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23/09/2010

DENOUSADOU SOCIAL

Le denousadou* fait partie de ces mots occitans qui nous manquent car ils recouvrent une signification riche. Il s’agit de l’endroit où l’on désarticule quelque chose. Ainsi mon père disait en coupant une oie ou un poulet «Je n’arrive pas à trouver le dénousadou !». De même pour une huître récalcitrante, ou un cuisseau de sanglier. Par extension le mot évoque la désarticulation, c’est à dire le point faible qui permet briser définitivement une entité fortement cohérente.
Nous sommes en train de subir une désarticulation de notre société. La République avait cette fabuleuse espérance de construire une cohésion, une solidarité via le mérite, la laïcité, l’égalité des chances, la non discrimination, en lieu et place des privilèges, des préférences religieuses, des castes, de la ségrégation. On ne parlait plus de comte, de marquis, de catholique, de juif, d’étranger ou de prioritaire, mais de citoyen.
Aujourd’hui j’ai l’assurance que «le Malin» s’ingénie à trouver tous les dénousadous afin de désarticuler le type de société républicaine pour former des oppositions frontales. C’est plus que les fractures que l’on dénonçait au temps de de Gaulle**, Mitterand, ou Chirac ! Les fractures se réduisent, les désarticulations non. Lorsqu’il existait des inégalités, la République tentait de les soigner en espérant les résoudre. Sarkozy, au contraire, dès son investiture, a exhibé le Fouquet’s, les yachts, les palaces,… Depuis, l’affichage des hyperfriqués n’a pas cessé de se faire pour arriver à son zénith, Madame Bettencourt, parangon de la richesse à jeter par la fenêtre, du n’importe quoi à coup de millions que ce fût îles, peintures, bijoux, voitures, arrosages politiques. Les sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot disent que «la rupture qu’a introduite Nicolas Sarkozy est de donner à voir les rouages de la domination cynique, ce qui s’avère d’une extrème violence». C’est là que le verrou a sauté. Désormais il y  a les hyperprivilégiés coutumiers de gabegies inconsidérées et les autres, l’autre «monde» des chômeurs, des travailleurs, des fonctionnaires, des «gens» qui tirent le diable par la queue, mais aussi des parasites, des «passagers clandestins», des autoexclus. Le dénousadou se situait au niveau des classes moyennes. La désarticulation les fait progressivement disparaître.
On ne se parle plus d’un monde à l’autre. On s’insulte, on s’agresse, on se bat. Sur le ring, dans le camp «de droite» il peut y avoir deux millions et demi de manifestants dans la rue, on s’en fiche ou l’on raille. Il peut y avoir l’ONU, le parlement européen, les évêques, voire le pape qui râlent, on s’en bat l’œil. Dans le coin d’en face, on ne veut plus voir les contraintes objectives, on ne veut plus faire crédit d’un quelconque succès, on se radicalise pour tout argument.
La brisure est définitive, et tout est bon pour l’élargir. Les prétextes sont exploités en dénousadous comme en Belgique avec la langue ou en Espagne avec la corrida. decoupe.jpg
On ne fonctionne plus dans le débat démocratique comme lieu d’émergence de l’intérêt supérieur. Ceux qui  détiennent temporairement le pouvoir ont compris que là et là seulement se situe la possibilité de pérenniser l’exploitation largo sensu. Qu’il n’est plus question de laisser quiconque, opposition, alliés ou même amis sourcilleux s’approcher de l’autel. Dans cette lutte pour conserver les manettes on se permet tout sans vergogne. La fin justifie les moyens ! En face parfois le désespoir, parfois l’injustice, parfois la frustration, souvent la méconnaissance des rouages,  la négation de la complexité (yaka), aussi la mauvaise foi ou la haine, pimentent un flux hétérogène de récriminations.  Les Pinçon nous le disent, c’est d’une extrème violence. Les naïfs se croient encore dans une république démocratique. En réalité le pouvoir sarkosien est en guerre. En guerre pour ponctionner les richesses accessibles. Ce que j’appelle le flux hétérogène tente tant bien que mal à se constituer en force alternative. Mais pourquoi faire ? Un peu plus, un peu moins, un peu autre chose ? Existe-t-il un projet sociétal alternatif ? En est-on bien sûr ? Ou n’est-ce que des agencements mineurs à un modèle économique qui sont proposés via un DSK bonnet blanc et blanc bonnet ?
François Perroux se prononçait  pour «l’économie de l’homme, entendue comme l’économie de tout l’homme et l’économie de tous les hommes. Economie de tout l’homme veut dire que l’être humain entier est accueilli avec ses mobiles allocentriques et ses mobiles égocentriques, dans des structures entièrement ouvertes et non prédéterminées mais telles qu’en aucun de leurs aspects ni en aucun point de leur transformations, elles ne fassent obstacle à la réalisation par la personne de ce que celle-ci considère comme ses ultimes valeurs : soit des idées (justice, vérité), soit une foi transcendante. Economie de tous les hommes signifie économie de tous les êtres humains vivants » (François Perroux, Pour une philosophie du nouveau développement, Paris, Aubier-Presses de l'Unesco, 1981). Perroux ajoute que «l’économie de tous les hommes et de tout l’homme s’impose aux civilisations laïques et aux pensées religieuses qui admettent les droits de l’homme. Elle est aussi une idée portée et défendue par des forces réelles, très présentes dans l’histoire, celles du travail organisé et de la démocratie ».
Dis, Perroux, pourquoi tu n'as fait que si peu d’émules ?


