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29/04/2016

PRAXIS TOXIQUE EN POLITIQUE

On ne se rend pas toujours compte, mais la France possède une des plus fortes concentrations du pouvoir politique des pays dits avancés. Un seul personnage (le président de la République) détient l'ensemble des prérogatives sans véritablement de partage, les assemblées parlementaires s'avérant des chambres d'enregistrement la plupart du temps (la loi sur la perte de nationalité étant l'exception confirmant la règle), hormis en période de cohabitation. La Vème République a été conçue dans ce sens pour pallier l'instabilité du parlementarisme outrancier de la IVème.

A l'usage, il faut alors s'interroger sur les risques que cette situation induit et, en premier lieu, la dérive due à la psychologie de l'individu porté au plus haut de la pyramide, la dérive possible vers l'état de "bad leader".

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On appelle ainsi les personnages qui, en situation de détenteur du pouvoir, ont une tendance forte à influencer et abuser les gens relevant de leur autorité en utilisant une vaste panoplie de moyens directs ou détournés, tous moralement condamnables, et conduisant à dévoyer progressivement le projet de l'organisation à son profit. Le concept est dû à Barbara KELLERMAN (Bad Leadership: What It Is, How It Happens, Why It Matters) qui en décrit le fonctionnement: ce type de leader  opère d'abord par le charme, puis viennent la manipulation, l’affaiblissement des subordonnés, la rigidité, et ensuite les comportements et procédés blâmables, "qui peuvent dévaster les personnes, les organisations, voire les nations".

Il agit sciemment, conscient des limites dont il s’affranchit, du viol des valeurs ou de la règle commune qu’il transgresse afin de faire fructifier ses propres intérêts au sens large (et pas seulement pécuniaires).  Il considère que, par exception,  ces contraintes ne s’appliquent pas à lui ou à la situation qu’il doit traiter ou bien qu'il DOIT s'en affranchir pour l'intérêt général, mesuré à son aune. Ne pas être dépendant de la morale commune s'avère un atout considérable pour se mouvoir dans des structures dont les derniers étages sont si difficiles à atteindre affirme Marc Dugain qui compare la Vème République à la série House of cards*. Il n'est pas nécessaire que l'individu soit mauvais (bad) au départ. Toutefois, confronté aux contraintes fortes du pouvoir, s'offrent à lui progressivement trois pôles de déviance: le narcissisme, le monarquisme, la toxicité, qui se renforcent l'un l'autre.

 La personne investie sur le suffrage universel à ce niveau suprême possède sans conteste possible un travers narcissique (latent ou déjà affirmé). Le "miroir aux alouettes" de la présidence attire les candidat(e)s  mu(e)s davantage par cette tendance pathologique que par le sacrifice (l'ardente mission) à la gestion de la Nation. Il n'est pas innocent de relever que celui qui a créé cette fonction "exposée" affichait lui-même un ego surdimensionné (Mongénéral)! Cette première déviance pathologique se trouve rapidement boostée par le monarquisme lié à la fonction. J'utilise ce néologisme pour indiquer les fastes qui entourent la présidence de la République, palais, ors, carrosses et valets… Valets au sens fonctionnel mais aussi et surtout au sens figuré, à savoir la cour dévouée - voire obséquieuse - de tous ceux qui attendent maroquins, postes et prébendes du chef. Et qui, construisant un miroir flatteur, empêchent souvent l'erreur de se nommer erreur, les transgressions de s'appeler trahison. Même avec une nature normale cette vie de monarque républicain incline à se prendre pour un superman! A sortir de sa personnalité pour s'inscrire dans un pouvoir personnalisé. Quant à la toxicité elle s'exprime dans la lutte permanente pour apparaître comme maître des évènements quoiqu'il arrivât. Lutte contre les contre pouvoirs critiques (médias, syndicats, patronat, groupe de pression,..) d'abord, contre l'opposition aussi, c'est normal, mais surtout peut être contre les ennemis intimes. En France, les clivages politiques apparents sont tempérés par des amitiés, des alliances tacites, pas forcément maçonniques comme certains sont tentés de le croire. Les inimitiés sont parfois plus fortes et plus violentes à l’intérieur des partis qu’entre formations politiques**. Le leader toxique résulte de ce bras de fer permanent où la conservation du pouvoir prend largement le pas sur les convictions.

