15/11/2009
LE MUR COULEUR MURAILLE
On a fêté la chute du mur de Berlin dans un capharnaum médiatique délirant! Toutes les chaînes télé, tous les medias papier, y sont allés de leur spéciale. Tous les verbeux ont voulu en parler. Tous les politiques ont voulu y être ou y avoir été. Or, au vu de l'audimat, l'anniversaire a fait chou blanc.
Est-ce parce qu'on sait bien qu'en faisant de celui-là un symbole, on oubliait allègrement tous les murs existant de par le monde, les connus de Palestine, de Corée ou de Chypre, les moins connus, les ignorés?
Est-ce parce que le vent de liberté qui nous était promis, la démocratie rayonnante enfin libérée des affres du communisme qui nous était garantie, ont été rapidement noyés dans les mensonges éhontés d'un capitalisme devenu néo-libéral?
Sans doute un peu de tout cela, et plus encore.
N'est-ce pas, en effet, un tantinet surréaliste de porter aux nues la chute du mur de Berlin sans trop se préoccuper des enfermements idéologiques que nous vivons partout? Enfermement des riches dans des ghettos hyper sécurisés. Enfermement des vieux, des malades, des nécessiteux, des "anormaux" dans des "zones d'isolement" appelés maisons de retraite, hôpitaux, centres sociaux, asiles, ... Enfermement des pauvres dans leurs pays d'origine avec un mur policier pour les quelques-uns ayant franchi les obstacles de l'interdit. Emprisonnement de la parole critique à Pékin, à Tunis, à Tripoli ou à Téhéran.
Murs privés que les individus, apeurés par une propagande délatoire, élèvent aux portes de leurs villas. Murs juridiques que les discriminations suscitent selon une justice savamment dosée selon que vous êtes puissant ou misérable. Murs symboliques tracés à l'aune de classes sociales de plus en plus contrastées. Mur érigé simplement par la peur de l'autre sitôt qu'il n'est pas strictement semblable. Drôles de murs que ceux qui sont transparents et qui laissent tout voir bien qu'étant infranchissables, mur vitré, très en vogue dans nos sociétés contemporaines, adeptes par ailleurs du "décloisonnement". Ceux enfin qui sont intérieurs, psychologiques, culturels, cultuels, fanatiques. "Si tu es prêt à sacrifier un peu de liberté pour te sentir en sécurité, tu ne mérites ni l'une ni l'autre", disait Thomas Jefferson.
C'est vrai que le mur de Berlin incarnait une terrible exclusion. Mais ceux qui l'avaient élevé disaient qu'il était indispensable pour "aseptiser" le monde de l'Est du monde pourri de l'Ouest, afin de forger le "nouvel homme communiste". Le mur de bambou idem. Les chinois justifiaient la Grande Muraille par son caractère protecteur face aux envahisseurs. Le mur palestinien s'avère indispensable, selon les israéliens, pour éviter les attentats. Il y a toujours un côté du mur à l'ombre, chantait Bécaud, on peut traduire ainsi les jugements duaux rendus sur ces barrières érigées entre deux vérités.
La tendance actuelle à élever des obstacles matériels ou non pour réduire la différence part toujours de ce prétexte de la face éclairée qui auto-justifie l'exclusion. Au moment même où l'ineffable Besson se mue en modèle de Rodin pour clarifier l'identité nationale! Dis, Eric, tu ne crois pas que tu charies? Le barbare est celui qui croit à la barbarie de l'autre. Alors pourquoi nous faire disserter sur la flûte de pain, le béret, le calendos, Jésus et le pinard, comme référentiel beauf qui n'aura d'autre intérêt que de stigmatiser celui qui bouffe des sushis ou du couscous, qui kiffe Allah ou Bouddha, tout en allant pointer à l'usine à six plombes du mat, du côté de Flins? Dans "Race et histoire", Claude Lévi-Strauss (qui vient de casser sa pipe au détour de la centaine, et devant qui je m'incline, au passage) raconte une anecdote qui montre à quel point la peur de l'autre rend semblables dans la bêtise, les hommes les plus étrangers. Ainsi, dans le même temps où, à Valladolid, les Espagnols se demandaient si les Indiens avaient une âme, ces mêmes Indiens laissaient pourrir dans l'eau le corps des prisonniers ibères pour vérifier qu'ils étaient bien de chairs et non des fantômes. Alors que René Girard nous rappelle que plus les hommes se ressemblent plus ils génèrent une violence mimétique.
Résultat, les murs gênent les beaux esprits seulement parce qu'ils sont, par nature, immuables. Or la réalité bouge selon l'impermanence générale des sociétés et des hommes. Il faudrait donc que lesdits murs et murailles puissent s'adapter aux fluctuations des exclusions et à la conjoncture des enfermements. Les humanistes travaillaient à l'abolition des obstacles entre les individus. S'il en reste quelques-uns, la majorité hélas se sert plutôt de truelles que de masses! Nous sommes entrés dans l'ère de la catégorisation des personnes et de l'arraisonnement (le terme est de Michel Foucault) du déviant. En même temps que vous bâtissez une tour d'ivoire, vous vous exposez au risque de déviance, posé par le château, et qui vous vaudra la prison. Tragique jeu d'échec entre cavalier, tour et roi.
J'essaie de rester le fou, mais c'est de plus en plus difficile!!
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