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30/05/2008

CAPABILITÉ, PAUVRETÉ ET VULNÉRABILITÉ

Nous avons évoqué, dans la note précédente, le concept de capabilités qui a intéressé vivement certains de nos lecteurs.
Les capabilités permettent en effet d’élargir le spectre d’évaluation du bien-être, en considérant que la liberté de choisir des modes de vie différents s’avère plus importante que les ressources que l’on détient pour atteindre ces modes de vie.
Deux choses minent ce capital de capabilités :
-    la pauvreté
-    la vulnérabilité
La pauvreté reste étroitement liée au manque de «stock d’actifs» possédés par chaque individu et lui permettant de faire face aux aléas de la vie. On parle ici au sens large, c’est-à-dire de la carence tant de moyens financiers qu’intellectuels (ses qualités, son éducation, ses diplômes, ses savoir-faire, …), physiques (état de santé, handicap, …) ou sociaux (appartenance à des réseaux, relations sociales,
La vulnérabilité est un stade intermédiaire entre la richesse et la pauvreté. C’est la probabilité de voir ses conditions de vie se dégrader sensiblement, quel que soit son niveau de richesse actuel, au regard toujours des chocs de l’existence. La vulné́rabilité est la probabilité ACTUELLE de pénurie dans le FUTUR. La notion de vulnérabilité est donc étroitement liée au niveau de capabilités possédées, mais aussi au degré de risque encouru par les individus. Pour l’analyser, il faut identifier à la fois la menace subie par chacun, mais aussi sa capacité de réaction lui permettant de résister aux effets négatifs et, le cas échéant, de remonter la pente (résilience). Cette résistance est l’atout dont dispose l’individu face à l’adversité. Comme il s’agit d’une probabilité, l’individu manifestera un mal être (opinion défavorable) s’il anticipe une augmentation du risque quelle que soit sa situation actuelle (vulnérabilité psychologique).

Toute société normalement constituée sur le plan de l’humanisme devrait donc viser à faire baisser le degré de vulnérabilité marginal de chacun, c’est-à-dire à accroître la sécurité des individus en vue de leur bien être potentiel. Ainsi la mensualisation des salaires a largement amélioré la situation des journaliers. Ainsi la sécurité sociale, la retraite, le RMI, … ont représenté des «filets de sécurisation».
Eh bien, le sarkozysme ambiant ne semble avoir de cesse que de prendre le chemin opposé : augmenter la précarité ! Casser du fonctionnaire, affaiblir le droit du travail, réduire le droit de grève, … autant de manœuvres «vulnérisantes». Les plus astucieux épigones de Little Nico seraient en droit d’avancer, pour sa défense, que l’augmentation individuelle des capabilités pourrait, le cas échéant, augmenter l’inefficacité globale. C’est l’argument massue de l’école libérale : l’efficacité globale résulte d’une moindre «stabilité» individuelle, stabilité qui nuit à la fluidité du facteur travail. Une recherche de maximisation des capabilités microéconomiques doit être envisagée dans le contexte d'impératifs rivaux: ceux concourant à l'efficacité nationale et ceux issus des préoccupations de chaque citoyen. Certes !
Ce qui me gêne c’est que je ne crois pas un seul instant que se soit cet objectif de justice sociale qui sous-tend ce raisonnement, qui anime Lagarde, Bertrand et consorts !
Analysons ce qui s’est passé depuis un an :
Le gouvernement Fillon a, en premier, tenté (et réussi, hélas, assez souvent) de vulnérabiliser les catégories déjà vulnérables (chômeurs, Rmistes, retraités, familles nombreuses, malades, …). C’est, bien sûr, plus facile ! Les fonctionnaires, moins ébranlables grâce à leur statut, résistent, mais ils vont être fortement réduits en nombre et en pouvoir d’agir (service minimum). Le démantèlement du droit du travail procède d’une vulnérabilisation tout azimuth.
Le gouvernement Fillon a aussi multiplié les obstacles à l’accessibilité à certains droits ou services de bases (au travail, au logement, à la propriété foncière, au crédit, à l’éducation ou à la santé). Cette privation découle d’une discrimination (selon l’ethnie, le sexe, ou le revenu …) ou provient d’inégalités de dotation spatiale (pas d’école, d’hôpital ou de tribunal dans la ville ou la zone de résidence). Il a ainsi rendu plus pauvres et plus vulnérables des milliers d’individus déjà vulnérables.
Si on trace un graphique simple des «catégories» selon ces critères, on obtient quatre «nuages».

