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07/03/2016

GATTAZISATION HEMIPLEGIQUE

Supposons que l'on se trouve dans un stade d'athlétisme. Une équipe de 3.000 mètres steeple s'entraine. Ces derniers temps, ces membres n'ont pas beaucoup gagné de courses et de plus ils figurent de plus en plus mal dans les classements. Le président de la fédération, (un petit homme replet avec des lunettes) aimerait bien que cette courbe de résultats s'inverse. Les entraineurs et coaches se plaignent d'un manque de compétitivité de leurs poulains et invoquent la concurrence non équitable de la part des Kenyans, des Ethiopiens, des Chinois,… Mais le président qui fait la pluie et le beau temps (la pluie surtout!) ne veut rien entendre!

Alors les coaches proposent de baisser en catimini la hauteur des haies. Ou alors de raccourcir pour leurs émules de 3.000 à 2.850 mètres. Ou bien de réduire la rivière (49x3)… Mais surtout pas d'aborder le problème de leur expertise, de leurs professionnalisme!  Pas plus que le savoir-faire des élus de la fédé et, par conséquent, du président.

Là, vous vous dites "C'est absurde!". Il faut aussi, c'est évident, regarder du côté des qualités des coureurs et donc peut être les rendre plus efficaces, plus compétitifs. Les mieux former en quelques sortes. Certes, mais il s'avère nécessaire et honnête de s'interroger également sur la compétence des coaches, de leurs méthodes, de leur aptitude à motiver les performers. Sans parler de la pertinence des dirigeants à fournir les cadres nécessaires.

Cette métaphore sportive illustre à merveille l'état de l'économie française. Perte de compétitivité, chômage,… envie d'inverser la courbe des choses… et voyage en absurdie quant aux pseudos solutions évoquées ou proposées. On veut baisser les haies (impôts et taxes), raccourcir la distance (le temps d'indemnisation), supprimer la rivière (l'autorisation de licenciement)… Mais jamais on ne parle vraiment de la qualité des coaches, c'est à dire des patrons, managers et autres employeurs (j'élimine pour simplifier la formation des employés et celle des élus). Sont-ils vraiment compétents? Sont-ils vraiment formés aux nouvelles méthodes? Ont-ils véritablement une aptitude à la motivation de leurs équipes? Utilisent-ils les bons ressorts pour impliquer les ressources humaines? Maitrisent-ils des arcanes du management innovant? Tout cela paraît tabou. Faites une expérience intéressante: aller sur Google et essayez de trouver un tableau présentant les qualifications des chefs d'entreprise (par secteurs, par région,..). Hormis pour les artisans, vous n'en trouverez (quasiment) pas. Or n'est-il pas légitime de s'interroger (aussi) sur la qualification des dirigeants d'entreprise et leur responsabilité potentielle dans le manque de compétitivité de l'économie  française? Cela me remémore le temps où le mal incarné était l'inflation (années 60/70). On invoquait toutes les causes possibles… hormis les calculs économiques biaisés des chefs d'entreprise… jusqu'à ce qu'Alain Cotta sorte un livre* dénonçant clairement la prépondérance de cette composante.

Une étude de l’INSEE menée en 2006, indique qu'en France, 12% des entrepreneurs ne disposent d’aucun diplôme et 46% des dirigeants sont titulaires d’un bac, bac pro, BEP, CAP ou BEPC, moins de 60 % des néo entrepreneurs sont titulaires d'un diplôme de 2e ou 3e cycle et seuls 8,4 % d'entre eux sont issus d'une grande école… Est-ce à dire qu'être chef d'entreprise cela ne s'apprend pas? Un discours convenu et fallacieux revient en boucle pour mettre en exergue les "success stories" de grands patrons sans le bac (Altrad, Niel,…). Majoritairement on estime que le diplôme n'est que la cerise sur le gâteau de "qualités qualitatives" innées. Il existe dans cette opinion une part de vérité, mais seulement une part. Mon expérience** me fait dire qu'en France les chefs d'entreprise présentent très souvent un profil "déséquilibré" c'est à dire dans lequel une compétence écrase toutes les autres. Par exemple on a de très bons professionnels d'un métier mais négligeant le marketing et/ou l'aspect financier et/ou la gestion des R-H ***. Et inversement.

