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31/10/2009

PAUVRE BOURGEOISIE !

On a trop souvent assimilé la classe moyenne aux ouvriers, employés, cadres, c'est-à-dire aux salariés. C'est à la fois une erreur et une manipulation. Le terme de «classe moyenne» change d'ailleurs de sens selon les pays : la «middle class» désigne ainsi dans les pays anglo-saxons les cinq pourcents de la population juste au-dessous des cinq pourcents les plus riches (et dont le revenu provient du travail et non du patrimoine). Le «Mittelstand» allemand a longtemps signifié à l'inverse une classe «tampon» entre la bourgeoisie et le prolétariat*.

La classe moyenne regroupe certes les catégories précédentes, mais aussi les petits commerçants, les artisans, les petits patrons et les exploitants agricole de faibles surfaces, les titulaires de rentes moyennes, voire les professions libérales peu rémunératrices. Bref, ceux qui ont un revenu autour de la norme médiane, en quelque sorte ceux qui vivent dudit revenu moyen sans posséder un patrimoine confortable.

La manipulation consiste, pour le pouvoir en place, d'éclater la classe en sous-ensembles afin de les opposer entre eux et d'éviter qu'une fusion pèse de tout son poids revendicatif .

Historiquement, lors des trente glorieuses, le gouvernement régulateur a choisi a tactique de «spolier» une sous-catégorie pour ajuster les autres, mais toujours issue de cette middle class. D'abord ce furent les petits commerçants et artisans jusqu'à ce que leur désespérance amène quatre vingt députés (poujadistes) à l'A.N.. Puis on passa aux petits agriculteurs, jusqu'à ce que les routes fussent barrées, les administrations saccagées, en masse. Aujourd'hui les jeunes et les fonctionnaires paye leur tribut d'ajustement. Chaque fois, les autres sous catégories, qui auraient pu (dû !) se mobiliser en solidarité, n'ont pas vraiment bougé. Parfois même elles ont stigmatisé la catégorie «victime» comme aujourd'hui les salariés du privé le font vis-à-vis de leur collègues du public.

Lors de cette ère dite fordiste de compromis social, les ouvriers acceptent le taylorisme et la discipline hiérarchique dans l'usine, et bénéficient, en contrepartie, de hausses significatives de salaires. Ces dernières boostent le marché intérieur, érigé en moteur de la croissance, et cette consommation triomphante trouve le relais keynésien pour lui fournir du crédit. Ce système fordiste, à l'origine donc des trente glorieuses, se structure autour de la relative aisance de la classe moyenne largo sensu, celle qui consomme, achète des biens d'équipement, anime l'économie. Et, ce faisant, avec l'immense avantage de ne pas influencer individuellement le marché. Les PME n'ont pas le poids pour impacter significativement ledit marché, pas plus que les petits commerçants n'ont la latitude d'imposer des prix ou des qualités, pas plus que les petits agriculteurs n'ont les moyens d'agir sur les mercuriales, pas plus que les petits rentiers ne peuvent affecter la Bourse ... La condition dite « d'atomicité » du marché est ainsi tendanciellement respectée.foule-1.JPG

L'érosion actuelle voulue de cette catégorie d'agents économiques moyens, «vidée», un peu par le haut (augmentation nombre de riches), mais surtout par le bas (précarisation, paupérisation), représente le blocage majeur de la croissance économique régulée.

Prenons le côté de l'offre. Qui souffre de la crise ? Les PME (industries, commerces, exploitations agricoles) qui ne sont pas sollicitées par une demande intérieure soutenue, qui ne sont pas « irriguées » par les grands groupes bancaires qui ont replongé dans le stupre de la spéculation, qui ne sont plus aidées par les collectivités locales étranglées par la perte de la TP. Conséquences : faillites ou fermetures en chaîne des petites unités, supplantées illico par l'offre des grandes entreprises plus ou moins délocalisées qui, elles, sont capables de circonvenir le marché à leur profit et de peser sur les syndicats afin de réduire les coûts salariaux. Et les banques s'enrichissent de cette paupérisation lente mais sûre en mettant en œuvre des «crédits d'addiction» comme le revolving.

