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19/05/2008

CAPABILITY FOR VOICE

Les semaines précédentes en sont la preuve. Nous avons atteint, dans ce pays, la capacité de négociation zéro entre les gouvernants et les représentants des forces actives. Cet état peut être explicable par le fait qu’une négociation tend à réaliser la convergence de deux (ou plus) avis différents vers un point d’accord acceptable par les parties en conflit. Mais, et c’est là l’obstacle, le système ne converge que si les référentiels des parties sont compatibles. Jusqu’à ces derniers temps, bon gré mal gré, les «gens au pouvoir» et les «gens de l’opposition» possédaient ce «sens commun». On a pu ainsi dire que Chirac était «socio-compatible» avec Jospin.
Le sarkozysme a provoqué une rupture de référentiel revendiquée. Aujourd’hui, il répond à une manifestation (des enseignants, des fonctionnaires, des juges, de l’UMP, …) par la disqualification (archaïques, nuls, soixantehuitards, sales cons, ...). Dès lors il n’existe plus de capability for voice. La capability for voice, est entendue comme la capacité des personnes concernées de participer activement aux processus de régulation, c’est-à-dire de pouvoir exprimer leur point de vue et de le faire entendre par les autres partenaires (Amartya Sen. Prix Nobel d’économie. Éthique et économie, PUF). Cette rupture de dialogue est extrêmement nouvelle dans le paysage politico-social français. C’est extrêmement grave !
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Le sarkozysme a décidé de ne pas céder un pouce à la vox populi en lui opposant l’argumentum ad populum (raison de la majorité). Il tente de discréditer toute idéologie qui ne serait pas conforme à celle choisie par lui, à savoir pour faire court, un libéralisme musclé et globalisé. F. Fillon s’est d’ailleurs laissé aller à l’avouer, au détour d’une interview (certains syndicalistes commencent enfin à parler sur les mêmes bases que nous, disait-il).
C’est une tentative tout azimuth de normalisation. Normalisation/Subjectivation, là réside le cœur de la mécanique sociétale. Le mode de subjectivation, c'est la manière dont on doit se conduire, se constituer soi-même comme sujet moral agissant en référence aux éléments prescriptifs qui constituent le code. La subjectivation est donc un acte d'autopositionnement par rapport aux normes qui nous seraient imposées. On entend par là que, face au discours dominant, l'individu va prendre position, assumer cette position, ce qui constitue un dépassement de l'assujettissement (aliénation). Ce dernier s’exprime sous forme de normalisation, c’est-à-dire l’acceptation passive des obligations qui nous sont données par le pouvoir en place. Nous pouvons donc dire que toute subjectivation est une éthique citoyenne, puisqu’elle représente les modalités selon lesquelles l’individu construit sa personnalité, son mode d’existence.
Tout fascisme rêve de normalisation, toute démocratie aspire à la subjectivation.
Sans entrer trop loin dans cette analyse, on y trouvera les ressorts qui culpabilisent les individus pour les normaliser à l’aune sarkozienne. Il ne faut pas, il n’est pas normal, il n’est pas juste, il est répréhensible, il est interdit, il est gênant pour les autres, … flagellent moralement les foules via les médias soumis ou complices. Il faut une force de caractère bien ancrée pour continuer à subjectiver dans cette ambiance! Salauds de grévistes qui embêtent les « vrais » travailleurs! Salauds de journalistes qui n’éreintent pas Ségolène ! Salauds de rétrogrades qui ne sont pas pour les OGM! Le monde selon Sarkozy! Le modèle américain (cf Noam Chomsky. Un monde complètement surréel. ) est bien rodé!
Ceci étant, nous trouvons là une lecture de l’actuelle inconsistance de la gauche traditionnelle qui s’est, depuis longtemps, habituée à « travailler » avec une droite ressemblante au point de se confondre parfois (François, Lionel, Dominique, Michel, … et les autres !) et se trouve brutalement privée d’espace légitimé. Complètement ringardisés, connotés par Sarkozy et ses épigones d’archaïques sans programme, les socialistes ne savent plus où pendre leur lanterne, tiraillés qu’ils sont entre Satan-Besancenot et Besson-Judas. Idem pour une droite classique modérée qui sait bien que le fonds de commerce électoral français de base reste antilibéral « primaire » (cf les municipales).
Cette situation de non capability for voice opposée à toute autre opinion que celle du Chef s’avère un pari avec quatre sorties possibles :
- la réussite conduisant à une normalisation libérale avec des partis politiques et des syndicats laminés autour d’un consensus mou et « fuyant ».
- Le recentrage accouchant d’un sarkozysme aux ailes rognées coexistant avec une gauche chaotique
- L’émergence d’une troisième voie à la scandinave (vieux rêve français de Giscard à Bayrou) alliant une gauche et une droite socio-démocrates.
- Une stase convulsive de la société de type 68, remettant brutalement la capability for voice en frontalité et, de ce fait, remodelant le partage des richesses, les capabilities trop longtemps confisquées. En effet, Sen (déjà cité) distingue, pour l’acteur social, les trois dimensions suivantes :
• les ressources ou commodities (biens et services échangeables ou non sur le marché, incluant le revenu perçu en échange d’un travail ou par d’autres biais),
• les capabilités ou capabilities (liberté réelle de mener la vie que l’on a envie de valoriser)
• les fonctionnements ou functionings (la vie qui est effectivement menée).
Cette distinction permet à Sen de mettre en évidence le point focal de la politique d’intégration sociale. Les commodités ne suffisent pas, car le simple fait de disposer de ressources ou de revenus ne suffit pas à assurer la liberté réelle d’en disposer. La possession d’un vélo ne garantit pas la liberté réelle de se mouvoir, si la personne n’est pas en mesure de l’utiliser ou si le réseau routier n’est pas adéquat.
Mai 68 ne traduisait pas autre chose. Nous ne revendiquions pas d’avoir plus, mais surtout de vivre la vie qui nous plaisait. Nous n’avons pas pris le pouvoir parce que ce n’était point notre projet d’existence. Il nous suffisait que le pouvoir accepte de nous entendre. Sans nous infantiliser, sans nous disqualifier, sans nous normaliser dans une morale rance.
Capability for voice et capabilities sont les deux obstacles majeurs qui s’érigent sur la route du de Gaulle bonzaï !

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