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20/02/2012

NOTAIRE, SALINIER, CORSAIRE

Il faut toujours se méfier des discours dits « incontournables » ! Ainsi, face au déficit commercial extérieur record, « on » nous serine que cela résulte d’un coût du travail trop élevé qui obèrerait nos exportations. « On » en déduit presque automatiquement qu’il faut baisser les taxes sur ledit travail, en les transférant le cas échéant sur les ménages (TVA sociale) CQFD ! Et si c’est insuffisant, eh bien il faudra baisser les salaires. Compris ?

Moi, qui ai un peu de bouteille, ce syllogisme me rappelle les belles heures de l’inflation. La cause de l’inflation ? Les salaires trop élevés, couinaient le MEDEF, qui s’appelait alors le CNPF. Jusqu’à ce qu’on démontre que la grosse partie de cette inflation provenait des patrons procédant à un calcul économique erroné dans leurs choix d’investissement. Les uns par méconnaissance (les petits), les autres par stratégie (les gros). La démonstration fit d’autant plus de bruit qu’elle fut statistiquement assénée par un libéral courageux, Alain Cotta*!

J’ai donc envie de faire mon petit Cotta en affirmant que, à la fois,  la désindustrialisation française et son manque de dynamisme extérieur résultent… d’une certaine incompétence des chefs d’entreprises autochtones. Ce n’est pas une insulte, je ne balance pas, j'informe, je ne critique pas, je constate, comme disait Audiard ! Je m’explique. 

Si « Nos entreprises sont insuffisamment présentes dans les technologies de l’information et de la communication, dans les biotechnologies et les énergies renouvelables, de façon générale dans les technologies nécessaires pour répondre aux défis des grandes tendances de l’économie mondiale »** ce n’est pas par hasard.CahierDexercicesPourLesPatrons_28062008_235749.jpg

Tout d’abord, la posture française en matière industrielle, résultat d’une situation protectionniste forte jusque dans les années Giscard, s’inscrit dans une exploitation du marché intérieur stable. On se situe, on gère et on se concurrence par rapport « au gâteau » existant. Le basculement vers l’entrepreneur innovant ne s’est vraiment jamais produit massivement. Ni dans l’innovation créatrice (invention de nouveaux produits), ni dans l’innovation différentielle (modification de produit existant). Contrairement à des pays comme la Grande-Bretagne ou les Pays scandinaves, la France accuse un retard dans la prise de conscience de l’importance de l’innovation au sens large. Aucune entreprise française n’est présente dans le classement des 50 entreprises mondiales les plus innovantes proposé par BusinessWeek/BCG. 23 % des entreprises françaises seulement réalisent des innovations non technologiques contre 51 % dans l’OCDE.

Ensuite, la population de ces chefs d’entreprise se compose de deux catégories : ceux qui ont été formés au management et les autres. Il est de bon ton en France de souligner la réussite des autodidactes : «Les dirigeants autodidactes sont souvent plus pragmatiques que ceux issus des grandes écoles, qui ont une vision plus stratégique de l'entreprise et abordent les problèmes en suivant un raisonnement appris sur les bancs de l'école», souligne J.-B. de Turckheim, associé chez Mazars, cabinet d'audit et d'expertise. Comme si le management était une manne tombée du ciel sur quelques têtes élues ! Résultat : une carence stratégique qui fragilise les qualités pragmatiques naturelles.

Même les chefs d’entreprise diplômés ne reçoivent pas un vrai apprentissage à un positionnement innovant. Majoritairement spécialisés en comptabilité, analyse financière ou marketing pour les formations « basiques » (BTS, DUT), il existe un déficit très important en « stratégie ». Quant à la catégorie élite (ENA, Polytechnique, HEC, Mines,…)*** elle se trouve écrémée par la finance (revenus beaucoup plus importants), l’étranger et la haute fonction publique, soit directement soit indirectement, c’est à dire dans ce dernier cas, que ces dirigeants privilégient l’aspect financier ou le réseautage politique (Proglio, Mariani, Levy, de Castries, Jean-Pierre Jouyet, Louis Gallois…)  quoiqu’à la tête d’un groupe industriel. Entre les deux, la catégorie « ingénieur » pâtit d’un mépris pour les sciences « molles » qui conduit les diplômés à être d’excellents scientifiques ou techniciens mais de piètres stratèges. Je peux en témoigner pour l’avoir subi !

