05/12/2017
LE COUP DE L'HÉLICOPTÈRE
Le graal moderne - la croissance économique - mérite quelques éclaircissements simples. Pour ma part je dirais qu'elle résulte d'une pression de la demande (publique ou privée), d'une offre adaptée* (relayée par une innovation suffisante), plus un milieu "euphorisé".
Ce dernier critère, que la plupart des commentateurs oublient (ou traitent mal), traduit une ambiance positive et, surtout, l'existence d'un médicament hyperthymique: l'inflation. Cette contingence favorable s'avère la condition nécessaire à une dynamique économique quelques soient les autres critères.
Or, l'inflation, après trente années d'âge de l'inflation selon les dires de Jacques Rueff (L'âge de l'inflation. Payot. 1963), est devenue un terme tabou depuis deux ou trois décennies. Les libéraux, portés au pouvoir par les rentiers, ont fustigé ce "mal" supposé de l'économie keynésienne qui implacablement venait éroder leurs revenus. Ce diktat a succédé à une phase "prodigieuse". En effet dans l'après guerre, les classes moyennes laborieuses et les investisseurs, profitaient de taux d'intérêts "fondants" boostant leurs demandes de biens ou de services. Les trente glorieuses résultantes, dopées à cette drogue, forment le souvenir du miracle économique. Durant cette période a prévalu l’idée selon laquelle il était possible d’éradiquer la pauvreté et de réduire les inégalités socio-économiques, et éviter ainsi la fracturation de la société entre les possédants et les dépossédés. Ce miracle a basculé ensuite dans une ère de stabilisation puis de stagnation pour échouer aujourd'hui dans une quasi déflation. L'Europe via la BCE s'est avérée le bras armé de cette lutte anti inflationniste puisqu'on lui en avait donné la mission principale, sous la pression des allemands traumatisés notamment par l'hyperinflation de la République de Weimar.
Aujourd'hui hormis les libéraux extrémistes, les gouvernants pensent qu'il serait nécessaire d'injecter un peu d'hormone de croissance inflationniste dans les économies occidentales et notamment française car, comme on le sait, tout poison devient remède selon la dose. Sauf que lesdites économies ne réagissent plus aux leviers classiques de la relance par la demande. Normalement, en période de stagnation comme c'est le cas, la banque centrale met en place des politiques monétaires qui ont pour but d’injecter de la liquidité dans le circuit économique, via la refinanciarisation des banques et la baisse drastique des taux d'intérêt. L'augmentation des liquidités ainsi disponibles étant censée relancer la demande et les investissements.
Hélas, une situation de trappe monétaire s'oppose actuellement à ce processus. Cela arrive lorsque l'action de money facility se heurte à des effets pervers: primo, les banques qui reçoivent la manne centrale, sont plus intéressées à spéculer qu'à prêter aux acteurs économiques eu égard aux taux très bas et donc très peu rémunérateurs. Premier "détournement". Les résultats des entreprises (notamment des grandes) sont ponctionnées par les actionnaires qui exigent des retours plantureux, condamnant ainsi les investissements et les hausses de salaires qui pourraient voir le jour. Second détournement des flux. Quant aux actionnaires bénéficiaires ils n'ont pas une propension à consommer supplémentaire et ils capitalisent leurs revenus.
Lorsque la BCE distribue de la monnaie à gogo et à taux zéro aux banques (elle ne peut le faire à personne d'autre) en s'attendant à une relance de la consommation et des investissements… il n'en est rien à cause cette "trappe de facilité" due à la tendance spéculative des banques et à la ponction actionnariale.
Lorsque les banques centrales nationales étaient indépendantes elles actionnaient dans ce cas des politique budgétaires, notamment en augmentant la demande publique pour impulser la croissance. Aujourd'hui, dans le cadre de l'U.E. (Pacte de stabilité), lesdites banques sont bloquées par l'impératif de limitation du déficit et l'interdiction d'intervention directe selon les voies traditionnelles (participation, renflouement, nationalisation,..).
