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14/09/2017

L'HOMÉOSTASIE EN NUANCE DE GRIS

La phrase lapidaire (mais tronquée) de E. Macron "La France n'est pas un pays réformable" appelle plusieurs réflexions.

En effet, une fois balayés les squatters du microcosme politique, le président de la République se heurte au peu d'entrain des partenaires sociaux à le suivre, voire au mur du refus des acteurs de la vie sociale de changer la plupart les situations. D'où vient cette crispation face au changement?

La société ressemble à un nuage de cellules, plus ou moins grosses, plus ou moins souples, plus ou moins nanties, qui a trouvé un certain équilibre homéostasique (qui est la capacité de maintenir ses constantes lorsque les contraintes du milieu extérieur évoluent). C'est l'image du vol d'étourneaux qui fournit la métaphore la plus parlante. La cohésion sociale se réalise et se perpétue aussi longtemps que les rapports interindividuels demeurent liés entre eux. Et par le fait qu'il s'agit d'une stabilité mouvante (en vol).

Le gouvernement (de quelque nature qu'il soit) n'est qu'un "distributeur de rôles" dans ce jeu complexe et fragile qui tente de rendre les rapports sociaux vivables et viables. Il est garant du dosage du pseudo équilibre des situations résultantes des transactions (économiques et humaines) afin que l'homéostasie s'établissent (rétablissent) malgré les écarts individuels de dotations de biens publics et privés.

Ladite homéostasie ne veut pas dire immobilité mais le maintien d'un certain état global par l'adaptation des micro composants. Avec des situations d'apparent chaos mais qui ne représente qu'une crise d'ajustement jugée salutaire (vagues du vol d'étourneaux).

 L'effet Macron a résulté d'un rejet brutal d'une certaine gouvernance (dégagisme). Partant, la société française ne souhaite pas vraiment changer profondément son état. Au contraire elle manifeste une certaine résilience afin de retrouver une stabilité proche de l'état précédent… mais avec un espoir d'amélioration (correction) vue par le regard de chacune des cellules. Dans un monde qui nous bouscule par son instabilité, ses mutations accélérées, ses crises et les incertitudes induites, il est normal  que les stratégies homéostatiques individuelles et méso collectives s’activent et souvent s’opposent.  Plutôt que de prendre le risque de révolutionner les choses on préfère les "gérer". D'ou le constat du président.

Certains vont s'étonner (ou s'étrangler!) de cette vision: comment vouloir pérenniser une société injuste et inefficace à l'aune de l'avis proféré des acteurs économiques. Combien de chômeurs, combien de sans abris, combien de précaires, combien de sans papiers, combien de faillites, combien de fermetures d'usines…?

grisou.jpgSauf que cette vision s'avère une vision fonctionnellement inexacte. Ces états cellulaires sont en réalité insérés dans des situations "grises", plus ou moins avouables et qui font que leur situation réelle est moins pire que leur situation nominale.  Ils gèrent ! Subsides publics de toute nature, petits boulots au noir, auto production légumière, bricolage d'appoint, revenus complémentaires (locations de biens personnels, chambres, voitures- outils,…), collaboration, coopération,… toutes choses qui donnent un certain ressenti de liberté. Une sorte de zone de confort individuelle même si ledit confort s'avère en fait précaire. On peut nommer cela contrepartie désaliénante du mode de production salarié d'une part. Ou bien jeu de survie, jeu avec les lois et règlement, jeu du chat et de la souris avec la norme, la manne publique ou européenne d'autre part. Un halo d'opacité entoure les situations nommées pour constituer à la fois un objet de résistance à la rareté objective et servir de réservoir d'insatisfaction plus ou moins évoqué dans le champ politique. Souvent aussi la perte de pouvoir d'achat devient indolore, compensée par un endettement supplémentaire permis par de faibles taux d'intérêt. Soit au total une homéostasie construite de mille nuances d'économies grises jamais explicitement nommée mais que les acteurs ne souhaitent pas perdre. Les promesses n'engageant que ceux qui y croient, les cellules préfèrent surfer sur cette part d'ombre consubstantielle au capitalisme social qui est le notre que de risquer un déclassement sur l'échelle de la rareté largo sensu**. Homéostasie grise qui explique donc en grande partie la résilience dénoncée par E. Macron. Bien évidemment il existe une part maudite, celle des vrais exclus, qui n'ont pas accès à ces mécanismes "compensateurs". Les dirigeants vous diront qu'ils sont minoritaires, souvent désocialisés et, surtout, qu'ils ne votent pas. Cynisme ou réalisme on ne doit jamais oublier que notre société réelle s'inscrit dans un capitalisme socio démocrate qui vise à établir un degré supportable de barbarie.