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• Les plus riches (I) sont très peu vulnérables car leurs potentialités réactives sont maximales. Ils arrivent même à se doter de parachutes dorés à l’or fin au cas improbable où … ! Vive les stock-options «assurance richesse» !
• Les pauvres peu vulnérables (III) (fonctionnaires de catégories B ou C, curés, pensionnés) sont, aux yeux du pouvoir actuel, «la chienlit» car ils peuvent revendiquer sans trop de risque. On va donc tenter de les mettre au ban de la société (salauds de fonctionnaires !) et de les ébranler par la bande. Ainsi, pour seul exemple, la déclaration préalable de grève permettant de faire pression sur eux.
• Les plus pauvres des riches (II) sont vulnérables par la crainte de tomber dans la pauvreté. On les manipule via cette crainte. «S’il y a trop de privilégiés (non vulnérables) il n’y aura plus de place pour vous». Ou il vous faudra payer pour les autres (feignants, planqués, …)
• Quant aux pauvres précaires (ou exclus) (IV) ils représentent l’armée des corvéables, réduits à tout pour survivre. Malléables à souhaits, prêts (ou forcés) à accepter des salaires de misères. Et exploités en plus ! Car les pauvres sont devenus un segment de consommateurs caractérisé par un faible pouvoir d’achat souvent associé à des compétences sociales et culturelles fragiles les condamnant à subir un accès au marché discriminant. On favorise des distributeurs «paupérisés» (hard discount) à cette fin.

Si l’on en croit Theilard de Chardin "L'avenir est entre les mains de ceux qui pourront donner aux générations de demain, des raisons de vivre et d'espérer".
Les sarkoziens ne sont donc pas des gens d’avenir. C’est tant mieux !

