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10/02/2015

L'INCERTITUDE RADICALE

Personne ne l'avouera – et surtout pas les dirigeants (de pays, de multinationales, de PME)! – mais le monde qui nous concerne s'avère INCOMPRÉHENSIBLE dans sa totalité, et encore plus dans son avenir. J'entends par là l'impossibilité d'en connaître tous les rouages, mécanismes,… voire même d'en connaître suffisamment pour le réguler efficacement. Le critère majeur s'avère donc l'INCERTITUDE généralisée. Mais l'homme social répugne à se trouver face à cette incertitude et, par la même, à assumer son ignorance relative. Alors il se ment. Après Jung et son inconscient collectif, Freud, l’École de Palo Alto, Didier Anzieu, Jean-Bertrand Pontalis, René Girard, René Kaës… et quelques autres se sont penchés sur ce problème. Globalement, face à ladite ignorance, l'homme social a inventé des STRATAGÈMES : la fausse certitude fantasmagorique, la fausse certitude scientifique, et le mimétisme. Ces stratagèmes restent plus ou moins conscients pour chacun et l'on parle de CROYANCES. C’est en effet de notre entendement du monde que nous tirons les options à envisager et les décisions à prendre. Ces croyances orientent nos comportements, nos actes, nos paroles, et plus largement la façon dont nous interagissons avec les autres. Bref, notre vie. Envisageons les stratagèmes:

- La fausse certitude fantasmagorique est produite dans les sectes, dans les religions (à distinguer de la foi intérieure qui est une option métaphysique individuelle sur le réel) qui visent à imposer une "vérité" cohérente de l'Univers et un code comportemental convenable*. La religion comme réalité inventée, s'avère ce que l’humain fait de mieux depuis  la nuit des temps pour vaincre son rejet de l’incertitude. C’est sur ce stratagème que la religion a pu construire son influence sur les masses. On pourrait penser que les approximations historiques ou scientifiques érodent progressivement ces discours. Or, ce palliatif religieux, quel qu'il soit, manifeste un regain sensible à mesure que nous évoluons alors que, normalement, ce devrait être le contraire. Cela témoigne de l'impéritie des autres types de "projets" laïques mis à disposition et censés éclairer et motiver l'opinion. Les prêtres et les gourous (voire les charlatans) font ainsi florès en développant un prosélytisme (marketing) compétitif de leur "recettes" de bonheur.

- La fausse certitude scientifique, elle, "apporte la preuve" soit disant irréfutable… mais à l'aune de ses avancées ou de ses postulats ou axiomes fondateurs (controverse Bohr-Einstein, géométrie euclidienne,..). Ainsi la médecine affirme, puis se rétracte, puis dit sensiblement le contraire… Que dire des "sciences molles" (psychologie, sociologie, économie,…) qui usent, elles, de paradigmes! Nos croyances formelles nous enferment dans un schéma de pensée qui nous apparaît logique, irréfutable, alors qu’il existe bien d’autres façons d’envisager les choses. Même les mathématiques souffrent des variantes fondamentales. C'est via ces dogmes imposés comme vérités scientifiques que les innovations ont du mal à émerger et que les dominantes perdurent. Notre imagination est restreinte et nous nous enfermons dans des impossibilités fallacieuses.

- Le mimétisme offre une voie plus banale pour le quidam: il consiste à adopter l'avis de la majorité du groupe environnant et de le tenir pour vrai, mordicus. On "convient" d'une représentation sociale triviale à laquelle on va se référer par défaut**. Bien sûr, cette posture correspond à beaucoup plus d'individus, ceux qui n'ont ni temps, ni envie, ni capacité d'entreprendre des controverses fondatrices. D'autant plus d'ailleurs que les "maîtres" des deux premières catégories n'ont vraiment aucun intérêt à ce qu'ils le fassent!! Ah, les délices de l'obscurantisme pour les puissants, prêtres, docteurs, savants et autres théologiens!

