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27/10/2010

L’HOMME QUI TONITRUAIT À L’OREILLE DE L’HISTOIRE

Georges Frêche est passé à l’Orient, comme disent les frangins ! L’Orient intérieur qui représente la zone de silence qui nous habite, le désert intime qui est aussi la liberté définitive, hormis l’Histoire qui s’y immisce pour tout qualifier.
J’ai écrit il y a quelques mois, de façon un peu prémonitoire - mais je ne pouvais le savoir - une sorte de testament imaginaire du personnage lorsqu’il entra en clinique pour sa hanche. Le billet se terminait ainsi « Voilà !... Il restera un témoignage qui fera contrepoids à tous les tombereaux de vilenies que j’ai entendus sur moi (c’est G.F. qui parle) pendant la campagne et les tombereaux de louanges hypocrites qui s’abattront sur ma dépouille si je venais à y rester. Je ne dis pas que je ne les aie pas méritées parfois. Je ne nie pas que je possède un naturel  provocateur et une grande gueule. Il me revient à l’esprit cette sentence de Machiavel : «Ne pas s’écarter du bien quand on le peut, mais savoir entrer au mal quand c’est nécessaire». On ne dirige pas une ville ou un région ni avec un poète, ni avec un notaire. Crois-moi (c’est toujours G.F. qui parle), je suis aussi capable de chérir cette région dont j’aime à caresser la chevelure ébouriffée par sa diversité. ». Tout est dit ! Je ne change rien.Couv1 1.jpg


L’Histoire, dont il était un adepte, un expert et parfois un illusionniste, ne sélectionne pas facilement ceux qui entrent en postérité. Des millions d’individus ont rêvé de célébrité, ont œuvré dans le conventionnel ou le délirant en espérant que leur souvenir s’inscrirait dans le papier à défaut de marbre. Mais il ne suffit pas d’être un personnage pour devenir un personnage historique ! Pourquoi Corneille et pas Crébillon ?  Pourquoi Evgueni Mravinsky et non Nathan Rakhlin ? Pourquoi Edgar Degas et non William Bouguereau ? Pourquoi Dominguin et non Carbajal ?... Combien se sont cantonnés dans les ornières des convenances en pariant un destin ? Alchimie complexe qui distingue celui-ci et oublie celui-là, car il faut savoir parler à l’oreille de l’Histoire pour devenir mémorable. Georges Frêche lui, tonitruait à ces esgourdes ! L’homme était plein de choses en iste, mais de la trempe ce ceux qui ouvrent des chemins en se moquant quand il faut de la boussole habituelle et facile, avec les outils que la tâche réclame, serpe, faux, machette ou bulldozer. De ceux qui s’assument populiste parce qu’ils essaient d’écouter (aussi) cette hydre vivante qui grouille, sous les convenances, pour incarner la démocratie. Etre à la fois promoteur de Carmina Burana, fan de Violettes Impériales et interprète de la Valse brune ! Entonner le Chant des africains pour agiter les stéréotypes de tous bords. Peut être calculateur, peut être naturel, sans doute madré. Peut être maoïste attardé, peut être socio-démocrate avancé, sans doute pragmatique lucide. Peut être machiste, peut être gynophile, sans doute séducteur. Peut être aussi dictateur, peut être berger, sans doute autocrate. On pourrait allonger la liste à l’infini !  