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04/05/2011

MAKEOVER UNIVERSITAIRE

 

On nous ressasse la médiocrité du classement des universités françaises « selon l’échelle de Shangaï ».  Cela hypothèquerait notre avenir industriel et économique. D’où les plans Campus et Idex lancés par l’État pour redresser la barre. Foutaises qui font saliver les ambitieux de pacotille et les présidents impécunieux ! Ce miroir aux alouettes doit être dénoncé. Derrière le voile clinquant des millions (plus évoqués que réels) se faufilent tous les ingrédients du mauvais coup, alors que les vieilles universités recalées au concours de miss, tentent de se farder outrageusement pour ressembler à de jeunes stars et accéder au prochain palmarès. Makeover extrem !
1255.jpgMauvais coup relatif à un bien public fondamental : la formation des cadres performants selon une vision systémique de la société de demain et non pas seulement sous l’angle de l’employabilité, c’est à dire de la « chair à canon » pour les grands groupes multinationaux. On ressert à l’envi le vieux poncif consistant à railler les formations socio, psycho, philosophico comme autant d’impasses professionnelles. Même les entités académiques se servent de ce faux truisme pour mépriser certains de leurs pairs, dans une compétition larvée mais férine. Méfiez-vous toujours des évidences trop évidentes car, comme en criminologie, l’assassin n’est presque jamais celui sur qui pèsent le plus de doutes !
L’Université souffre de trois maux : fractionnement des disciplines, césure pédagogie-recherche, errance citoyenne.

1 Fractionnement des disciplines. L’excellence en France transite par une grille impérative : les sections du CNU*.  Ainsi la connaissance (l’ensemble des connaissances à ce jour) est classée en 77 cases. Chaque case préside au recrutement, à l’avancement des enseignants chercheurs. Hors de cette grille point de salut ! Impossible de transiger en se positionnant à cheval sur deux sections ! Quant à trois c’est carrément de l’utopie pure !! De section on n’est pas très loin de secte… et les comportements s’avèrent de cette essence. Vision analytique pure et intégriste qui n’a qu’un lointain rapport avec la réalité, économique, industrielle et  sociale. Il paraît cohérent au commun des mortels de dire qu’un bon (excusez-moi, excellent !) ingénieur (ou cadre) mobilise des connaissances scientifiques, technologiques, économiques, managériales, juridiques, psychologiques et communicationnelles, voire médicales et sociologiques. Les scientifiques qui président à la gouvernance des universités sont profondément contaminés par cette grille et, souvent inconsciemment, en font la clé de l’excellence. Pour être honnête le ministère leur suggère un peu plus de transversalité, de systémique dans leur projet. Mais de façon schizophrénique, puisqu’il maintient la grille CNU pour toute la gestion des postes et des promotions. Le serpent se mord la queue !

2  La césure Recherche-pédagogie (les majuscules sont révélatrice !) crée un clivage historique dans l’Université. Peu de gens savent qu’un universitaire n’a jamais reçu une minute de formation pédagogique. Pas une seconde même ! Recruté sur des critères de recherche, évalué et promu sur une logique très majoritairement nourrie par la recherche, le professeur d’université (ou le maître de conférences) enseigne comme il sait ou comme il peut ! Les nouvelles technologies pédagogiques ? Quésaco ? Allez dans les salles de cours, les amphis, vous constaterez que l’on n’est pas très loin de Jules Ferry : un tableau vert, de la craie et un laïus plus ou moins monocorde. Les étudiants ? Bof, il faut qu’ils se débrouillent de façon autonome. La méthode ? Quelle méthode ? Ils n’ont qu’à bucher comme nous on a fait ! Point. L’excellence c’est les cinq ou six pour cent de la promo pour qui on va vraiment s’impliquer, qu’on va vraiment chouchouter pour qu’ils fassent un DEA, voire une thèse,… dans notre labo. Le reste, « qu’ils se démerd…  avec ce qu’on leur donne». Les entreprises ? Ce n’est pas notre problème, nous on est des scientifiques, pas des bidouilleurs ! Le résultat de cette dichotomie conduit à un mépris assumé de l’enseignement au profit de la recherche dite « pure ». Celle qui aspire à l’excellence et qui  rejette à l’arrière plan la mission de formation des cadres qui pourraient être, pour les universités équitables, la vocation prioritaire. Je dis bien pure, car la recherche dite « appliquée », celle qui contribue à des innovations concrètes, ce n’est bon que pour les filières technologiques fussent-elles écoles d’ingénieur. Ainsi le document : « Les ambitions de l’université Montpellier 2 pour l’initiative d’excellence du site » (septembre 2010) ne parle pas un seul instant de l’ENS de Chimie, ni de Polytech’Montpellier qui, en son sein, représentent deux formations d’ingénieur de réputation internationale. Il est dit dans ce document « L’ensemble du potentiel scientifique présent à Montpellier se distingue par sa capacité à aborder, de façon originale et très complète, l’étude des problèmes qui se posent à l’homme pour assurer un développement durable et pour s’adapter au changement global dans un environnement qu’il contribue largement à modifier ». Il n’est pas dit que Montpellier II, sur un millier d’enseignants chercheurs, ne compte AUCUN poste de prof d’économie, aucun poste de droit, aucun poste de sociologie! Le développement durable va nécessiter un extrem makeover !