Au delà, quelle est la normalité psychologique d’un individu qui pense être capable de régler les problèmes d’un pays de sa seule volonté? A quel degré de narcissisme et de mégalomanie parvient-on en étant continuellement traité comme un monarque, même si, au départ, on ne possédait que les prémisses de ces déviances ?

On touche là à un travers pathologique. Sans totalement épouser la vision d'Andrew Lobaczewski qui, dans son "étude de la genèse du mal appliqué à des fins politiques, La ponérologie politique", parle d'une "pathocratie"***, cette dénomination de leader toxique présente l’avantage de "souligner le caractère fondamental du phénomène psychopathologique macrosocial".

Car, bien sûr, le leader toxique n’est jamais isolé et son entourage (son réseau), qui en attend la réciprocité, lui ressemble progressivement. Les suiveurs (ministres, députés, élus, militants,…) s'inscrivent dans son sillage, voire amplifient son action, de telle sorte que c’est l’organisation (le parti, le gouvernement,…) tout entière qui devient toxique selon les trois ressorts indiqués ci-dessus. La toxicité prend alors une dimension systémique qui "pollue" toute décision, jusqu'à un point où l'observateur neutre lit parfaitement la turpitude qui s'est installée et ne comprend plus rien à la logique politique qui de déroule devant ses yeux souvent incrédules.

Ce qui précède n'a que l'intérêt de tenter de donner un cadre théorique aux errements que nous avons vécus (et que nous vivons encore) avec les divers présidents de la Vème République, élus par le suffrage universel (le fameux Peuple!) sur leurs bonnes valeurs et ayant plus ou moins rapidement sombré dans une autosatisfaction égocentrique, toxique pour l'intérêt général de la société française. Séduisant au départ, mais refusant progressivement la critique, le premier magistrat va jusqu'à mettre l'organisation entière au service de son narcissisme pervers, hystérisant la communication (si vous n'êtes pas de mon avis vous êtes des idiots ou des terroristes) et se mettant en scène jusqu'aux marges du ridicule, en muselant étroitement les médias jusqu'à la censure. Il serait aisé d'aligner les mensonges du fameux "Je vous ai compris!" gaulliste à "Mon ennemi c'est la finance!" hollandais en passant par le "blackout familial" mitterandien. Le discours qui en résulte fait appel à une pseudo-logique rationnelle utilisant la comparaison fallacieuse avec d'autres personnes (ceux d'avant), certains groupes sociaux (les empêcheurs) ou nations (les mauvais), le tout mâtiné d'indignation pseudo-moralisante. Soit, tous les traits typiques de la communication déviante ou perverse conduisant à une terrorisation de la pensée. Le mensonge (d'état) et la tromperie constituent les procédés mis en avant par le dirigeant toxique pour arriver à ses fins personnelles ou réaliser les mandats confiés. Il campe l’expression de son pouvoir sur l’établissement d’un régime de terreur médiatique****.

Cette idée de toxicité s'avérant largement occultée, le piège réside dans la recherche d'une explication fractionnée et sociologique de ces dérives. J'entends par là la prise des faits de façon isolée et totalement enchâssée dans un réseau de contraintes. On peut alors donner des raisons, trouver des alibis, pointer le poids des obligations, chanter des valeurs ou citer des laudateurs. On peut aussi dévaloriser, dérationaliser, ridiculiser les discours d'opposition. On peut enfin édicter des lois d'empêchement des alertes dénonçant les abus.

Envisager que le Président puisse développer une dérive psychologique reste tabou en France. Et pourtant! Qui n'y a pas songé lors des "pétages de plombs" de Mongénéral à Québec, lors des "absences temporaires" de VGE, lors des "vacuités abracadabrantesque" de Chirac, lors des "mysticismes" de Mitterand, lors des agitations sarkoziennes… Comment ne pas y croire quand des individus comptant moins de quinze pour cent d'opinions favorables intriguent pour se représenter quand même à la magistrature suprême?

On peut se demander aussi pourquoi les leaders toxiques sont tolérés, voire adulés par une partie de l'opinion qui leur reste fidèle, pourquoi ils survivent politiquement malgré leurs erreurs. Pourquoi de nombreux pied-noir ont voué un attachement durable à de Gaulle malgré sa trahison, pourquoi une partie de l'opinion continue à "kiffer grave" Nicolas Sarkozy, pourquoi d'autres continuent à trouver François Hollande parfait? La réponse relève à la fois de la psychologie qui en appelle au besoin d'être dirigé, du sentiment existentiel de conformisme en privilégiant les habitudes par peur de la nouveauté et plus encore de l'inconnu, de la dimension économique, chacun craignant de perdre ses acquis à cause d'un changement. Plus banalement ceux qui ont contribué à porter le leader toxique au pouvoir ne désirent pas se dédire en reconnaissant explicitement leur erreur.