Questions.jpgLes grandes carences françaises se situent d'abord dans la fibre innovatrice. Peu de firmes (même de très gros calibre) possèdent un dirigeant qui insuffle dans son organisation la culture et la passion de l'innovation. Je parle d'innovations technologiques (numérisation par exemple), innovations organisationnelles (qualité, partenariat), innovation sociale (gestion et motivation des R-H), innovation "verte" (environnement) et plus si affinité. Toutes choses qui induisent une compétitivité "de positionnement" ou de niche. La référence française reste l'esprit grégaire, "copier ce qui marche", "faire ce qu'on sait faire", "se contenter de faire un peu plus mal qu’avant pour beaucoup moins cher". Cette faible inclinaison innovante s'avère une carence majeure des entreprises de moyenne importance. Le Crédit d’Impôt Recherche (CIR) censé booster cette tendance bénéficie majoritairement aux grands groupes plutôt aux PME-PMI qui en auraient grand besoin.

L'aversion du risque apparaît comme le second handicap. Et il se manifeste surtout dans la frilosité à investir, d'autant plus que les banques ne facilitent pas la tâche! L'ambiance de crise qui domine ne pousse pas non plus à surmonter cette aversion.

L'obsession du coût enfin, brouille la considération d'un investissement dans la ressource humaine, via des formations qualifiantes et également innovantes. 

Bon, on comprend sans développer davantage que le dirigeant français moyen n'est pas un foudre de guerre managérial, ou qu'il s'avère un peu difforme quant à son management (trop ceci, pas assez cela)! La faute originelle en revenant, avant tout, à un enseignement de base, secondaire et supérieur totalement déstructuré en la matière. Ledit management n'est jamais intégré à la formation volontairement spécialisée, que cette dernière soit scientifique, littéraire, médicale, financière, juridique...

Résultat, la stratégie MEDEF/CGPME obnubilée par la baisse des salaires, la réduction des charges et l'édulcoration du code du travail s'avère hémiplégique en occultant strictement l'exigence concomitante de qualité du patronat.

Or, baisser la condition du salarié de qualification banale peut même se retourner contre ces acteurs patronaux en poussant à l'ubérisation de plus en plus de précaires. Mal payé et doté d'un statut improbable, le travailleur va tenter de se "rattraper" dans des emplois alternatifs. La possibilité de faire appel à des ressources (temps et compétences) sous utilisées ou sous payées de façon quasi immédiate et via une infrastructure minimale rend alors possible une offre à prix incomparable. L’utilisation de la plate-forme ubiquitaire du smartphone pour fournir du travail et des services dans un grand nombre de nouveaux modes va remettre en question de nombreuses hypothèses fondamentales du capitalisme du XXème siècle****.

En panne de qualités managériales et innovatrices les chefs d'entreprises de l'ère Gattaz appartenant sciemment ou non, par calcul ou par contagion, à un capitalisme prédateur vont se trouver noyés dans un flot d'innovations déstructurant les intermédiaires et accélérant les services, tout en multipliant les offreurs, grâce à l’informatique ubiquitaire.

L'arroseur arrosé en quelque sorte!


* Inflation et croissance en France depuis 1962. Alain COTTA. Presses universitaires de France, 1974
** Trente ans de suivi  d'ingénieurs stagiaires, vingt ans d'acteur de développement économique territorial,…
*** Par ailleurs les habitus comportementaux définissent des profils. Les théoriciens* distinguent quatre profils de dirigeants à partir de leurs objectifs: l'indépendance (« senior citizen » et « idealist ») ; l'enrichissement (« swinger ») ; la sauvegarde du patrimoine familial (« idealist ») ; l'ouverture vers des partenariats financiers externes (« workhalic) ; l'ouverture sur des partenariats externes autres que financiers (« hi-flyer »). SIU (Entrepreneurial typology : the case of owner-managers in China », International Small Business Journal, volume 14, n°1, octobre-décembre. Et JULIEN P.-A. & MARCHESNAY M., L’entrepreneuriat, Economica, Gestion poche. 1996
*** Workers on tap. The rise of the on-demand economy poses difficult questions for workers, companies and politicians. The Economist. 3 Janvier  2015