19/05/2008

CAPABILITY FOR VOICE

Les semaines précédentes en sont la preuve. Nous avons atteint, dans ce pays, la capacité de négociation zéro entre les gouvernants et les représentants des forces actives. Cet état peut être explicable par le fait qu’une négociation tend à réaliser la convergence de deux (ou plus) avis différents vers un point d’accord acceptable par les parties en conflit. Mais, et c’est là l’obstacle, le système ne converge que si les référentiels des parties sont compatibles. Jusqu’à ces derniers temps, bon gré mal gré, les «gens au pouvoir» et les «gens de l’opposition» possédaient ce «sens commun». On a pu ainsi dire que Chirac était «socio-compatible» avec Jospin.
Le sarkozysme a provoqué une rupture de référentiel revendiquée. Aujourd’hui, il répond à une manifestation (des enseignants, des fonctionnaires, des juges, de l’UMP, …) par la disqualification (archaïques, nuls, soixantehuitards, sales cons, ...). Dès lors il n’existe plus de capability for voice. La capability for voice, est entendue comme la capacité des personnes concernées de participer activement aux processus de régulation, c’est-à-dire de pouvoir exprimer leur point de vue et de le faire entendre par les autres partenaires (Amartya Sen. Prix Nobel d’économie. Éthique et économie, PUF). Cette rupture de dialogue est extrêmement nouvelle dans le paysage politico-social français. C’est extrêmement grave !
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Le sarkozysme a décidé de ne pas céder un pouce à la vox populi en lui opposant l’argumentum ad populum (raison de la majorité). Il tente de discréditer toute idéologie qui ne serait pas conforme à celle choisie par lui, à savoir pour faire court, un libéralisme musclé et globalisé. F. Fillon s’est d’ailleurs laissé aller à l’avouer, au détour d’une interview (certains syndicalistes commencent enfin à parler sur les mêmes bases que nous, disait-il).
C’est une tentative tout azimuth de normalisation. Normalisation/Subjectivation, là réside le cœur de la mécanique sociétale. Le mode de subjectivation, c'est la manière dont on doit se conduire, se constituer soi-même comme sujet moral agissant en référence aux éléments prescriptifs qui constituent le code. La subjectivation est donc un acte d'autopositionnement par rapport aux normes qui nous seraient imposées. On entend par là que, face au discours dominant, l'individu va prendre position, assumer cette position, ce qui constitue un dépassement de l'assujettissement (aliénation). Ce dernier s’exprime sous forme de normalisation, c’est-à-dire l’acceptation passive des obligations qui nous sont données par le pouvoir en place. Nous pouvons donc dire que toute subjectivation est une éthique citoyenne, puisqu’elle représente les modalités selon lesquelles l’individu construit sa personnalité, son mode d’existence.
Tout fascisme rêve de normalisation, toute démocratie aspire à la subjectivation.
Sans entrer trop loin dans cette analyse, on y trouvera les ressorts qui culpabilisent les individus pour les normaliser à l’aune sarkozienne. Il ne faut pas, il n’est pas normal, il n’est pas juste, il est répréhensible, il est interdit, il est gênant pour les autres, … flagellent moralement les foules via les médias soumis ou complices. Il faut une force de caractère bien ancrée pour continuer à subjectiver dans cette ambiance! Salauds de grévistes qui embêtent les « vrais » travailleurs! Salauds de journalistes qui n’éreintent pas Ségolène ! Salauds de rétrogrades qui ne sont pas pour les OGM! Le monde selon Sarkozy! Le modèle américain (cf Noam Chomsky. Un monde complètement surréel. ) est bien rodé!
Ceci étant, nous trouvons là une lecture de l’actuelle inconsistance de la gauche traditionnelle qui s’est, depuis longtemps, habituée à « travailler » avec une droite ressemblante au point de se confondre parfois (François, Lionel, Dominique, Michel, … et les autres !) et se trouve brutalement privée d’espace légitimé. Complètement ringardisés, connotés par Sarkozy et ses épigones d’archaïques sans programme, les socialistes ne savent plus où pendre leur lanterne, tiraillés qu’ils sont entre Satan-Besancenot et Besson-Judas. Idem pour une droite classique modérée qui sait bien que le fonds de commerce électoral français de base reste antilibéral « primaire » (cf les municipales).
Cette situation de non capability for voice opposée à toute autre opinion que celle du Chef s’avère un pari avec quatre sorties possibles :
- la réussite conduisant à une normalisation libérale avec des partis politiques et des syndicats laminés autour d’un consensus mou et « fuyant ».
- Le recentrage accouchant d’un sarkozysme aux ailes rognées coexistant avec une gauche chaotique
- L’émergence d’une troisième voie à la scandinave (vieux rêve français de Giscard à Bayrou) alliant une gauche et une droite socio-démocrates.
- Une stase convulsive de la société de type 68, remettant brutalement la capability for voice en frontalité et, de ce fait, remodelant le partage des richesses, les capabilities trop longtemps confisquées. En effet, Sen (déjà cité) distingue, pour l’acteur social, les trois dimensions suivantes :
• les ressources ou commodities (biens et services échangeables ou non sur le marché, incluant le revenu perçu en échange d’un travail ou par d’autres biais),
• les capabilités ou capabilities (liberté réelle de mener la vie que l’on a envie de valoriser)
• les fonctionnements ou functionings (la vie qui est effectivement menée).
Cette distinction permet à Sen de mettre en évidence le point focal de la politique d’intégration sociale. Les commodités ne suffisent pas, car le simple fait de disposer de ressources ou de revenus ne suffit pas à assurer la liberté réelle d’en disposer. La possession d’un vélo ne garantit pas la liberté réelle de se mouvoir, si la personne n’est pas en mesure de l’utiliser ou si le réseau routier n’est pas adéquat.
Mai 68 ne traduisait pas autre chose. Nous ne revendiquions pas d’avoir plus, mais surtout de vivre la vie qui nous plaisait. Nous n’avons pas pris le pouvoir parce que ce n’était point notre projet d’existence. Il nous suffisait que le pouvoir accepte de nous entendre. Sans nous infantiliser, sans nous disqualifier, sans nous normaliser dans une morale rance.
Capability for voice et capabilities sont les deux obstacles majeurs qui s’érigent sur la route du de Gaulle bonzaï !