* Endroit par où on défait de nœud d’une affaire. Las obros de Pierre GOUDELIN. A Toulouso M. DCC. LXXIV. Ambe le priviletge del Rey.
** encore qu’il est trouvé le dénousadou de l’Algérie française!

01/09/2010

FOUCADE STATUFIANTE

Origène (Père de l’Eglise du IIIème siècle) soutenait que «tout homme est assisté de deux anges, le mauvais qui le pousse au mal, et le bon qui le pousse au bien». Georges Frêche ne déroge pas à cette sentence ! Je ne ferais pas allusion aux bonnes actions qu’il a suscitées depuis un quart de siècle, je  serais encore traité (à tort !) de fréchiste béat ! Mais le démon n’est jamais loin qui lui instille des comportements de mauvaise nature. Des oreillons aux sous hommes, je n’ai pas besoin de vous les lister non plus. Ce démon ne se met jamais en vacances et surgit de tout, à tout moment, générant des polémiques, maintenant nationales. Ceux qui pensent qu’il s’agit d’un marketing communicationnel savamment élaboré se trompent (souvent). Cette pulsion démoniaque s’exprime, comme «une remontée d’huile», à tout moment. Après la véronique al duende, le maestro GF croit utile de placer un adorno douteux qui agace les tendidos, pour utiliser une image d’aficion, en ces temps de féria. Comme le faisait El Cordobès au grand dam des puristes. Mais, dans l’ensemble et sur la durée, l’ange obtenait un meilleur score que le malin et le bilan fréchiste s’avérait largement positif. Jusqu’à ce que…
Vint le défi des statues. Le bon ange gentil lui a soufflé qu’il n’était pas idiot de fournir une accroche historique à un espace que d’aucuns qualifient de «carreau du Temple» (Odysseum), une sorte de contre point culturel à une mer de ludique commercial. OK, pour le parti pris urbanistique, même si on peut trouver d’autres symboles référentiels plus adaptés. Ensuite l’ange et le démon se sont affrontés pour trouver les thématiques représentables. L’ange disait «faisons allégoriques en statufiant la Solidarité, la Protection, la Justice, l’Amour… Ou bien des poètes qui restent consensuels». Mais le démon rusé a évoqué l’Histoire avec un grand H, en se faisant passer pour un bon esprit : de Gaulle, Churchill, Mao,… sachant bien que la fibre politique de Georges ne resterait pas insensible à ces «hommes forts». Le démon a gagné!
Je n’entrerai pas ici dans la polémique des tyrans ou pas tyrans. Hélas, on ne peut avoir été un personnage historique sans avoir du sang sur les mains. C’est ainsi parce que traditionnellement l’histoire est une histoire de POUVOIR et de lutte pour le pouvoir. On pourrait avoir une histoire économique, une histoire domestique, une histoire de la pensée. Non ! De César à Staline, en passant par Charles Quint, les Louis, Napoléon, Lénine,… l’élève ne se confronte qu’à des luttes guerrières pour conquérir ou garder ledit pouvoir! Et quand on lui parle de religion c’est encore de l’inquisition, des guerres éponymes, des croisades,… Il s’avère donc puéril de tenter de comptabiliser les morts pour soupeser les mérites! Il faudrait aussi établir le bilan des bienfaits, il faudrait recontextualiser les faits dans leur époque et leurs valeurs sociétales. Ne pas choisir «l’angle de vue» qui arrange.
Reste que cette foucade statufiante s’avère selon moi une erreur, d’abord, parce qu’elle est stérilement couteuse à un moment où le discours est aux économies, au redéploiement efficace des deniers publics. Ensuite erreur de goût car l’érection de monuments glorifiant les personnes, je trouve que cela fait un peu pays sous développé! Je me souviens des innombrables portraits, en buste ou en pied qui jalonn(ai)ent, la Russie, la Syrie, l’Egypte, la Roumanie, la Pologne, le Gabon, l’Algérie,… .Apollon.jpg

