant le présent, omniculturel en spécialiste, omnicultuel en laïque.
C’est ça l’urgence, amis politiques !

*S. BAUMANN. La vie liquide. Ed. Le Rouergue Chambon, coll. « les Incorrects », 2006
**J.-L. SERVAN-SCHREIBER. Trop vite ! Pourquoi nous sommes les prisonniers du court terme. Albin Michel. 2010
***La débâcle : Chaque fin d'été austral (courant novembre-décembre), la banquise se retire sous l'effet du vent, des courants et des marées. Ce phénomène est spectaculaire puisque l'on peut observer de grandes plaques de glace se détacher de la banquise pour partir au large à la dérive.

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