Il ne reste aux dirigeants que le levier de la redistribution et de la baisse des impôts. En transférant du pouvoir d'achat vers les catégories consommatrices on peut relancer la demande. Sauf qu'il faut choisir ceux qui donnent, les "transférés", appelons-les, par facilité, les riches. Or ces derniers représentent des électeurs, des groupes de pression, des "tribus organisées" qui ne vont pas se laisser faire facilement. La solution de redistribution ne s'avère donc possible que par un gouvernement très volontariste (et peut être un peu suicidaire!). Ce qui ne court pas les scrutins! On peut aussi baisser ou même supprimer un impôt ou une taxe (cf Taxe d'Habitation) mais alors il convien(drai)t de baisser les dépenses publiques (et donc certaines rémunérations ou prestations) pour rester sous la contrainte du déficit imposé.
Sauf que la demande potentiellement générée va s'exprimer vers des produits importés (TV, ordinateurs, smartphones,..) et offrir un autre détournement par rapport à la croissance intérieure.
Je m'arrête là car vous avez maintenant compris toute la difficulté pour un pays comme la France d'établir une politique de relance et le budget idoine sous la contrainte de Bruxelles. La politique monétaire ne peut donc avoir son origine qu'au niveau européen.
À ce niveau reste une dernière cartouche, la der de der, praticable par la BCE et que les spécialistes appellent "la monnaie hélicoptère". Longtemps considérée comme surréaliste, cette option revient sur le devant de la scène et la BCE ne l'écarte pas vraiment pour conjurer le risque de spirale déflanionniste.
De quoi s'agit-il? Lorsque la demande est insuffisante et que la conjoncture est durablement stagnante, "les autorités monétaires impriment des billets et les jettent d'un hélicoptère dans les rues". Les gens les ramassent et les dépensent, ce qui permet de combler le déficit de demande et de faire repartir l’inflation en territoire positif. Cette métaphore est due à une boutade de Milton Friedmann, mais Mario Draghi, interrogé lors d'une conférence de presse du 10 mars 2016, a indiqué qu’il trouvait cette idée intéressante comme recours ultime. La Nordea Bank, dans une étude consacrée au sujet, estime que la BCE pourrait y consacrer 400 milliards d’euros, soit un millier d'euros par habitant de la zone euro, de distribution directe de liquidités en ponctionnant ses réserves et son capital. Mais, sauf à parachuter réellement ces billets, on ne voit pas bien comment concrètement transférer la monnaie créée aux ménages ou aux entreprises. Le passage par les banques s'avère administrativement et comptablement compliqué**.
Toutefois, à cet obstacle de distribution près, (et le verrou des rentiers allemands) la réintroduction d'une inflation euphorisante paraît un enjeu urgent pour la zone euro.
Par ailleurs, puisque nous sommes dans le champ des hypothèses "new look", on peut évoquer la relance via une monnaie parallèle, le bitcoin. Cette dernière prend une place de plus en plus importante dans le paysage monétaire international avec un système de réseau sécurisé (blockchain) excluant les banques traditionnelles. Les ICO (Initial Coin Offering), levées de fonds effectuées en monnaies virtuelles, montrent le développement de ce nouvel instrument de paiement avec une envolée de son cours en dollar (multiplié par 6 entre 2007 et 2017)***. La souplesse et l'agilité de cette monnaie virtuelle pourraient ouvrir de nouvelles voies à l'irrigation des acteurs économiques dépensiers.
A suivre!
* c'est à dire qu'il existe une cohérence entre la demande et l'offre interne. Sinon il se produit une fuite par le biais d'importations.
** On comprend mieux l'intérêt de tester l'idée de revenu "universel" dans certains départements1/pour cibler les bénéficiaires "dépensiers" 2/pour maitriser le bon usage de l’argent fait par les récipiendaires 3/ le moindre coût, en comparaison avec des mesures alternatives.
*** une crainte de bulle spéculative est agitée par les "orthodoxes"
17:44 | Lien permanent | Commentaires (0)
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