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31/10/2007

INTERVIEW (PRESQUE) IMAGINAIRE DE JACQUES ATTALI

fc1d9c8c2fc761a2686f48a04ae45a60.jpgLe R.: Monsieur Attali, honnêtement je n’attendais pas beaucoup de votre commission destinée à « libérer » la croissance, après celles de Rueff-Armand, Malinvaud-Carré, Albert, … puisqu’il s’agit de choses connues depuis un bon demi siècle. Mais de là à de telles banalités, je suis stupéfait !
J.A. : C’est que vous vous en tenez au premier niveau ! J’ai voulu, symboliquement, taper un grand coup, révolutionnant à la fois l’idée économique dominante et mon statut de juif laïque ! Raisonner par l’absurde, afin de sortir des nœuds borroméens de l’hyper libéralisme.
Le R. :???
J.A. : Je vous explique. Lorsque je demande l’abrogation des lois Royer (et collatérales) j’en appelle à l’anarchie concurrentielle, à la CCP (concurrence pure et parfaite) mythique des pères du libéralisme. Ladite loi Royer réglementant soi-disant l’ouverture de grandes surfaces commerciales, a servi à tout, sauf à protéger le petit commerce, ce qui était son esprit. Elle à servi à financer les partis politiques, les associations de consommateurs, les infrastructures locales, … Et surtout à constituer des rentes de situation pour les enseignes qui avaient décroché la timbale d’un accord en CDUC (puis CDEC), en créant des monopoles spatiaux (zones de chalandise) et-ou des oligopoles urbains, pour ceux qui parlent un peu économie. En prenant les pauvres fonctionnaires en otage. Le petit commerce, lui, a périclité, miné par ce commerce concentré. En supprimant toute gouvernance concurrentielle on va revenir à la jungle ! Les gros vont se bouffer entre eux, les petits vont se rebeller et descendre dans la rue. L’anarchie concurrentielle conduira inéluctablement à un second poujadisme vengeur ! Je souhaite seulement qu’il ne fusse pas récupéré, cette fois, par la droite !
Le R. : Je ne vois pas où vous voulez en venir. Vous avez été systémiste et vous levez les régulations alors que beaucoup de monde, et surtout les socialistes, en réclament davantage !
J.A. : La gouvernance reposant sur des lois et des règlements n’est plus viable en l’état actuel des choses. On vit dans un monde dans lequel les rapports de forces sont dévoyés. Les lois partent souvent d’un bon sentiment. L'enfer est pavé de bonnes intentions... En réalité, après quelque temps, elles sont « déviées » de telle façon qu’elles conduisent à l’extorsion au profit exclusif les puissants. Comme la loi Royer ! Plus on tente d’aider ou de protéger les petites gens (petits commerçants, petits artisans, petits entrepreneurs, petits salariés, …), plus on permet, à terme, aux puissants de se « gaver ». Et, en même temps, on recule l’affrontement classe contre classe en faisant croire à la magnanimité d’un État en réalité complice au niveau de ses sphères supérieures énarchisées. Je le sais, j’en suis ! Forcer la rue à réagir voilà mon premier apport « citoyen » !
Le R. : Mais, ma parole, vous devenez révolutionnaire !
J.A. : Non, simplement réaliste, à l’heure de la globalisation ! Jadis, la société se maniait comme un taureau de Domecq lors d’une faena a gusto. Elle suivait les leurres qui lui étaient présentés artistiquement par un matador expert. Il n’y a pas si longtemps, le fauve s’est mué en « Miura », plus difficile, plus complexe et donc imprévisible, plus dangereux aussi pour le torero. Les règles ont été insensiblement adaptées. On est maintenant au temps où le taureau torée l’homme à l’habit de lumière, inversant les rôles sans que, apparemment, le spectacle n’ait changé  et que les spectateurs en soient avertis. Il s’avère nécessaire de lever le mensonge et de reconstituer la véritable réalité du combat. Revenir à l’encierro, comme le suggérait Hemingway, afin de trier les valeurs ! J’ai aidé Ségolène dans son entreprise de démocratie directe. Il faut une révolution du débat citoyen, une philosophie du combat quotidien .
