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06/12/2018

LA FAUTE DE L’ABBÉ MACRON

Tel Serge Mouret, le héros du roman de Zola, Emmanuel Macron jeune candidat d’abord pur et mystique (du moins en apparence) se commet ensuite dans des fautes lourdes que lui causent ses penchants.
    Première faute, l’ignorance (volontaire ou non) de la logique de base des politiques fiscales: le public choice. Selon cette théorie économique il faut que le décideur choisisse entre quatre types de fiscalité:
- la fiscalité à coût diffus et à avantage diffus qui s’avère la plus traditionnelle consistant à prélever un impôts généralisé (coût) pour financer un avantage généralisé concret à l'ensemble de la population (elle répond au principe général de la non affectation des recettes budgétaires). Par exemple, tous les citoyens paient  l’impôt sur le revenu et reçoivent en retour un service gratuit (école, armée, justice,...) ou à coût moindre.
- celle à coût ciblé et à avantage ciblé. Elle  concerne un acte de transfert entre deux groupes l’un finançant, l’autre recevant, en général le transfert allant des riches vers les plus pauvres. Quoique, plus cyniquement, on puisse aussi ponctionner un groupe qui nous est électoralement opposé pour favoriser un groupe qui nous est fidèle.
- celle à coût diffus et à avantage ciblé. Dans ce cas l’imposition pèse sur l’ensemble des contribuables pour bénéficier à un petit groupe (premiers de cordée) que l'on veut privilégier pour une raison ou une autre (ruissellement potentiel).
- celle à coût et avantage diffus. Électoralement parlant, ce type de fiscalité n’apporte pas grand bénéfice surtout lorsque les boni résultants sont soit invisibles, soit à long terme (écologie).
Le gouvernement Macron-Philippe a choisi de mettre en œuvre du type 2 et 3 majoritairement mais en inversant la logique "naturelle", profitant aux classes aisées et en pénalisant les classes peu favorisées. D’où le qualificatif de Macron président des riches! Cette faute politique a frappé l’opinion d’autant plus qu’elle a été effectuée à marche forcée alors qu’il est toujours conseillé de pratiquer les actes et réformes fiscaux avec une lente parcimonie.
Auparavant, les gouvernants maniait l’astuce "c’est la faute de Bruxelles" pour justifier l’alourdissement de la fiscalité. Mais les ambitions du président concernant l’Europe obère cette défausse.
Le prétexte trouvé a été celui du tournant écologique pour faire passer la pilule du transfert des hausses de taxes, de la masse contributive vers les catégories macron-compatibles. En sachant que les gains potentiels (essentiellement qualité de l’air), s’ils existaient, ne seraient pas visibles avant longtemps, le pouvoir s’est tiré une balle dans le pied. La démission de N. Hulot a fini de discréditer ce prétexte (largement fallacieux). Les tripatouillages à la marge nombreux (APL, TH,…) et mal justifiés ont contribué au ras le bol fiscal.
     La seconde faute réside dans l’impression de mépris ou d’arrogance (c’est à peu près du même résultat) appliqué par le gouvernement à tous les interlocuteurs qui portent un jugement critique sur l’action dirigeante. Le président et le premier ministre sont coutumiers de leçon de conduite ou de morale envers des individus "fragiles" (jeunes, retraités, chômeurs,...). La posture d’énarque sachant, raillant le peuple ignorant, s’analyse comme une erreur majeure vis à vis de catégories de personnes qui se vivent déjà comme "mal traités". Des mal traités, trompés par des promesses non tenues, des contradictions, des postures "monarchiques". Les explications rationnelles données selon le discours science-po n’ont qu’une chance infime de convaincre les gilets jaunes. Ce n’est nullement une question de vérité ou pas mais de "branchement compatible", d’empathie. Tolstoï disait: “Chacun rêve de changer l’humanité, mais personne ne pense à se changer lui-même.” Alors la concertation front à front reste une utopie manifeste. D’où le besoin de trouver des instances médiatrices qui développent ces branchements compatibles aptes à déboucher sur des compromis. Encore faut-il les chercher!Pastis.jpeg