Quand trois “égosˮ gouvernent : l’égoïsme, l’égotisme, et l’égocentrisme, alors le sentiment des liens sociaux et de responsabilité disparaissent, et la société éclate en groupes de plus en plus hostiles les uns aux autres5*.

Alors, allons-nous continuer à garder ce système présidentiel qui offre tous les leviers de gouvernance à un seul individu, sachant que les perversités ci-dessus vont s'abattre implacablement sur lui? Une démocratie et son exercice, ne reviennent pas à confier, à un seul homme, fusse-t-il un génie, et à ses réseaux, toutes les prérogatives du pouvoir. La lucidité citoyenne imposerait que la constitution rétablisse au moins une gouvernance contradictoire dans laquelle les ayant-droit trouvent leurs place et où la prise de décision soit le résultat de l'ensemble des pouvoirs exercés par l'ensemble des parties prenantes. Une good gouvernance en quelque sorte6*! Mais aujourd'hui, la lucidité a-t-elle encore un avenir??

 

* http://www.vanityfair.fr/actualites/france/articles/elysee-of-cards/
** idem
***gouvernement "où une petite minorité pathologique prend le contrôle à la place d’une société de gens normaux",
**** Philippe VERGNES. Perversions narcissiques et psychopathies : théories et concept. Agoravox.vendredi 12 septembre 2014
5* A. LOBACZEWSKI op cit
6* cf par exemple La démocratie à l'épreuve de la gouvernance, par Caroline Andrew & Linda Cardinal. University of Ottawa. 1998.

01/04/2016

REPRÉSENTATION RÉBOUSSIÈRE

L’interprétation du réel est indispensable pour celui qui veut comprendre l’ordre des choses, leur signification, leurs ressorts. Interpréter c’est donner du sens, construire une opinion, accéder à une capacité de décision sociale ou politique. Hélas nous avons de faux amis en la matière qui nous donnent (ou vendent) du "tout fait", du "tout pensé", facile et accessible comme les plats surgelés de chez Picard. Par ailleurs nous avons jeté aux orties notre capacité critique. Et dès lors, notre "libre goût" est confisqué et on glisse ainsi dans la facilité. On ne nous manipule pas, nous nous laissons aller à cette économie de penser, au profit des éléments de langage qui polluent notre entendement comme les pesticides et autres délices chimiques colonisent notre métabolisme. Via les mass media les représentations de la réalité sont préfabriquées et banalisées (elles sont données comme naturelles) (Marcuse). La question-fondement freudienne concernait le désir, la question du 21ème siècle porte sur la distorsion entre l’interprétation et le réel et l'effort que l'individu doit consentir pour s'autonomiser intellectuellement.

Comme outil de cet effort, il existe des grilles de lecture "livrant les ressorts de tout ce qui se produit, dévoilant les intentions cachées, les significations échappant à une vision prosaïque, les enjeux et les voies prises par une société ou un individu"*.

Je vais tenter d'en donner une - conscient de l'aporie originelle - qui servira à repérer les discours.

Le système monde actuel peut être, tout d'abord, métaphoriquement représenté par trois sous système contigus: le sous système de l'économie réelle, le sous système de la finance, le sous système colonisé.

Le sous système de l'économie réelle (SSER) est celui que nous pratiquons tous au quotidien, à base de travail (ou non travail), de productions, d'échanges, de novations. L'expression "économie réelle" désigne donc la sphère de l'activité économique lato sensu. Dans cette sphère, l'argent est transformé en "quelque chose d'autre" que de l'argent (des marchandises, des services et des salaires, de l'épargne destinée à un usage différé). Ladite sphère mobilise toute notre attention et celle des médias. Elle nous "aveugle" car elle nous touche directement et scande notre vie au concret. Son contenu a fortement changé : à l'origine presque uniquement constituée de l'agriculture et de ses épigones, elle s'est muée, dans les économies développées, en bipolarité industrie-tertiaire pour évoluer vers une économie actuelle majoritairement servicielle.

La sphère financière (SSF) englobe l'ensemble des échanges monétaires et des titres aujourd'hui dématérialisés sur les marchés (marchés monétaires, marché bancaire, marché obligataire, bourse des valeurs). Elle est mal appréhendée par le commun des mortel (et les médias) car très technique et très complexe. Générant en grande partie des transactions virtuelles, elle se double d'un "shadow banking' sorte de casino mondial officieux, ce qui ne facilite pas la tâche des observateurs non experts.