Et puis, surtout, il s’agit d’un signe évident de pétrification. Comme le suggère Marcuse, «cette mémoire-là transforme des faits en essences, fige des bribes d'histoire peut-être encore féconds pour en faire des absolus métaphysiques pétrifiés et fermés, qu'on ne peut plus remettre en question»; Georges Frêche, vivant dans une bulle «courtisane», devenu inaccessible à la fois par les barrières tissées par sa garde rapprochée et par une tendance personnelle à l’isolement, se fige dans un syndrome de Monségur. J’appelle ainsi l’attitude qui consiste, à l’instar des cathares, à s’enfermer dans sa raison, fut-elle une foi, de façon jusqu’au-boutiste, sans concéder la moindre parcelle de crédit aux «autres», au nom d’une vérité supérieure. Attitude intégriste, qui constitue une involution intellectuelle. Le trait commun à la plupart des fonctionnements dits démocratiques, c’est le contraste accentué entre la personnalisation spectaculaire du pouvoir et l’anonymat des véritables centres de décision. Des cohortes de professionnels de la communication mettent en scène le rôle de dirigeants acteurs, jouant gravement la pantomime sous les feux de la rampe, alors que de discrets conseils d’administration et comités stratégiques effectuent les choix et arrêtent les décisions qui déterminent les conditions de vie du plus grand nombre*. La caractéristique majeure de Georges Frêche a été de totalement renverser cette procédure en assumant HIMSELF, contre vents et marées, la majorité de ses décisions, de ses dires, de ses actes. Le voile pudique, l’édulcoration, la modération, la langue masquée, le "floutage " de l’argumentaire… des spins doctors, des conseils d’experts frileux, il n’en a toujours eu que faire, confiant qu’il était à la perspicacité de son bon ange. Mais, hélas, avec le temps, l’épée s’émousse, les cornes s’afeitent, les piques pèsent plus lourd, l’arthrose tétanise les articulations, la lucidité s’affadit. Et le spectre du bout du bout s’installe insidieusement. Leur maladie, même stabilisée, même surmontée, les grands dirigeants ne sont plus semblables à ce qu’ils furent auparavant. Ils ont franchi une frontière impalpable mais aussi impliable qu’un mur. Leur cerveau reste meurtri par la commotion violente que suscite la révélation du mal. Ce qui se traduit par des bouffées soudaines de désorientation**.

La symbolique de la statue représente soit le conservatisme le plus figé, soit la gangue dont il faut faire jaillir le potentiel d’un futur reconstruit, c’est nietzschéen***! Frêche, personnage éminemment nietzschéen, n’a cessé de briser les carcans des convenances castratrices de la politique, avec brutalité, avec efficacité, avec un anti-grégarisme dérangeant. Or, prompt hier à mobiliser les opportunités en jachère, les talents insoupçonnés et à faire éclater le cadre institutionnel comme une écorce devenue trop étroite, il tend aujourd’hui à se draper dans le marbre de son autosatisfaction statufiée.
Peut être accordai-je trop d’importance à ces dix morceaux de pierre érigés sur une place au fond d’une zone commerciale. Mais, pour moi, c’est le marqueur du déclin, de la perte de la qualité qui faisait tout passer : la gestion lucide et volontariste de l’avenir. L’édile montpelliérain a commencé le chemin à l’envers qui le conduit implacablement à s’enfermer dans le marbre de sa propre idolâtrie comme un monument commémoratif offert aux vents des censeurs qui font et défont l’histoire.

*Christian de Brie. Censurer tous les gouvernements de l’ombre. Le Monde diplomatique. Mai 1997.

**Pierre Accoce et Pierre Rentchnick,  Ces malades qui nous gouvernent, Stock, Paris, 1996, p. 66.

*** cf: Ainsi parla (ou parlait) Zarathoustra.