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02/08/2017

PARTAGEURS

Vous connaissez mon ami GUS, ex pilier de rugby et friand d'informations "cultivantes" (sic), que je rencontre de temps à autre. Aujourd'hui il m'a invité au camping de Carnon où, depuis trente ans, il passe l'été avec sa tribu. Il m'accueille sanglé dans un superbe tablier rouge qui met en valeur ses formes avantageuses car il s'applique à sa spécialité: un gros saint Pierre grillé sur de la braise d'aiguilles de pin et badigeonné fréquemment d'un mélange secret d'huile d'olive et d'anisette Gras.

 

GUS. Ah, te voilà Réboussié! Assieds-toi. Aujourd'hui on est en vacances, on a le temps. Alors, prend-le et.. té explique-moi comment se forme l'opinion.

REb. Diable! Tu parles d'un défi!...

GUS. Ouais, mais j'essaie de comprendre la macronite aigue qui s'est emparée de la Gaule! Ce truc sorti des nulle part. Alors vas-y, je te dis que l'on a le temps!….

REb. Bon. Au départ il y a le conditionnement de l'environnement: la famille, le boulot, le club, et tout ce qu'on appelle les A.I.M. (Appareils Idéologiques de Masse) c'est à dire l'école, les medias, le parti, le syndicat,… Tous ces environnements te façonnent plus ou moins pour constituer ce que Bourdieu appelle ton habitus. On fonctionne un peu comme les caméléons…

GUS. … Léon Blum si tes vieux sont de gauche, Léon Bloy s'ils sont de droite!

REb. Ouahh! Tu m'impressionnes!

GUS. Bof, ce Bloy c'est un lointain cousin à moi. De Périgueux. Mais continue.

REb. Au delà de cet habitus qui s'avère le noyau de ta personnalité, tu vas développer une façon de communiquer avec les autres. Façon grande ouverture ou façon autiste, ça dépend un peu de l'éducation que tu as reçue, notamment à l'école, et aussi de la confiance/peur que tu développes des autres. Cette capacité, on dira qu'il s'agit de l'empathie. L’empathie représente la capacité de s’identifier à autrui, de ressentir ce qu’il ressent.  Et donc de COMMUNIQUER avec lui. L'empathie ce n'est pas seulement la tolérance mais une action partageuse*. On peut en donner des degrés correspondant à des relations de plus en plus riches** mais, dès lors, partagées avec un nombre de plus en plus réduit de gens. Pour faire simple plus tu montes plus l'Autre se rapproche de ton habitus. Et vous vous comprenez donc parfaitement.

GUS. C'est ton double en quelque sorte, ton jumeau. Avec lui tu partages naturellement plein de choses! Comme avec toi par exemple.

REb. Exact! Sauf que comme tu te sens bien tu vas rechercher ce type de relation empathique… et délaisser les relations avec ceux qui n'ont pas les mêmes goûts que toi. Jusqu'à te constituer un clan (certains parlent de tribu) avec qui tu t'enfermes progressivement en repoussant les autres "différents".

GUS. Comme les anciens rugbymans qui se congratulent… et critiquent vertement les autres équipes, joueurs, clubs,… Un peu comme nous faisons entre nous!

REb. On appelle ça le "syndrome du tendido siete", du nom des aficionados de ce coin des arènes de las Ventas à Madrid qui sont des puristes excessifs possédant un filtre d'analyse tel qu'aucune faena ne vaut. C'est le syndrome des intégristes de tout poil qui fleurissent de plus en plus non seulement dans les religions mais dans tous les domaines…

GUS. Même pour la bouffe!! Avec les végétariens, les végans…

REb. Je ne te le fais pas dire! En plus, il faut bien reconnaitre que les réseaux sociaux n'arrangent rien. Avant, quand tu habitais à La Manère ou à Trifouillis les Oies, tu avais peu de chance de te faire embringuer dans ces "sectes de pensée". Aujourd'hui, tu te branches sur le web et tu es connecté à un millier d'adeptes, si tu le désires.

GUS. C'est comme ça que les ados se font radicaliser?

REb. Exactement! Car l'empathie restrictive crée une surenchère irrationnelle.

GUS. Ça me rappelle les électeurs qui se sont tétanisés sur Fillon, contre toute logique.

REb. En effet. On peut les appeler des "croyants", ces gens qui ont tellement fermé leur empathie qu'ils sont aveuglés, voire fanatisés, incapables d'accorder le moindre crédit à ceux qui ne sont pas dans la même empathie.

GUS. Les intégristes musulmans, mais aussi cathos, juifs,… qui n'accordent aucun trait partageable aux autres religions, voire aux autres courants de la leur. Tu vois, je commence à comprendre comment se forme l'opinion!! Je commence aussi à comprendre pourquoi la démocratie marche de plus en plus sur la tête!

