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31/03/2015

DÉMOCRATIE D'APPARENCE

La lutte contre la royauté jadis, la terreur du communisme ensuite, l'effroi de l'islamisme radical aujourd'hui, érigent la démocratie en ultime rempart contre les fanatismes de tous poils.

Et si ça ne marche pas bien, on dit que c’est la faute d'un personnel politique cupide ou partial. On fait donc les campagnes électorales en proclamant haut et fort qu’il faut remplacer les mauvais politiciens en place par des bons à venir. Les partisans de gauche accusent les partisans de droite et vice versa. On dit qu’il suffit de bien voter et de faire des lois justes, plus de réglementations équitables, accorder davantage de droits économiques et sociaux… et que tout ira mieux. On dit qu'il faut plus d'ordre, que les déviants doivent cesser de dévier... Surtout ne pas critiquer la démocratie… ou alors si peu. « Voter est un devoir! » assènent aussi bien les élites politiques que les militants moutonniers. « Nos ancêtres sont morts pour ce droit », ressassent les vertueux du Café du Commerce entre deux pastagas. Et si "les gens" s'abstiennent, "Y-a-Ka les obliger" ! Pourtant, la démocratie c’est la grande illusion au mieux, la grande escroquerie au pire, de notre époque.

Dans ce déni à peu près général, on ne soulève pas les vrais problèmes qui se situent, à mon avis, derrière la façade. Cette dernière maintient l'illusion que le peuple a la responsabilité de son destin (!?!?) et ce, grâce au fait que, de temps à autres, il va voter, selon la définition générique de la démocratie «arrangement institutionnel pour parvenir à des décisions politiques, dans lequel les individus acquièrent le pouvoir de décider au moyen d'une lutte concurrentielle via le vote du peuple »*. Voter,  la belle affaire! Une voix pour un parti, ayant investi un(e) représentant(e), voire deux, qui, une fois élu(e), suivra impérativement les ordres dudit parti. Ou fera le contraire de ce qu'il a annoncé  (suivez mon regard).

Derrière cette (mince) façade, une bureaucratie représentée par une "élite d'État" possède les vrais pouvoirs et donc les leviers de commande. Hauts fonctionnaires, hauts magistrats, hauts financiers… Cette hight bureaucracy ne résulte pas d'un manque de démocratie mais provient du fonctionnement démocratique lui-même. Avec la complexification du monde d'aujourd'hui, la gouvernance ne saurait être laissée aux mains d'incompétents fussent-ils élus. Dès lors ces derniers représentent des prête-noms, des alibis qui jouent en public le rôle de décideurs quand les vraies décisions sont prises par cette "élite d'État". Comme le système perdure depuis belle lurette, certains ont tout compris arrivent à circuler d'un camp à l'autre (E. Macron, C. Guéant,..), ce qui contribue au flou artistique livré au quidam citoyen. D'autres deviennent des élus-fonctionnaires plus ou moins à vie, jouant la comédie selon leur intérêt lato sensu.