3 L'’errance citoyenne enfin. Quelle doit être la vocation du bien public** « université » ? Peut-on à la fois tutoyer l’excellence internationale, respecter les arcanes de la déontologie sociétale, (bien) former la majorité des cadres de demain, les préparer à un turn over d’emploi important, les rendre maître des grands enjeux scientifiques, politiques et sociaux,  assurer un soutien au développement local,… le tout à un coût défiant toute concurrence, notamment chinoise ? Evidemment non !! Cela nécessiterait des enseignants, mais aussi des personnels techniques, administratifs, des locaux , des matériels, des matériaux, de la communication, de la logistique… Donc y a ka, il faut, le gouvernement doit, la gouvernance de l’université peut, choisir l’objectif majeur qui va être poursuivi dans les cinq ans. C’est la solution « descendante ». Inversement, si ladite gouvernance universitaire se dote d’un projet clair et sérieux, elle peut négocier avec les collectivités territoriales, les banques, l’État, son financement… à l’échelle qui lui paraît pertinente avec les moyens mobilisables. C’est la solution « bottom-up » que pratiquent les grandes universités, ou les universités à vocation régionale (tout aussi légitime). Cela demande une stratégie qui hiérarchise les finalités : recherche ou formation ? aspiration mondiale, européenne ou régionale ? inséré dans un cluster ou non ? financement public, mixte ou privé ?…
Vous avez sans doute compris que les choses sont complexes, émaillées d’enjeux de toutes natures, de celui du plus égoïste prof carriériste au plus ambitieux dessein industriel, en passant par des turpitudes politiciennes et des jalousies d’égos. Alors, de grâce, ne nous laissons pas abuser par des annonces mirobolantes d’un État sans destinée ou les diktats grandiloquents d’édiles en mal de vision structurante, pas plus que par les atermoiements d’ inexpertes présidences d’institutions.
L’avenir d’une nation repose à la fois sur la qualité des élites dirigeantes, la qualification de la main d’œuvre disponible et leur intelligence collective. A tous niveaux. Dès lors mieux vaut des universités à taille humaine bien finalisées sur des missions à retombée régionale, aptes à construire des acteurs économiques structurés, adaptés aux enjeux économiques et sociétaux, capables de les maintenir au niveau tout au long de leur vie, que des utopies de gigantisme scientifique qui resteront implacablement des nains comparées aux usines universitaires chinoises, américaines ou même australiennes. Drew Gilpin Faust, première présidente de l'université d'Harvard, dénonçait récemment les effets délétères des "exigences d'évaluation des enseignements et de l'obligation de former la main-d'œuvre destinée à une économie mondialisée", et défendait les enseignements et les connaissances "parce qu'ils définissent ce qui, à travers les siècles, a fait de nous des humains et non pas parce qu'ils peuvent améliorer notre compétitivité mondiale".


* Conseil National des Universités : instance nationale qui se prononce sur les mesures relatives à la qualification, au recrutement et à la carrière des enseignants-chercheurs de l'Université française. Il est composé de groupes, eux-mêmes divisés en sections; chaque section correspond à une discipline. A ce jour il y a 77 sections.
** Ne pas confondre bien public (tutélaire) et bien collectif.
A cette fin voir http://www.journaldumauss.net/spip.php?article690

 

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