Bon, redescendons un peu pour appliquer ce propos à l'économie. L'incertitude radicale règne sur ce monde et l'incapacité à prévoir les tsunamis financiers en fait témoignage. Alors on utilise une "certitude scientifique" qui se nourrit de prix Nobel bien pensants, que l'on impose via un matraquage médiatique ciblé, et que l'on enracine via une reproduction encadrée des élites. Vous avez compris que j'évoque la théorie néolibérale, qui est relayée dans le discours universitaire, télévisuel, journalistique, voire artistique. Elle apporte "la vérité" (révélée par le gourou Milton Friedman) quant au fonctionnement du système et tout autre discours relève de l'hérésie pure et simple. Au delà, le mimétisme prend le relai: d'abord grâce à l'obscurantisme dans lequel les masses sont tenues du fait que les bases de l'économie ne sont pas enseignées à l'école. Comme je le dis souvent, on apprend aux gamins la production de blé de l'Ukraine ou du Saskatchewan mais aucunement la nature de la monnaie ou le fonctionnement des marchés. Ensuite, comme le discours assène majoritairement le même évangile, le brave peuple (sans mépris aucun) se range plus ou moins, selon un curseur fonction de l'habitus, sur cette "vérité" venant répondre à l'incertitude de chacun. P. Bourdieu est de ceux qui ont poussé le plus loin l’analyse de ces phénomènes de convergence comportementale "désintentionnalisée".2955474339_1_5_OStsF8Wc.jpg

Bon, descendons encore d'un cran pour atteindre le niveau de la mécanique d'exclusion dont jouent les croyances. Il vous a certainement échappé qu'une nouvelle section d'économie devait être créée au CNU (Conseil National des Universités) pour contrecarrer l'hégémonie trop visible de l'actuelle cinquième section (Economie)***. En un mot, cette dernière instance ayant pour fonction le recrutement et la promotion des enseignants-chercheurs du supérieur de la spécialité, bloque quasi systématiquement les candidats "hétérodoxes", c'est à dire qui n'épousent pas exactement les arcanes néolibéraux. Entre 2000 et 2011 seulement 10% des recrutés-promus relèvent peu ou prou de ce courant (rapport AFEP). La boucle se trouve ainsi bouclée, la reproduction élitaire verrouillée puisque ces professeurs d'obédience néolibérale, pléthoriquement majoritaires, "tiennent" les labos de recherche et orientent lesdites recherches. Vous allez dire, "Bravo! Le pluralisme va s'améliorer avec cette nouvelle section"! Voire. Cette potentielle new section, un peu fourre-tout, n'eut fait, le cas échéant,  que masquer la turpitude. En effet il eût suffi aux présidents d'université de ne pas ouvrir de poste étiqueté sous cette nouvelle rubrique et le tour était joué. Mais c'en était encore trop pour les maîtres de la discipline! Un crime de lèse majesté! Alors, les lobbies le la pensée unique se sont agités tout azimut… et le projet de la nouvelle section a reçu un enterrement de première classe. Passez muscade, tout va très bien! Et le noyautage de la discipline économique (à l'université, dans les écoles de commerces, à Sciences Po, à  l'ENA, etc) suivra son cours. Des profils "indépendants" tels celui de Bernard Maris récent martyre de Charlie Hebdo seront implacablement écartés.

Descendons enfin au niveau du Café du Commerce. En France, le scientisme totalement inventé des néolibéraux, travesti en religion économique, s'avère très facile à vulgariser, contrairement à ses contradicteurs (voir les efforts désespérés d'un Mélenchon). Lenglet et ses graphiques, Fiorentino et ses mépris hautains, Michel Godet et son gros bon sens,… font recette lors des émissions grand public. On utilise l'exemple du ménage pour parler de l'État. On compare des stocks et des flux… Et il s'établit "naturellement" un manichéisme basique entre les gentils libéraux et les méchants étatistes. Dès lors, la cible émissaire est désignée et haro sur elle.

L'économie a pour seule vertu de provoquer un débat sur l'état et le devenir de la société dans la contingence d'une incertitude radicale. Elle n'a pas de solution clé en main. L'affirmer ou le laisser croire relève de l'escroquerie politico-intellectuelle, d'un oukase religieux dangereux comme un appel au djiad.

 

* comme par exemple la charia
** on parle par exemple du courant économique des conventions: Jean-Pierre Dupuy, François Eymard-Duvernay, Olivier Favereau, André Orléan, Robert Salais et Laurent Thévenot.
*** je vous en ai déjà entretenu le 16/06/2014. Voir la note: IL FAUT SUPPRIMER LA CINQUIÈME SECTION!