Comment se déroule le processus ? L'administration des choses publiques, aux différents niveaux de ce qu'il est convenu d'appeler le millefeuilles, a été progressivement rendu illisible pour un non initié du fait d'un maquis de lois, règlements, codes, procédures,... toujours plus dense. Parallèlement, les finances mises en jeu ont atteint des niveaux qui vont de conséquent à pharamineux. Dans Bureaucracy and Representative Government, William Niskanen invente le concept de Budget-maximizing model, selon lequel tout fonctionnaire a intérêt à maximiser son budget, ne serait-ce que pour augmenter son pouvoir. Une conséquence importante de cette complication et de ce modèle est, qu'en cherchant à maximiser leurs budgets d'une part, en mettant en avant leurs expertises d'autre part, les hight bureaucrates ont fini par l’emporter sur les élus qui sont progressivement marginalisés. On trouve là les ressorts qui font le lit du contrôle croissant de l’administration sur l’élaboration des politiques publiques. Résultat, la nov démocratie se scinde en deux champs : le champ du discours que certains appellent « le forum » et le champ de l'agir, « la bureaucratie ». Les élus s'agitent dans le premier espace, mais n'ont qu'une participation réduite au second même s'ils « font comme si ». Paradoxalement, cette exclusion des élus s'avère de plus en plus forte à mesure que l'on monte dans la hiérarchie du mille feuilles. La BCE (Banque Centrale Européenne) en représente l'exemple ultime, puisque les élus ont été volontairement écartés de cet organisme majeur gérant la finance européenne. Afin, dit-on, qu'ils ne perturbent pas la  raison européenne  avec des avis nationaux. Dans son ouvrage « Les partis politiques » Roberto Michels souligne que ce phénomène se produit quel que soit le mode de production choisi (capitalisme ou socialisme). A chaque fois, souligne-t-il, un processus de bureaucratisation conduit un petit groupe de dirigeants à s’autonomiser et à faire passer ses intérêts avant ceux du reste de la société. Il existe ainsi « une loi d’airain de l’oligarchie » qui rend la bureaucratisation inéluctable, tout en conservant aux élus un « jeu de vitrine » bien pratique.  « Lorsqu'ils arrivent au pouvoir, nos élus sont encadrés par des énarques qui ont patiemment et soigneusement verrouillé les principaux postes décisionnels, dans les cabinets présidentiels et ministériels, ainsi qu'à la tête des administrations majeures. Au sein des dix principaux ministères, neuf directeurs de cabinet sur dix ont fait l'ENA. C'est aussi le cas de huit directeurs de cabinet adjoints » nous témoigne Jean-Michel Fourgous (L'Elite incompétente. Edit. L'archipel). On retrouve les mêmes verrous dans les Conseils Régionaux, Départementaux, Métropoles, Mairies,... On décrit ici la technostructure, analysée par J. K. Galbraith, combinant les centres de pouvoirs où se concentrent des ingénieurs, des experts, des communicants, des lobbyistes, technostructures qui, selon Wright Mills « s'interpénètrent d'une manière croissante avec une élite polyvalente qui aboutit au règne de la techno-démocratie dirigée par un directoire néo-capitaliste qui s'appuie sur de vastes ensembles et consortiums économico-financiers ».TECHNO.jpg

Cette dichotomisation de la démocratie me semble incontestable. Au delà, la question reste de savoir s'il s'agit d'un bien ou d'un mal. Je vais faire hurler les démocrates pur jus mais je rappelle que si, dans la tradition libérale et marxiste, la bureaucratie est connotée de manière négative, elle constitue au contraire pour Max Weber, un dispositif de  gestion rationnelle efficace et abouti. En effet, d'un côté on a un groupe qui a été élu sans référence aucune à ses aptitudes managériales, de l'autre des fonctionnaires triés sur le volet des grandes écoles (ENA, Polytechnique, Sciences Po,...) et donc experts en gouvernance. Dans l'absolu, à qui vaut-il mieux confier la gestion des intérêts collectifs ? Simplement il suffit de le révéler, de le reconnaître.  Notons tout de même que l'on est passé d'une bureaucratie d'organisation à une bureaucratie de réseau, beaucoup plus fluide donc beaucoup moins discernable. D'une bureaucratie de valeurs à une bureaucratie de connivences. Comme le dit Georges Khal** «  Si la gestion a mauvais nom, c'est qu'on l'a violée ».

Au bout du compte, si cette « oligarchie masquée » conduit à un consensus correct (ou simplement acceptable), tout va bien (ou pas trop mal). Sinon, on observe une fracture entre le pouvoir et « le peuple » (les classes moyennes) se manifestant d'abord dans les urnes. Mais cela ne change rien car la bureaucratie verrouille (champ du pouvoir) et l'image perçue paraît l'entêtement des élus (champ du forum). Puis se traduit par l'abstention massive, puis dans des formes plus « révolutionnaires ». Ces formes ne revêtent pas forcément l'image d'Épinal de « la Liberté guidant le peuple » mais  remettent en cause plus ou moins violemment le système en place (printemps arabes, Grèce,..). L'avancement du processus se mesure par la distance entre le pays « légal » et le pays « réel ».

En France, nous en sommes encore à la phase précédente.

 * Joseph A. Schumpeter. Capitalisme, socialisme et démocratie . Payot.
** Georges Khal. Pour une cybernétique de la démocratie. Encyclopédie de l'agora. 2012-04-01.