Il se rajoute à ce bilan peu favorable, une inadéquation de l’enseignement largo sensu à générer des esprits innovants. Sans convoquer Bourdieu, on peut dire que nous sommes confronté à un enseignement « fracturé » par deux phénomènes. Un phénomène de normalité, c’est à dire de reproduction des schémas sociétaux, se raccrochant à des types d’apprentissages traditionnels et peu ouverts à la créativité. Un second phénomène, né de mai 68, prône un constructivisme débridé via la déconstruction préalable des savoirs. Au total un bilan hallucinant dans lequel chaque fracture détruit l’avantage que pourrait apporter l’autre. Ainsi les uns refusent la modernité jusqu’à l’absurde, les autres déconstruisent des choses qui ne sont pas encore maîtrisées. Les enseignants, sciemment ou souvent inconsciemment, s’inscrivent dans cette dichotomie en toute bonne foi. Les enseignés n’y trouvent ni motivation ni logique. Il faut donc un plan à long terme mariant le choix des secteurs à privilégier avec la promotion de compétences ad hoc. La mise en place d’un véritable programme de préparation des mentalités à la créativité industrielle (et plus largement sociétale) convoque des mutations profondes dans les objectifs, dans les dispositifs, dans les évaluations. Tellement profondes que l’on s’interroge sur le caractère utopique. On vérifie ainsi la rapidité de la perte d’une position  correcte (trente ans) par rapport à la longueur et l’improbabilité du rattrapage. S’inscrivent là en pleine lumière les dégâts du court-termisme libéral ! Et l’inanité des mesures conjoncturelles en palliatif de ruines structurelles.

La relance de l’industrie en France appelle donc ce changement profond dans tous les échelons des apprentissages en amont de la formation des élites dirigeantes. Il y en a pour deux générations (certains disent quatre !) dans le meilleur des cas et à condition que tout le monde s’y mette. Pour illustrer selon une métaphore disons qu’il faut(drait) parvenir à l’équation suivante: apprendre en notaire, sentir en salinier****, agir en corsaire. Notaire quant à la structuration normée, l’acquisition des codes et procédures et savoirs qui régissent la vie sociale (notamment essence du droit), salinier quant à « sentir » de façon pertinente le contexte, l’atmosphère, les opportunités, corsaire quant à l’art d’exploiter des situations. Sachant que chaque acte accompli s’avère source d’expérience donc de savoir (feed back positif).

Alors, il est évident que la bataille comptable que se livrent les candidats pour fixer le taux de ceci ou cela semble bien dérisoire. Certes il faut faire face au quotidien. Mais la véritable grandeur de la Politique reste de prévoir et de tenir cette détermination. Rien, ou pas grand chose, ne rassure sur ce plan l’électeur citoyen français.

Bonne chance la France industrielle !

* Alain Cotta. Inflation et Croissance en France depuis 1962, Presses universitaires de France, 1974
** Huit priorités pour dynamiser l’innovation en France Association des Centraliens.
*** voir sur ce point : Irène Bellier. Regard d'une ethnologue sur les énarques. L'Homme Année 1992. Volume 32.  Numéro 121
****Les saliniers, en Camargue, étaient des personnes vivant en permanence dans les marais salants et chargées de gérer les dispositifs hydrauliques (notamment les vannes) pour équilibrer les entrées d’eau. Cette optimisation résultait de connaissance du terrain et des phénomènes naturels mais surtout de sentir (donc d’anticiper) les changements de vents, les orages, les coups de mer,…

l’illustration représente la couverture de la BD, Cahiers d’exercices pour patrons. (ouvrage collectif).Editions Carabas. 2008.