Nous appelons sous système colonialisé (SSC) les socio-économies qui volontairement ou non subissent une emprise d'autres pays qui prélèvent largement en leur faveur les richesses locales. Elles sont le plus souvent issues de pays ayant subi une domination longue.

Historiquement le SSER, irrigué par le SSF s'avérait largement dominant et exploitait les ressources du SSC. Le flux circulant entre les deux premiers ensembles étant sujet à "crue" ou "décrue", il engendrait les phénomènes d'inflation ou déflation que les gouvernants tentaient de réguler à l'aide de politique de "stop and go". Quant à l'exploitation des "colonies" elle prenait la forme d'une prédation plus ou moins organisée, plus ou moins déguisée selon le principe du déséquilibre des termes de l'échange.

Cet "état" du Monde" prenait, à l'échelle des entités territoriales, des formes plus ou moins redistributrices que l'on nommait "capitalisme" ou "socialisme" sans que les termes forment une nette césure en degré de "welfare" (bien être). On peut parler pour qualifier cette période de "la société de l'inflation" pour plagier René Maury, qui fut aussi l'ère de la croissance et du consensus fordiste.

Dans un second temps, la prédation sur les SSC s'est trouvée réduite par l'obtention d'un statut d'indépendance soit de rupture, soit de connivence. Dans le cas des états ayant choisi la rupture (Cuba, Algérie, Guinée, Madagascar,…) il leur fallut assumer un modèle d'économie réelle  autonome, avec le plus souvent une faiblesse (voire une carence) de financement due à l'ostracisme du SSF à leur égard. Dans le cas d'indépendance ayant débouché sur la connivence, la prédation des SSER a continué de s'exercer via des réseaux d'influence-corruption (ex: France-Afrique) actifs et des "zones monétaires" privilégiées (franc CFA, zone dollar, zone rouble,…).

La troisième époque est celle du gonflement autonome du SSF ne jouant plus seulement le rôle d'irrigation de l'économie réelle mais s'auto fabriquant un mode de production de bénéfices endogène à progression exponentielle. Via la spéculation, le shadow banking, le dépouillement d'entreprise pour en extraire la partie rentable, l'arbitrage fiscal,… une bulle financière à été créée qui génère des profits démesurés par rapport au domaine de la production-échange concret, en le dévalorisant d'autant. Dévalorisation qui obère la rentabilité de nouveaux investissements dans ce domaine et plus encore l'investissement innovant plus risqué. Quant aux relations avec le  SSC, elles se retournent selon trois axes: l'axe du rapport de force via des mouvements terroristes usant de façades diverses (notamment religieuse), l'axe économique utilisant le dumping permis grâce à la faiblesse des coûts de fabrication, l'axe envahissement par le biais de mouvements migratoires massifs tentant d'exporter la misère dans les zones plus privilégiées. Nous vivons actuellement cette situation.

Il faut ajouter à cette caricature ternaire l'hypothétique existence d'un "pôle pilote" constitué. En effet, au delà des gouvernements territoriaux, les choses évoluent-elles spontanément (ou sous l'influence d'une main invisible), ou bien y a-t-il un groupe de "super gouvernants" qui orienterait la dynamique systémique mondiale? Comme ledit groupe n'est pas clairement repéré et/ou explicitement nommé, il alimente des fantasmes de toutes sortes. L'opinion la plus banale étant que, comme il n'y a pas de pilote clairement investi, il convient de s'en remettre au(x) marché(s)… qui organisera(ont) au mieux les choses!** 

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Là s'arrête, en général, les entités que l'on manie lorsqu'on réfléchit "sic transit gloria mundi". La dimension philosophique (certains diront humaniste) est occultée au profit d'un matérialisme pur et dur. On doit réparer cette erreur fondamentale en ajoutant un sous espace au niveau du "welfare", c'est à dire la panoplie de fonctions sociales au bénéfice des citoyens et leurs "capacities" (au sens d'A. SEN***). Les sous systèmes précédents "pompent" ou "abondent" à cet espace. On peut donc avoir une économie réelle et financière florissantes avec un niveau de bien être bas des populations concernées ou, au contraire un bien être élevé avec des sous systèmes a performances médiocres. Remarquez que l'on parle de "populations" et non d'élite, de classe ou d'ethnie. Trois indicateurs (dits de  Gosta Esping-Andersen****) peuvent servir à évaluer la situation : le degré de "dé-marchandisation" des sociétés, le degré de stratification sociale (mobilité sociale), la place relative accordée à la sphère rentable et à la sphère servicielle. Un conseil, lorsqu'on vous parle d'économie, relativisez toujours en imaginant ce que l'on perd ou gagne (prélève ou accorde) dans ce champ.