Le R. : Je n’avais pas vu les choses comme cela !
J.A. : Mais, je n’ai pas fini mon « explication de texte ». La levée du principe de précaution …
Le R. : Parlons-en ! Au moment où le débat sur les OGM, le nucléaire, les nanotechnologies, fait rage, à l’instant du Grenelle de l’environnement, est-ce bien raisonnable ?
J.A. : Plus que raisonnable, salutaire ! Pour interdire ou autoriser il faut une légitimité. Le fabricant de lois qui va dire oui ou non est-il aujourd’hui légitime ? Je ne crois pas ! Il est aux mains de puissances d’argent, de réseaux occultes puissants. Ici encore le détournement, l’extorsion, la bénédiction légale à des fins mercantiles sont un risque plus grand qu’une régulation sociétale diffuse.
Le R. : Vous ne noircissez pas un peu trop le tableau ?
J.A. : Pas vraiment ! Regardez l’affaire du directeur de l’INSERM. Les groupes financiers Banexi et Axa on fait « virer » ledit directeur, car son épouse chercheuse (Patrizia Paterlini) refuse de signer des avenants qui permettraient d'exploiter commercialement deux brevets concernant des tests permettant de détecter des cellules tumorales dans le sang, estimant que l'usage fait de ces tests serait non éthique car ils ont été encore insuffisamment évalués. C’est révélateur de la place faite à la « précaution » par la finance !
Le R. : Ne rien limiter au nom de la croissance-reine est-ce mieux ?
J.A. : Bof, il y aura toujours des scientifiques vertueux, des chercheurs citoyens, voire des Bové activistes pour jouer les alerteurs. La citoyenneté de la science a été beaucoup plus le fait d’individus responsables que de diktats gouvernementaux. Car les principes qui régissent le monde des affaires sont différents des règles de validation des savoirs scientifiques, et ce malgré l’accumulation de codes de déontologie ou de comités d’éthique. Le premier objectif d’une entreprise est de faire du profit. Aujourd’hui l’État sarkozien exige d’un chercheur qu’il soit d’abord «compétitif». Comment espérer que cette injonction reste sans effet sur sa déontologie, sur ses priorités, ou sur la précaution nécessaire à asseoir ses avancées? On ne peut pas faire la moindre confiance à une idéologie financière pour traiter de ces choses graves, de la même façon que l’on ne pouvait laisser les clés de la recherche au communisme. Dans ce dernier cas, cela a donné Lyssenko et le sport made RDA, pour ne citer que les avatars les plus connus !
Le R. : En conclusion, vous usez de l’anarchisme économique et éthique comme révélateur des contradictions de notre système sociétal ?
J.A. : J’ai décidé de jouer à l’agitateur masqué. Le pseudo anarchisme, pour moi, relève précisément d’une quête, d’un droit à l’erreur, d’une l’éternelle confrontation des principes aux réalités, « de lentes sédimentations, d’apports extérieurs, d’assimilations, de rejets et de soudaines illuminations », pour citer Luce Fabbri. Au risque de l’incompréhension, je m’en tiens à cette méthode du doute permanent, une forme d’esprit qui ignore la certitude. Je ne suis jamais où l’on m’attend. J’ai milité, mais je n’ai jamais appartenu à un parti. Militer, c’est s’inclure dans le réel. Adhérer c’est s’enfermer dans une seule logique. Penser, c’est concevoir les contraires et les admettre pour ce qu’ils sont. J’oscille tout le temps entre la péremptoire vérité du militant et le doute existentiel du voyageur qui cherche sa boussole, confronté au labyrinthe de la société.
Le R. : Olé !!!

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