On assiste donc à une quadruple perte : une perte de pouvoir d'achat donc de consommation, une perte de symétrie de négociation dans les rapports salariaux et commerciaux, une perte de territorialité, c'est-à-dire d'enracinement local, au profit de situation « foot lose » propices à la délocalisation et, enfin, pour les individus, une perte d'autonomie par sur-endettement et par «mendicité familiale»  selon le terme de Louis Chauvel.

Le «contrat économico-social  fordiste» a explosé en annihilant progressivement tous les contre-pouvoirs qui fondent la justice sociale, l'équité contractuelle et l'équilibre des chances. Et pourtant, la solidarité de la classe moyenne ne se réalise pas. Elle continue de se déchirer selon des lignes de partages surréalistes : le «groupe  patronal» associant PDG de multinationales et patrons de PME, voire artisans. Le «groupe paysan» faisant marcher de pair les grands groupes céréaliers et les petits exploitants de l'agriculture de montagne, le «groupe profession libérale» unissant les grands cabinets de conseil et les agents immobiliers... Et cela sans parler de tous ces ouvriers qui ne rêvent que d'exploiter à leur tour pour se faire un max de thunes et tous les enfants d'exploités qui forment le corps policier et qui prennent plaisir à tabasser leurs frères et ses sœurs.

Arrêtons de nous cacher la vérité : la crise de l'économie et le malheur de la large middle class découle, avant tout, de son manque de solidarité interne qui puise ses fractures sur des réalités sociologiques largement archaïques. Tant qu'un petit commerçant ne se considèrera pas comme similaire à un petit fonctionnaire, tant qu'un petit patron n'aura pour autre ambition que d'exploiter son employé (et inversement), tant que l'éleveur de canard du Lauraguais haïra l'instituteur (et inversement),... tant que ces classes moyennes éliront des candidats porteurs d'intérêts contraires aux leurs, alors le néo-libéralisme continuera son œuvre globalisante et déstructurante au profit des grands groupes financiers ayant annexé les hommes et les femmes politiques, tenaillés par l'ambition.

Peut-être que le faillite de ce que je préfère appeler la bourgeoisie s'avère plus psychologique que réelle. En effet, statistiquement**, on voit une augmentation envahissante des «dépenses contraintes» conduisant à une perte de liberté d'action.

Peut-être ses membres ne croient-ils plus ni au système, ni aux élus***, ni même à leur potentiel de nuisance collective.

Pourtant, il ne s'agit pas, pour la classe moyenne, d'une simple question de pouvoir d'achat mais d'accession au travail, à la santé, à l'éducation, à la propriété immobilière, à un véhicule, etc. Malgré les établissements bancaires, notamment multinationaux, qui trouvent là, avec le crédit, un filon juteux, progressivement il ne restera plus de la richesse « bourgeoise » qu'une économie vernaculaire ou informelle vivant à crédit aux marges du système dominant.

 

* L. Chauvel, Les Classes moyennes à la dérive, La République des idées, Seuil, Paris, octobre 2006.

** R. Bigot. Les classes moyennes sous pression. CREDOC. N° 219. Mars 2009. Après avoir payé les frais d'alimentation, de transports, de santé et l'éducation, il reste moins de 300 euros à une personne qui gagne 1500 euros par mois pour les loisirs, les vacances, l'habillement et les biens d'équipement du foyer.

*** G. Mendel disait d'eux : «Vivant en endogamie, soumis à une concurrence effrénée à la fois électorale et à l'intérieur de leurs organisations, victimes d'une quotidienne course contre la montre qui les coupe de la vie ordinaire et de la culture, ils manifestent une incapacité de percevoir d'autres solutions à la crise politique que celles qui passent par eux.» Gérard MENDEL "Pourquoi la démocratie en panne ?, sous-titré "Construire la démocratie participative", paru aux éditions La Découverte. 2003.

 

 

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