26/02/2010
LES FABRICANTS DE RISQUES
Après Dubaï, haro sur la Grèce! Les personnalités de tous bords, de tous poils, ont trouvé un nouvel bouc-émissaire pour détourner les regards des choses qui fâchent. Salaups d'hellènes qui ont dépensé sans compter et creusé leur déficit public! Et c'est nous qui allons devoir les aider! Où est le bon temps qui voyait ces pauvres gens manger de la moussaka, des olives et des figues sèches, un agneau par an pour la fête, avec le syrtakis et l'ouzo comme opium? Alors?
Alors, même si tout ce qui touche à la finance internationale reste difficilement accessible (ce n'est pas par hasard qu'il faut des normaliens et polytechniciens pour modéliser), essayons de faire l'hypothèse suivante: et si les crises étaient secrétées par les financiers eux-mêmes?
Primo, il faut savoir que ce qui rapporte aujourd'hui un max c'est les CDS (Credit Default Swaps ). Les dérivés de crédit dits CDS sont des assurances contre les défaillances d'un emprunteur aussi bien sur des titres obligataires ou des créances commerciales que l'on ne possède pas. L'acheteur de protection verse une prime annuelle, calculée sur le montant notionnel (convenu) de l'actif, au vendeur de protection qui promet de compenser a posteriori les pertes de l'actif de référence en cas d'événement de défaillance précisé dans le contrat. Il s'agit d'une transaction non financée qui n'oblige pas de mettre de côté des fonds pour garantir la transaction et de gré à gré (OTC: Over the Counter), hors des contrôles quels qu'ils soient. Une double arnaque en quelque sorte! Pour illustrer: supposons que vous pariez que l'argent que votre copain de bistrot dit avoir prêté à un martien ne lui sera pas remboursé. Comme vous pouvez avoir un doute sur l'honnêteté du martien, vous vous adressez à un organisme financier à qui vous demandez d'émettre en votre faveur un CDS dont vous définissez l'échéance et le risque couvert précisément. Si vous êtes assez fort pour créer un buzz spéculatif sur la crédibilité des martiens, donc une spéculation sur la valeur de votre CDS, vous avez gagné. Sinon vous émiettez votre CDS dans les "produits dérivés", plus faciles à fourguer aux gogos (petits porteurs, ou grande banque) attirés par l'odeur enivrante du gain facile. Vous croyez que je vous raconte un conte de fées? Pas du tout! La défaillance des entreprises, des villes, des communes, des États est ainsi assurée par les CDS.
Secondo, même si vous n'avez pas une âme de maffioso, vous avez compris que plus on précarise une entité (entreprises, villes, communes, États) plus on crée un buzz négatif sur elle et donc plus les paris sur les CDS (et dérivés) qui portent sur sa défaillance potentielle vont flamber. D'autant plus qu'il n'y a pas besoin de fric frais (liquidité) pour jouer. Et voila une bulle spéculative créée au profit des moins scrupuleux des assassins d'entités à gages! D'autant plus intéressant pour les prêteurs que les agences de notation (Ficht, Moody's, Standard & Poor's) qui fixent unilatéralement le degré de solvabilité de l'entité, vont baisser la note accordée à ladite entité. Donc rendre l'emprunt plus cher pour les endettés et donc nourrir encore la spirale "mortifère" qui les agitent. Tandis que dansent autour les hyènes financières qui rodent au fil de leur agonie.
Tercio, l'astuce suprême réside dans les retombées collatérales. Ainsi, en culpabilisant le peuple "déficitaire" (les grecs en l'occurrence), vous leur imposez, de facto, ce qu'on nomme les mesures structurelles. D'habitude ce type de plan de redressement se fait à l'initiative du FMI vis-à-vis des pays en voie de développement mais, ici, c'est Bruxelles qui dicte. Il consiste à "fabriquer massivement du libéralisme ", c'est à dire à appliquer la litanie: réduction des dépenses publiques, réduction des fonctionnaires en nombre et en rémunération, privatisation de secteurs publics, ... Si ça ne gagne pas (ça se saurait, depuis le temps!) ça permet de favoriser quelques groupes privés et affaiblir la protection des classes défavorisées. Tout bénéfice!
Ainsi vous comprenez mieux pourquoi on assassine des entreprises, même rentables. Ainsi vous comprenez mieux pourquoi on lance le buzz sur la Grèce, certes endettée, mais depuis longtemps, et qui, quand on y regarde bien, ne représente que 2,5% du PIB de la zone Euro et 1,9% de celui de l'UE. Des clopinettes à l'aune de la finance internationale! Ainsi on peut mieux lire également la réserve complice des grands dirigeants de ladite Europe s'évertuant à éviter de dire qu'ils couvriront, quoiqu'il arrive, la défaillance hellène. S'ils le faisaient cela épuiserait la notion de risque de défaillance et donc la source des CDS afférents. Et cela amoindrirait la potentialité de futures bulles que sont, de toutes façons, l'Espagne, l'Irlande, l'Italie,... Sachant qu'en plus, depuis l'an dernier, les États renfloueront le système si la spirale devenait trop "systémique". Et sans mollir, les lobbies financiers expliquent qu'il serait strictement antiproductif de créer des autorités de contrôle et de surveillance neutres qui seraient perçues par les marchés financiers comme des barrières protectionnistes dirimantes. Et ils sont relayés cyniquement ou imprudemment par des politiques maniant selon, l'impuissance (la globalisation, madame!) ou la rodomontade (nous avons supprimé les paradis fiscaux, monsieur!) pour laisser faire au mieux, accompagner au pire. "Ces hommes, ces femmes, ces policiers, ces magistrats, ces fonctionnaires d'Etats, ces élus du consensus bancaire sont à des points stratégiques dans les appareils visant à la protection du crime organisé. Ils sont payés pour fermer les yeux et pour monter des procédures dilatoires. Ils pourraient rompre avec cette folie collective, prendre des décisions individuelles et courageuses. Ils y ont peut être pensé. Ils ont abandonné l'idée. Ils ont choisi de se fondre dans le moule gris de l'époque. Et de maintenir l'équilibre géostratégique de la planète financière". Denis Robert (http://ladominationdumonde.blogspot.com/2008/01/les-criminels-en-col-blanc-aiment.html
Nous vivons cette belle époque où quatre vingt pour cent des gens croient dur comme fer qu'ils s'inscrivent dans une société concrète de production, avec des usines qui fument et qui sont destinées à fabriquer et des commerces qui sont voués à combler leurs désirs. En vérité tout cela n'est qu'un décor de théâtre, un trompe l'œil de carton pâte qui masque la machinerie complexe des finances virtuelles et des bulles spéculatives qui génèrent des camions de fric soustraits à la conscience populaire qui, comme dans la Cour des Miracles, s'étripe pour quelques mois de plus ou de moins d'une retraite après quarante piges de vrai, concret et pénible travail, en débattant sur une identité nationale bafouée, à chaque seconde, par les vautours financiers, volontairement apatrides.
La vraie économie contemporaine est une usine à fabriquer du risque, de la dette et des paris d'initiés sur des degrés de toxicité.
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