Ainsi en est-il pour le Président.

Pour l'opposition le même syndrome se manifeste. La fameuse "classe moyenne" convoquée ne désire pas en dernière instance "casser le jouet". Débattre oui, refaire le Monde en parole certes, disserter sur un meilleur modèle pourquoi pas.  Mais rafler le pouvoir brutalement en changeant les arcanes de la cohésion sociale (même critiquable) certainement pas. Un baromètre de ce point de vue peut se trouver dans le revenu universel, vécu comme révélateur de la zone grise qui a mobilisé contre lui la majorité de cette middle class.

 La seule manière de faire évoluer l'état sociétal consiste alors à "violer" le système homéostasique pas trop et pas longtemps. Pas trop car une transformation qui ferait sauter beaucoup de méso régulations (régulations intermédiaires) risquerait de ruiner l'état stable. Il faut que la perturbation engendrée soit une perturbation admissible par le corps social, et donc par l’organisme, le système, l’objet considéré, service, famille, ... qui vont mettre en œuvre des comportements de régulation qui ont été appris pour que l’on puisse «vivre avec». L'exemple de la Syrie est illustratif de la désagrégation d'un système homéostatisque qui fonctionnait (assez) bien pour arriver à un système éclaté inviable. L'option d'un système démocratique brutalement imposé en grande partie de façon exogène s'avère mortifère pour ces sociétés de vieille complexité. L'étude des dispositifs vecteurs de cohésion sociale apprend que les sociétés humaines sont fragiles à un point tel que leur pérennité s'avère une surprise, nous dit H. Solans*.

Pas longtemps car il se passe alors une désorganisation des comportements qui risque de faire sauter la plupart des micros équilibres régissant ce lien social et qui mettent un certain délai à s'établir causant des troubles sérieux (révolte, émeutes, jacqueries).

On doit aussi évoquer la contingence de la transformation effectuée. À l'évidence si on se trouve dans une cascade de feed backs positifs pour une majorité de cellules affectées la "pilule" deviendra plus facile à admettre et à avaler qu'à l'inverse. A cette fin on parle d'état de grâce lorsqu'une série d'événements provoqués ou extérieurs valorisent les situations (réelles ou nominales).

 Voilà quelques matériaux pour lire la situation d'E. Macron. Il vérifie dans sa baisse de popularité et les difficultés qui se dessinent ce paradoxe né du non dit de la société française quant à sa part grise. Son pouvoir se résume au court délai permis par l'usage des ordonnances ou l'accumulation rapide des signaux positifs. Sinon le système se repliera sur sa position précédente (ou à peu près) et les jeux compliqués d'optimisation du degré admissible d'insatisfaction.  Il serait pour le moins inopportun de rompre trop fortement l'homéostasie new look générée par les décisions de début de mandat en laissant la résilience française digérer ce surcroit de libéralisme. Pour le meilleur et pour le pire!

Rien n’est permanent, sauf le changement (Héraclite).

  

* Soit la somme des raretés économique, financière, relationnelle et affective ressenties
** Faire société sans faire souffrir ? Les dispositifs vecteurs de cohésion sociale et leurs victimes. L'Harmattan. 2012