Mais il existe in fine, comme dans la corrida, un acte démocratique fort, la pétition du public qui, via des mouchoirs agités en guise de bulletins, vote pour accorder les trophées. Démocratie pure certes mais démocratie gouvernée  puisque le président garde le pouvoir exécutif final… au risque de la bronca populaire. Le planchot, comme disait G. Frêche en évoquant ses résultats électoraux. Voilà! La messe est dite! Celle d’un acteur supérieur dévoué vingt-quatre heures sur vingt-quatre à «la cause» ! Voilà Frêche, honni et adulé, menaçant comme un poignard effilé, maître dans son arène, combattant pugnace de son opposition, mais aussi de ceux qui, bien au sec derrière le burladero crient des conseils, de ceux qui, du haut des gradins restent les spectateurs citoyens du combat. Toujours soumis au palco parisien qui décerne la récompense et qui l'a oublié depuis toujours lorsque se distribuent les trophées ministériels. Honni par les "parigots" (anti-corrida) qui ne comprendront décidément jamais rien à l'âme du sud! Honni par les citoyens romantiques fustigeant la poigne de fer. Qui ne comprendront jamais rien à la rudesse parfois brutale qu'exige le pouvoir pour faire son travail quand il ne verse pas dans les minauderies de la langue de bois. Qui n'arriveront jamais à admettre que celui qu'ils attendaient, brillant et ordonné dans ses habits de lumière académique, se soit mué en "condottiere". C’eut été plus normal d'avoir un G. Frêche poli, respectueux des convenances, bon samaritain, paisible et serein comme un sénateur de la Creuse! Un Georges Frêche qui ne déraperait pas pour transgresser la langue de bois convenue entre les politiciens. Qui n'appellerait pas un chat un chat, et qui ne parlerait plus librement des choses qui fâchent. Un G. Frêche qui se plierait aux diktats de Paris et dirait amen à ceux qui se sont arrogé unilatéralement le droit de tout juger. Un G. Frêche que l'on pourrait fréquenter dans les inaugurations, voire dans les meetings, sans prendre une cuillère à très long manche !
Sauf que tout cela n'est qu'une grosse utopie au mieux, ou une grosse farce, au pire! Car pour conquérir, exercer et conserver le pouvoir, dans cette région comme ailleurs, cela nécessite des caractéristiques de taureau. Alors, les critiques des gradins et les censeurs de talanquera doivent l'admettre, même s'ils ne l'approuvent pas. Comme dit Lao Tseu (qu’il aimait à citer) "Les mots de vérité manquent souvent d'élégance. Les paroles élégantes sont rarement vérités". Je ne suis pas un inconditionnel de G. Frêche. Dans un opuscule que j’ai écrit il y a quelques temps et que je rendrais public peut être un jour, « Allégories fréchistes », j’explique ma vision en prenant trois paraboles: la tondeuse à gazon pour la poigne, le toro miura pour la dangerosité et Manitas de plata pour le clanisme.
Quoi qu’il en soit, le Languedoc-Roussillon, même s’il a échappé au sobriquet de Septimanie, gardera l’empreinte infrangible de ce taureau politique visionnaire dont la main de fer a conduit les acteurs au combat et a caressé la chevelure des arts et des femmes comme les cordes d'une guitare duendée.