REb. Un certain Jeremy Rifkin dit, de mémoire***, "L’empathie est l’âme de la démocratie. Plus la culture est empathique, plus ses valeurs et ses institutions de gouvernement sont démocratiques. Moins la culture est empathique, plus ses valeurs et ses institutions de gouvernement sont totalitaires". Tu as donc tapé juste! Comment peut-on envisager une gouvernance démocratique si chacun s'enferme dans un ilot sectaire duquel il réfute et négativise tout se qui se fait "ailleurs"? Cette non empathie primaire (comme il existait un anticommunisme primaire) débouche sur le totalitarisme si l'ilot devient majoritaire. Ou sur la guerre civile s'il n'existe aucun groupe majoritaire…

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GUS. Macron a fait communiquer ces ilots. Je pense donc qu'il a gagné comme ça.

REb. A peu près. Lui a fait de l'empathie intégrative en acceptant tous les autres qui avaient quelque chose à partager, même peu. Ses concurrents ont pratiqué de l'empathie exclusive en rejetant tous ceux qui n'épousaient pas stricto sensu leur position. Méluche a repoussé les communistes et les socialistes apparemment "compatibles". Marine a récupéré Dupont Aignan mais bien tard et c'était trop peu.

GUS. Okéééé! Sa marche… ça marche donc pour l'accueillant Emmanuel! Et il a la clé du succès!

REb. En partie. En partie seulement. En effet il a forcé l'empathie inter partisane en puisant dans tous les réservoirs et en obligeant les gens à se côtoyer pour décider ensemble. Le risque, toutefois, existe dans la reconstitution d'un ghetto d'idées avec des croyants obéissant audit Emmanuel. Ce risque existe par le fait que les habitus sont aujourd'hui bien moins structurés (politiquement) qu'à l'époque bénie des instits missionnaires de la République. Que le devoir d'empathie qui s'appelle, dans cette dernière, la fraternité, reste une bien pâle pratique alors que montent de toute part….

GUS. Hola! Hola! On se calme! Reprend un peu de "jaune" qui est dans le Midi l'huile qui améliore les engrenages de ta fraternité. En fait, moi je crois que les apéros sous le figuier avec de l'eau bien fraiche, de l'arak libanais, des pistaches de Syrie, quelques autres spécialités exotiques, il n'y a rien de tel pour se développer l'empathie! Il faudra en parler à Macron quand il viendra voir Saurel. Mais c'est pas demain la veille!!

REb. Vrai! Toutefois, on a oublié de parler des contraintes. S'aimer les uns les autres, comme disait l'Autre, constitue un bon précepte. Reste à jouer avec les obligations qui nous sont faites, micro et macro socialement.

GUS. Micro c'est les cons et macro c'est les organes puissants?

REb. A peu près! Laissons les premiers (quoique!) et ayons la lucidité de tenter d'échapper aux autres qui détiennent des leviers visibles et invisibles pour nous manipuler. Cela demande du courage et de la perspicacité… Mais il faut reconnaître que le regroupement s'avère indispensable à la lutte, même pacifique. Ce qui ramène aux ghettos empathiques… et la boucle est bouclée!

GUS. Tu me tues! Moi qui croyais avoir trouvé l'explication des choses, je m'aperçois qu'elle enferme dans un cercle vicieux. Alors, il n'y a pas d'issue favorable? Le match est irrémédiablement perdu?

REb. Du moins il n'est pas gagné! Pour garder un mince espoir sans doute faut-il insister sur la qualité des habitus. Former des citoyens ouverts aux autres, capables de chercher davantage ce qui rassemble que ce qui sépare, plus portés au partage qu'à la capitalisation perso. Il ne peut y avoir empathie si l’on n’a pas commencé par se construire soi-même, si on n'a pas intégré la valeur de la diversité, de l'originalité. L'école doit apprendre avant tout à accepter la pluralité des opinions avec lucidité et modestie. Voilà le chantier majeur du temps qui vient!

GUS. Pareil qu'au rugby! Il faut que les gamins apprennent le collectif mais aussi le créatif alors qu'on en fait de plus en plus des robots uniformisés. Je me souviens quand Raoul Barrière disait "Au rugby ce n'est plus je mais nous!", dans son dos, Cantoni ajoutait mezzo voce "Sans oublier je!". Ah! la saveur de la feinte de passe, au moment le plus improbable, ça c'était du jeu. Comme l'anisette dans ma sauce! Mais je m'égare… Allez, amen et à la tienne!!

 

* Ne pas confondre sympathie et empathie. La première est une la contagion émotionnelle positive, L’empathie suppose, elle, qu’on soit capable de comprendre autrui en se mettant effectivement à sa place.
** Le premier de ces étages s'appelle l’empathie directe, puis vient la réciproque et enfin l'intersubjectivité. Pour approfondir cf: Empathie. Sous la direction d'Alain Berthoz & Gérard Jorland. Edt Odile Jacob. 2015
*** pour ceux qui ne s'en contentent pas: Jérémy Rifkin. Une nouvelle conscience pour un monde en crise. Civilisation de l'empathie. Ed. Les liens qui libèrent. 2012