         Troisième faute, sans doute la plus dirimante, s’inscrit dans le manque de sens commun dégagé par la politique macronienne. Élu malgré un programme très flou, une fois investi, Macron n’a pas produit un référentiel partageable avec les masses. Or, dans nos sociétés devenues plus ou moins liquides les gouvernants ont la nécessité de donner du sens à leur action*. Cette absence de référentiel idéologique fort dont s’est prévalu le candidat apparait comme un vide pour administrer et, à ce titre, exiger des sacrifices. L’"étiquette" n’étant pas affichée chacun "habille" le président de la République d’une motivation plus ou moins facile: banquier, financier, libéral, néo libéral, progressiste,... "Macron est en réalité l’autre nom de l’uberisation de la société" (M. Onfray), "Macron serait plutôt un Jean Lecanuet qui aurait coiffé le képi du Général" (M. Gauchet), le représentant de la pensée unique (M. Pinçon-Charlot). Fréderic Lordon dit assez justement qu’"on pourrait y voir une parfaite illustration de la souveraineté devenue folle, c’est-à-dire en fait se comprenant elle-même dans la pureté de son concept, comme puissance absolue et absolument déliée, n’ayant à répondre de rien à personne, faisant valoir l’arbitraire de sa volonté comme acte politique par construction licite, le pur "je veux" d’un pouvoir complètement désorbité." **.
Emmanuel Macron lui-même s’enferme dans une verticalité qui certes s’impose pour les décisions régaliennes, mais qui n’a plus de vertu pour les autres décisions. Le "sensemaking", la production collective de sens, dont parle Weick*** ne peut se réduire à des artefacts de gestion, des principes comptables d’équilibre, de maitrise du déficit comme le pratique depuis son avènement le pouvoir macronien. L’idée de manager la France comme une start up ne peut tenir longtemps lorsque se profilent des défis comme l’environnement, l’Europe, les migrations, le terrorisme,... Le citoyen de base, comme dirait B. Grivaux, voudrait savoir (et le cas échéant partager) à quelle sauce son avenir va être accommodé. Le processus de construction collective de sens possède une double visée, pratique et sociale. Pratique, parce que l’individu qui s’engage dans une activité a besoin d’en savoir assez (sur lui, les autres et la situation). Et simultanément sociale, puisque que les projets et les actions des uns et des autres étant interdépendants, ils doivent faire sens ensemble afin de pouvoir  mener à bien le projet.
Sur ce point, en outre, la carence de sens collectif stigmatise un bloc bourgeois bobo cadre-parisien homogène qui focalise la haine des "gens" provinciaux identitaires (au sens de porteur d’une identité locale). Ceux qui chassent, fument, conduisent des diésels, mangent gras et trinquent au vin ou à la bière. On se trouve en rupture de sens entre des  logiques disjointes (comme cela se produit aussi pour le Brexit ou l’U.E..). Quand les gouvernants disent "Nous" beaucoup n’entendent pas "tous ensemble" mais plutôt "notre caste". En plus, le faible investissement idéologique des élus EM sur le terrain n’est pas de nature à rassurer le quidam.
   L’autre faute grossière dans la continuité, se trouve dans la mésestime des spécificités des territoires et de l’incarnation de ces territoires dans des élus locaux dédaignés. La verticalité jupitérienne a transformé ces derniers en contre-maîtres du pouvoir central, privés d’autonomie de gestion par des coupes budgétaires (directes ou indirectes), contraints à s’associer contre leur gré (agglomération) et à qui l’on fait souvent endosser la responsabilité des carences nationales. La mutualisation des emmerdements, comme l’ont dénoncé les maires lors du Congrès parisien! Or, le niveau des territoires représente ce qu’il reste de sens commun après la carence de sens général que nous venons de dénoncer. La trop fameuse oukase des 80 km/h constitue une bourde manifeste vis à vis du monde rural. La fermeture de maternité, d’hôpitaux, de tribunaux,… de tout ce qui fait qu’il peut encore exister des lieux de vie alternatifs aux métropoles déclasse des millions de personnes qui en perdent leur civisme. La suppression unilatérale des emplois aidés renvoie dans le néant des quartiers périphériques où les bandes s’entretuent, voire des centres villes désertés où les maisons s’écroulent.
      Dernière faute le caractère jansénistede son comportement. En se revêtant de l’habit raide de Jupiter, Macron propose au Français une référence contrite, austère, distanciée. Il s'avère le champion de la passion triste. En multipliant ses hommages mortuaires, et ces célébrations mémorielles il met la mort en exergue bien plus souvent que la vie. Convoquant l’histoire à ces fins tout en pataugeant dans des erreurs mémorielles (Pétain) il réussit à s’aliéner des pans entiers d’intellectuels. Engoncé dans des postures sur jouées il perd le crédit du jeune homme sympathique en devenir que beaucoup lui avaient accordé lors de sa campagne. Il se projette dans "l’autre monde" hors sol des gens qui ne rient qu’entre soi.
 
Ça fait beaucoup d’erreurs! Avec ces fautes le président de la République a réveillé l’opinion qui, fort d’un discrédit vis à vis des politiques s’enfonçait dans le "plus rien à foutre". Le gentil peuple qui se couchait, celui que François Fillon avait glorifié en "peuple qui tous les jours va au travail, qui croit à la famille, à l'ordre juste, qui respecte le drapeau tricolore, le peuple qui ne fait pas de bruit, qui a du bon sens", aujourd’hui, sanglé dans des gilets jaunes mue ce désamour en colère et sur réagit jusqu’à l’entêtement. Pour l’instant de façon assez inorganisée puisque les syndicats ne daignent pas accompagner cette jacquerie et sans violence manifeste.
Le droit des citoyens à être bien gouvernés impliquerait de restaurer ce lien de confiance entre le peuple (même si ce terme est galvaudé) et le pouvoir, en adaptant la gouvernance afin de concilier les priorités incontournables avec les attentes des citoyens quant à la pratique d’une démocratie correctement égalitaire. Pour cela les gouvernants doivent prioritairement s’écarter de l’image de rentiers prédateurs qui leur colle à la peau et que le sieur Ghosn n’a pas contribué à améliorer.
Pour finir, du philosophe André Comte-Sponville "Que vaut l’absoluité des principes, si c’est au détriment de la simple humanité, du bon sens, de la douceur et de la compassion ?".
 
 
 
* le sens ne nécessite pas d’être de grande noblesse mais d’être majoritairement partagé (cf D. Trump ou V. Poutine)
** texte publié le 23 juillet sur le blog du Monde Diplomatique
*** K.E. Weick. Sensemaking in organizations. Sage publications. 1995.