Enfin, comme dans toute représentation systémique, il  convient de parler du milieu naturel dans lequel l'attelage ternaire se situe. Ce que l'on nomme environnement a joué un rôle "passif" dans les premières périodes que nous avons évoquées. A la fois source et poubelle gratuites, cette dernière jouant le rôle de réceptacle de toutes les pollutions générées (externalités négatives). Longtemps "oublié" cet environnement se manifeste avec une acuité qui le projette avec force dans le débat actuel. La conférence récente (COP 21) a fait apparaître les clivages hérités du passé entre pollueurs puissants réticents à changer le cours des choses, pays émergents aspirant à leur rattrapage coûte que coûte, et scientifiques responsables alertant aux dangers multiples. Avec des lobbies de tout crin qui tentent de préserver leurs profits quoiqu'il arrive…. Et qui y parviennent depuis les alertes du Club de Rome (1972 « The Limits to Growth »)!

Reste un vecteur important impactant toute représentation décisionnelle: le temps. Selon que l'on raisonne à court, moyen ou long terme les choses et les avis sur les choses varient parfois du tout au tout. Ce qui semble admissible aujourd'hui peut, ceteris paribus,  s'avérer désastreux dans dix ans. D'où l'impératif besoin de préciser l'horizon des décisions ou jugements.

Et enfin, au bout du bout, l'idéologie, ou plutôt les idéologies, construisent notre représentation des choses, la façon que nous percevons le bien et le mal, le normal et le pathologique, l'acceptable et l'impensable. Idéologies qui sont en concurrence en régime démocratique idéal ou imposées en régime dictatorial strict. On peut dire qu'elle constitue les lunettes filtrantes de notre opinion.

Ce que je vous ai tracé ici s'avère également idéologique, une façon de voir, une grille de lecture réboussière dont l'avantage réside dans son amplitude, son ambition d'exhaustivité des parties prenantes. Une grille de lecture qui permettra, je crois, de ne plus vous laisser abuser par ces discours qui précipitent chaque jour davantage notre monde dans un "épuisement paupérisé, crétinisé et violent". De plus croire ceux qui nous jurent, promis-craché que la crise actuelle ne serait qu'un avatar de la période "d'équilibre" que nous avons vécue dans le second tiers du siècle passé, équilibre qui nous était, bien sûr, favorable! Ils nous promettent qu'il suffirait de quotas agricoles, d'investissements verts, de frontières barbelées,… pour endiguer la dérive. En occultant ce qui ne les arrange pas, voire ce qui les dérange!

Il faut sortir du "tout économique", voire du "tout comptable" qui nous submerge. Faire de "l'anti Becker" en quelque sorte*****. Le bien commun, l’intérêt général, nous ne le réaliserons pas si nous n’avons pas d’abord secoué le joug de la servitude volontaire qui nous mène comme des zombies vers un tas d’or auquel nous confierons la direction de nos actes une fois qu’il aura été constitué. (Paul Jorion. Le dernier qui s'en va éteint la lumière. Librairie Arthème Fayard, 2016)

Cela facilitera l'esprit critique qui s'était (peut-être) un peu endormi.

 

* Bernard Dugué. L’homme entre folie et vérité. L’interprétation sera la question philosophique centrale au 21ème siècle. Agoravox. 14 décembre 2010.
** La doctrine libérale a toujours soutenu qu’il n’y avait besoin de personne pour piloter l’économie globale, le génie des marchés y pourvoyant de par sa « main invisible ».
*** Une "capability" (capabilité) est un mode de fonctionnement exprimant la liberté, pour un individu, de choisir entre différentes conditions de vie.
**** Gosta Esping-Andersen, Bruno Palier, Trois leçons sur l'Etat-providence, Éditions du Seuil, coll. « La république des idées », 2008
***** Selon Gary Becker, prix Nobel d'économie, non seulement tout ce qui est compté, mais aussi tout ce qui compte, est susceptible d’être traduit en un prix : avec lui, tout est marchandisé : la vie, la justice,…