 

09/03/2015

RUGBYLEAKS

Les lanceurs d'alerte ne sont pas rois dans le Monde mondialisé, globalisé, robotisé actuel. Pas même princes, ni seulement respectés. Ce monde, par ailleurs totalement dingue, n'admet pas que de braves individus aillent soulever le tapis et surtout pas qu'ils publient sur les saletés qu'ils y découvrent, bien planquées aux regards des quidams. Quidams qui, quoiqu'il arrive, restent les dindons de la farce au bout du bout de l'histoire. Le couvercle de la marmite est réputé inviolable et seuls les initiés peuvent à peine le soulever. Pour tous les autres, circulez, il n'y a rien à voir! Chez nous, Tout va très bien, madame la marquise, Tout va très bien…!

Les (rares) courageux qui enfreignent cette omertà sont pourchassés, vilipendés, trainés devant les tribunaux, harcelés… avec une brutalité, une férocité que l'on ne réserve qu'aux criminels barbares. Traitement de choc pour avoir dénoncé d'énormes magouilles financières, des dangers chimiques ou médicamenteux, des trafics juteux, des escroqueries,… portant atteinte à l'intérêt public. Pourtant Edward Snowden dénonçant les programmes de surveillance intrusive de la NSA, Hervé Falciani mettant en exergue les magouilles "SwissLeaks", Antoine Deltour gentil garçon divulguant, via "LuxLeaks", des centaines d’accords permettant aux multinationales de pratiquer l’évasion fiscale, Denis Robert révélateur de l'affaire Clearstream, Irène Frachon claironnant en vain le danger létal du Mediator, Stéphanie Gibaud montrant la retape de la banque UBS pour appâter de riches clients  français*…. ont tous rendu service audit intérêt public. Pas un(e) n'a reçu une reconnaissance quelconque, pas le moindre euro, pas le moindre médaille, pas la moindre mise en valeur! Mais, par contre des ennuis de boulot, judiciaires, familiaux, des salissures sur leur personne voire sur leurs proches. Certains sont privés de liberté, de travail, de calme! Si je vous rappelle tout cela ce n'est point pour rajouter une couche mais pour appeler de mes vœux la mise en place d'une commission indépendante capable de traiter convenablement les cas de ces vigies citoyennes en leur évitant les pressions et au delà. La Cour Européenne des Droits de l'Homme recommande d'ailleurs aux Etats membres de disposer d’un cadre normatif, institutionnel et judiciaire pour protéger les personnes qui, dans le cadre de leurs relations de travail, font des signalements ou révèlent des informations concernant des menaces ou un préjudice pour l’intérêt général. A cette fin, elle énonce une série de principes destinés à guider les Etats membres lorsqu’ils passent en revue leurs législations nationales ou lorsqu’ils adoptent, ou modifient, les mesures législatives et réglementaires qui peuvent être nécessaires et appropriées dans le cadre de leur système juridique. Ceci vaut "non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou une fraction quelconque de la population".

Or, et c'est pour ça que j'en parle, la réalité semble tout autre: dans la "banaste" de la loi Macron, l’article 64 prévoyait de punir quiconque prend connaissance, révèle sans autorisation ou détourne toute information protégée au titre du secret des affaires d’une peine de trois ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende. La tentative à échoué mais montre que certains œuvrent dans ce sens. Car ce terme "secret des affaires" est à rapprocher du secret bancaire, qui a permis d'envoyer en prison : Brad Birkenfeld (UBS), Rudolf Elmer (Julius Baer), Hervé Falciani (HSBC),… pour avoir dénoncé blanchiment et fraude fiscale.  J.-L. Roumégas le député écologiste du coin "ne se souviens pas qu’il y ait eu des réactions ou des discussions au sein de la commission. Cela s’est passé très vite". Or, en utilisant des définitions aussi floues, on peut se demander quelle information ne serait pas concernée. Bien plus que des concurrents malveillants, les journalistes d'investigation et les lanceurs d’alerte pourraient être visés par de telles décisions.Poteau.jpg

Mais la turpitude de la loi n'est pas seule en cause. Les tribus** concernées font fréquemment front afin d'empêcher que des informations gênantes pour leur groupe ne  transpirent vers le public. Cette omertà  catégorielle se manifeste actuellement dans le monde du rugby.