11/10/2010

LE FILS DU CRÉMIER ou LE HANDICAP DE L’INTELLIGENCE.

Maurice Allais, petit fils d’ébéniste et fils de crémier, unique prix Nobel d’économie français (G. Debreu qui fut son élève et qui reçut le prix en 83 étant naturalisé américain), vient de s’éteindre à 99 ans. Ce major de polytechnique reconverti à l’économie par hasard et désireux de fournir au monde un modèle afin que la vision de la crise qu’il avait côtoyée aux USA ne se reproduise plus, a été pour cette science la meilleure et la pire des choses*.
La meilleure via son intelligence mathématique (physique) supérieure qui lui permit de cerner des démonstrations formelles puissantes imposant le respect de tous. Ainsi il révolutionna la théorie de l’équilibre général en introduisant la monnaie, l’intérêt puis les probabilités avec le fameux paradoxe d’Allais. Le pire naquit du penchant formaliste que crurent devoir adopter les économistes successeurs avec des qualités moins reconnues et une tendance nocive à l’ésotérisme des échafaudages d’équations, en lieu et place de véritables raisonnements applicables à la réalité. Et qui devinrent, hélas, majoritaires dans ce pays, pour ne pas dire hégémoniques !MA.jpg
Car Maurice Allais, fils de petits commerçants lui, ne perdait jamais de vue que l’économie est une science humaine, voire sociale, et nécessite une applicabilité avérée. En ce sens il dérangeait, à la fois les «trafiqueurs de modèles théoriques» et les suppôts d’idéologies politiques. Les premiers voyaient d’un mauvais œil ce génie qui démontait inlassablement leurs tentatives qui se noyait plus dans le scientisme que dans le réalisme. Les universitaires le poussèrent donc à l’exil puisqu’il fit l’essentiel de sa carrière aux Etats Unis. Les suppôts idéologiques supportaient mal, pour leur part, le discours qui se voulait «socialiste libéral», minant ainsi leurs  élucubrations d’un libéralisme pur et dur, miracle annoncé de la perfection de la main invisible. Au point même de le faire passer pour gâteux lorsqu’il annonçait, bien avant tout le monde, la crise que nous vivons. Au point de le traiter faussement de protectionnisme, alors qu’il démontrait la perversité de la mondialisation, ce qui défrisait les « acteurs intéressés » laissez-fairistes mondialistes.
Demandez-vous pourquoi vous n’avez (presque) jamais entendu parler d’un prix Nobel français ! Ce génie dérangeait,… même la gauche pro européenne. Si je vous cite son opinion exprimée dans une «Lettre aux Français» récemment publiée par Marianne, dénonçant «un pourrissement du débat et de l’intelligence, par le fait d’intérêts particuliers souvent liés à l’argent. Des intérêts qui souhaitent que l’ordre économique actuel, qui fonctionne à leur avantage, perdure tel qu’il est. Parmi eux se trouvent en particulier les multinationales qui sont les principales bénéficiaires, avec les milieux boursiers et bancaires, d’un mécanisme économique qui les enrichit, tandis qu’il appauvrit la majorité de la population française mais aussi mondiale», vous commencez à comprendre. Il suggérait aussi de différencier des espaces «régionaux» économiques et sociaux homogènes, tant au sein des pays riches que du côté des pays émergents, décrivant des marchés suffisamment dimensionnés pour permettre une croissance interne sans créer des déséquilibres ingérables en terme de coûts (de salaire). Crime de lèse libéralisme qui ne lui fut pas pardonné ! Il s’avère dur d’avoir raison à contre courant ! Les puissants ne vous pardonnent pas d’avoir prédit dix ans plutôt que «toutes les difficultés rencontrées résultent de la méconnaissance d’un fait fondamental, c’est qu’aucun système décentralisé d’économie de marchés ne peut fonctionner correctement si la création incontrôlée ex nihilo de nouveaux moyens de paiement permet d’échapper, au moins pour un temps, aux ajustements nécessaires. Il en est ainsi toutes les fois que l’on peut s’acquitter de ses dépenses ou de ses dettes avec de simples promesses de payer, sans aucune contrepartie réelle, directe ou indirecte, effective». Bonjour crise des subprimes !
Alors que les politiques défilaient jadis chez Pinay qui se qualifiait lui-même de piètre économiste, alors que les gourous conseillers s’appellent aujourd’hui Minc ou Baverez, personne ne s’est jamais déplacé à Saint Cloud pour solliciter les conseils du Prix Nobel. Quand il a été fait Grand Croix de la Légion d’Honneur d’aucuns ont titré «Maurice Allais: l’homme qu’on honore au lieu de l’écouter». C’est regrettable  et cela ne contribue pas à la réputation des économistes dans le public.
Et, il faut le dire, seul J.C. Martinez ancien intello du Front National a promu ses idées (notamment en terme de fiscalité). D’ailleurs B. Gollnisch et M. Le Pen ont été prompts à regretter le décès de « l’homme de bien, toujours préoccupé par le service de la nation, et par la volonté d'améliorer le sort des hommes,… le plus grand économiste de France ». Quand Sarkozy se fourvoie dans une surenchère sécuritaire et romisante pour lui piquer des électeurs, le FN se refait une image de gestionnaire lucide ! Nous vivons une belle époque !

Au total, j’éprouve un sentiment de honte à voir qu’un intellectuel citoyen de cette qualité finit dans une indifférence prétentieuse parce qu’il a eu le courage de dénoncer l’aveuglante dérive d’un monde dominé par la morgue d’une pensée unique. «Le consentement universel, ou même celui de la majorité, ne peuvent être considérés comme les critères de la vérité. Le seul critère valable de la vérité, c'est l'accord avec les données de l'expérience »**.

* Son ouvrage clef : « À la recherche d’une discipline économique, première partie : L’économie pure », à compte d’auteur1943, puis, en 1952, Imprimerie nationale, Éditions subséquentes sous le titre « Traité d'économie pure », éditions Clément-Juglar, 1994.Pour plus d’information voir  http://allais.maurice.free.fr/
* Discours de M. Allais au Lycée Lakanal 03/02/2OO1