02/05/2008

PIÉGES GIGOGNES POUR ESTOMAC AFFAMÉ

Un bel exemple de globalisation (et de sa perversion) : le marché des céréales. Jadis (hier) les ressources céréalières (blé, riz, maïs, mil selon les continents) étaient le résultat du travail agricole, de la qualité du sol et des aléas climatiques. Ainsi selon les années et l’effort consenti les restrictions sévissaient ici, la famine là, l’abondance ailleurs. On appelait cela le cycle des saisons et l’incertitude de la nature. On s’y résignait. Puis on a amélioré, stocké et transporté. Amélioré par des procédés agro-industriels, ce que certains ont appelé la révolution verte, à base d’irrigation, de sélection d’espèces, d’engrais et de pesticides. Stocké par des techniques permettant d’éviter le pourrissement et la germination dangereuse (ergot). Transporté c’est-à-dire pris dans les lieux d’abondance pour emmener dans des lieux de pénurie. Et il était de bon ton de vanter le progrès technique. Toutefois, parallèlement, la loi parétienne des avantages comparés, désarticulait les équilibres vivriers pour spécialiser les zones sur les productions exportables (café, cacao, thé, coton, …). Le FMI et l’Organisation mondiale du commerce (OMC) expliquaient doctement  que l’augmentation des flux de marchandises due à la libération du commerce contribuerait à éradiquer la pauvreté et la faim, justifiant ainsi leurs PAS (plans d’ajustement structurel).
Or, aujourd’hui, « Une nouvelle crise alimentaire mondiale est en train d’émerger, et elle pourrait être bien plus dramatique que tout ce que le monde a connu par le passé. La crise du crédit et les conséquences de l’envol du prix du pétrole seront peu de choses en regard de ce qui nous attend. » (Alia McMullen, Financial Post, 7 janvier 2008). Catastrophisme ? Non, simplement illustration des effets systémiques liés à la globalisation. Prenons la séquence suivante compréhensible par tous:
 

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Par le biais de l’interdépendance des économies au niveau mondial (globalisation) les effets se répercutent et se cumulent en chaîne. En plus des phénomènes « mécaniques » affectant la stagnation de l’offre (1) et l’explosion de la demande (2), l’intérêt soudain des fonds spéculatifs pour les marchés céréaliers (3) booste l’effet restriction de l’offre et provoque donc, la hausse brutale des prix (4). En même temps que des dizaines de millions d'hommes sortent de la pauvreté, des dizaines de millions d'autres y plongent davantage. A l’affût, «Les spéculateurs réhabilitent un vieil eldorado : les marchés de céréales. Achetant des contrats de livraison de blé ou de riz pour une date future, ils escomptent les revendre beaucoup plus cher. Ce qui entretient la hausse des prix, la famine...» (Serge Halimi. Le Monde diplomatique.Mai 2008)
Trente-trois pays sont dès à présent confrontés à des risques  de famine dont on sait le caractère déstabilisateur pour les régimes en place. La Côte d’Ivoire, la Tunisie qui ne sont pas pourtant les pires concernés grondent de «révoltes de farine». Un article particulièrement acide publié dans Economic Times of India, pointe du doigt le rôle des «riches et célèbres de la planète» accusés d’affamer le monde en développement. L’auteur, Nidhi Nath Srinivas, met en cause les fonds de couvertures, accusés de tenter de récupérer par tous les moyens les pertes encourues sur les marchés d’actions et d’obligations par des gains spéculatifs sur les marchés des céréales de base. Voir aussi : http://www.combat-monsanto.org/spip.php?article132

Il faut (hélas) faire un « palmarès » de l’impact au niveau des populations (couche basse de l’échelle de revenu) concernées :
Habitants de pays riches : conséquences non perçues
Habitants de pays aisés : bof
Habitants de pays médians : affectés
Habitants de pays émergents : très affectés
Habitants de pays sous développés : affamés
Bon, voilà, c’est dit ! Mais comme ce sont les aisés qui dirigent (même, voire surtout, dans les pays sous développés) « on » expliquera qu’il s’agit de problèmes parasitaires … D’autant plus que Ug99, un champignon virulent, s’attaquant au blé, se propage en Afrique de l’Est, au Yémen vers les principales régions céréalières d’Iran, l’Afghanistan, le Turkménistan, l’Ouzbékistan et le Kazakhstan, selon la FAO. Le champignon peut causer de lourdes pertes en détruisant des champs entiers et semble obliger à … la généralisation des semences transgéniques et des traitements liés. Le piège est aussi systémique, mais lui, il est parfaitement régulé !
Et implacablement les enfants meurent au milieu de nulle part, des êtres efflanqués hurlent dans le désert de leur estomac oublié, tandis que les lobbies prospèrent dans les tours climatisées. Ils nous peaufinent les futurs pièges de l’eau, du lait, … en inventant des marketings implacables !
Nous vivons une belle époque ! "Il paraît que la crise rend les riches plus riches et les pauvres plus pauvres. Je ne vois pas en quoi c'est une crise. Depuis que je suis petit, c'est comme ça." Michel Colucci, dit Coluche.