Un lanceur d'alerte, et c'est pour ça aussi que j'en parle, déjà connu pour ses révélations concernant le cyclisme, Pierre Ballester, dénonce le dopage dans le monde de l'ovalie. Son bouquin, "Rugby à charges. L'enquête choc" (Ed. La Martinière. 2015)  rapporte, via des témoignages autorisés, que ce  sport est gangréné par la prise de produits interdits mettant en danger la santé des pratiquants. Pour les initiés, le scoop ne surprend nullement! La prise de médocs ne date pas d'hier! Je me souviens lors d'une demie finale ASB-Agen en 1962 pour laquelle, jeune spectateur, j'étais juste derrière les buts, avoir vu les yeux révulsés et la bave aux commissures des lèvres des joueurs. Un international de l'époque, qui en gardait un souvenir douloureux, m'a raconté comment, pour pouvoir jouer contre les Springboks alors qu'il était blessé, il avait été "traité" par le médecin de l'équipe. Aujourd'hui, dans un sport difficile, exigeant physiquement, où il faut être "plus musclé, plus rapide et plus fort",  la tentation s'avère grande de "s'aider". Plus ou moins, beaucoup plus ou beaucoup moins, beaucoup trop,… Le cyclisme n'est pas loin et l'étrange "docteur" Camborde*** vaut sans doute bien le "docteur" Saiz sans parler d'autres "préparateurs physiques" au rôle ambiguë. Les règlements et institutions censés réguler la chose restent relativement inopérants tant par difficulté technique (les drogues vont plus vite que les tests, le gendarme est toujours plus lent que le voleur) que par une certaine tendance à "ne pas trop stigmatiser" ces façades médiatiques que représentent les sports de haut niveau. Face à Ballester, l'omertà catégorielle se manifeste pleinement. Moscato, Charvet, Simon, Saint André, Laporte, Galthié, les anciens internationaux "qui causent dans le poste", poussent des cris d'orfraie ou minimisent la chose. M. Boudjellal, interrogé raille: "Ballester, ça rime avec Trierweiler!". Je trouve cette levée de bouclier indigne. Quand on voit la prise de muscles hyper rapide, la récupération accélérée, la fragilité de certains éléments,… on ne peut douter que ce n'est pas le résultat strict de cassoulet et d'eau pure. Alors reconnaissons que les prises de "compléments alimentaires" ou "d'adjuvants de forme" peuvent se faire sous contrôle médical dans les grands clubs ou dans les clubs sérieux. Cela n'empêche pas les auto-traitements hasardeux, les "filières" hors club, le bouche-à-oreille Internet, où la liberté et la responsabilité individuelle prédominent****. Mais surtout, le mal s'étend aux catégories de jeunes dont on connaît l'impatience et l'insouciance. Il s'avère aujourd'hui courant que les éducateurs d'équipes de juniors donnent aux joueurs une liste de produits à s'administrer. Les centres de formation s'avèrent des pharmacies XXL...

Bon, peut être enfonçai-je des portes ouvertes! Peut-être que l'on vit dans un monde où la normalité des choses et des gens n'a plus cours. Que la démesure (des revenus, des performances, des idées) est devenue le Graal et justifie la débauche des moyens. Permettez ici de me souvenir d'un certain Dr Lucien Mias, gérontologue inventeur du terme humanitude qui disait "l'humain est un animal particulier... L'humanitude est l'ensemble de ces particularités : Le rire, l'humour, l'intelligence conceptuelle, la verticalité, l'habit, la modération, la socialisation: famille, repas etc,." Ah oui! L. Mias était aussi capitaine de l'équipe de France de Rugby! Il y a longtemps!

 

* voir Florence Hartmann. Lanceurs d'alerte. Ed. La Découverte
** au sens de Michel Maffesoli
*** S. Tillous-Bordes, M.Mermoz, F.Sid, A. Boutaty, D.Roumieu, M. Baget, F. Barcella , J. Thion, P.Albacete notamment, ont été suivis par Alain Camborde
**** Le principe de responsabilité individuelle ne peut être abdiqué en raison des actions des entraîneurs ou conseillers médicaux ou de toute autre personne associée à la Fédération du Joueur ou à son Equipe. Keep Rugby Clean : Position de World Rugby sur les compléments alimentaires.