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16/06/2014

IL FAUT SUPPRIMER LA CINQUIÈME SECTION!

Il se produit actuellement un événement dans le mundillo de l'économie politique: les USA s'arrachent un français, Thomas Piketty, ce qui n'était pas arrivé depuis Maurice Allais et Gérard Debreu (prix Nobel) encore que la réputation de ces derniers n'ait guère franchi les limites du cercle des spécialistes. Or, la nouvelle coqueluche des médias américains est snobé en France, et son travail (Le Capital au XXIe siècle. Seuil 2013) ravalé au niveau d'un "marxisme de sous préfecture" (N. Baverez) ,"lecture de plage" ou "navet économique de l’année", "nouvelle escroquerie statistique",…!  Cet ostracisme me semble révélateur d'un mal profond qui ronge la recherche-action française. Tentons d'en saisir les mécanismes.

Je ne vous entrainerais pas au sein de la problématique de Piketty qui comporte deux volets: un volet statistique qui donne des séries longues sur le capital, le travail et le produit national. L'intérêt de cette masse dense de données ne saurait être contesté. J'ai, il a presque un demi siècle, soutenu une thèse sur ce thème, un peu surréaliste à l'époque* et, à ce titre, mesuré la carence béante de données concernant le stock de capital, même pour les USA. Par contre, le second volet, qui en induit une opinion sur la concurrence entre revenus, fiscalité et croissance, s'avère la part vilipendée. Cela n'est pas étonnant puisque, en passant de l'économétrie à l'économie politique, l'auteur bouscule les tabous de l'idéologie majoritaire. A-t-il raison, a-t-il tort on peut en discuter. Mais j'ai bien dit discuter et non stigmatiser! Dans ce pays gaulois, il existe des enclosures de discours pseudo scientifiques considérés comme incontournables et surtout,  irréfutables. L'économie en fait partie.

L'origine de ces "chapelles" se trouve dans le puzzle disciplinaire du CNU (Conseil National des Universités organe que seul la France utilise) qui comporte des sections constituant ces enclosures limitant impérieusement le champ de recherche. Si vous êtes en économie il s'avère rédhibitoire de tutoyer la sociologie, ou de tangenter la gestion, voire la géographie, même si cela apporte un intérêt à l'analyse. Comme le champ est donc clos, tout le travail consiste pour les "patrons" de se constituer des cours, sous ensembles limitatifs d'enclosure, sur lesquels ils règnent en suzerains n'admettant que des vassaux "bien pensants". Et ces cours peuvent s'avérer des courettes, voire des loggias, tellement exiguës que leur intérêt scientifique est proche de l'onanisme intellectuel partagé.piketty-bloomberg-businessweek-1.jpg

La cinquième section intitulée "Sciences Economiques" – comme toutes celles de un à six – comporte, en plus, le concours d'agrégation qui, tous les deux ans, adoube un quinzaine de postulants issus des courettes plus ou moins réputées, pour en faire les nouveaux suzerains prêts à s'inscrire dans la même noria sélective. Ce mécanisme de reproduction des élites cher à Bourdieu, cristallise et étiole la recherche en la cantonnant à des thématiques vues et revues. Cela a (au moins) deux conséquences:

En premier lieu la science d'aujourd'hui ne correspond plus vraiment au découpage du CNU, beaucoup d'innovations étant issues d'interfaçages. Le besoin d'une vision plus holistique fait émerger des pistes inconcevables selon des partitions analytiques strictes. Mais œuvrer dans cette perspective vous aliène avec certitude les portes du recrutement et/ou celles de la promotion. En effet il faut être qualifié (sauf-conduit initial), puis promu, puis agrégé et donc passer sous les fourches caudines des "maîtres du tabernacle scientifique" auquel le candidat aspire. La déviance, même innovante, ne saurait trouver grâce auprès de ce cénacle qui régente la section.  On peut pinailler sur des décimales ou sur des corrélations pikettiennes,… cela ne changera rien au fait que les économistes "en cour" n'ont jamais voulu vraiment s intéresser au lien théorique entre l’accumulation de la richesse, sa répartition et l’évolution de l’économie d’un pays. Piketty entrouvre donc la boite de Pandore et ce n'est pas du jeu! Si on commence à rechercher avec précision comment se construit et s'accroit le gâteau peut être va-t-on aller jusqu'à exiger la part méritée, donc due. Contrairement à de nombreux économistes académiques, il insiste sur le fait que la pensée économique ne peut être séparée de l'histoire ou de la politique.

En second lieu, les postes d'enseignants s'attribuant par les mêmes filières de connivence, l'enseignement dispensé s'avère d'un traditionalisme affligeant. La science économique (comme beaucoup d'autres sciences) néglige, voire méprise, les thèmes "hétérodoxes" malgré leur brûlante actualité. Tenter de parler de protectionnisme vous fait assimiler à un dangereux hurluberlu! Evoquer les monnaies de substitution est carrément considéré comme blasphème… Le partage du travail reste un sujet tabou… Celui de la valeur ajoutée une agression! Or si les économistes ont été incapables de  prévoir la grande crise de 2007-2008, et ont encensé la gestion des pays (États-Unis, Angleterre, Irlande, Espagne) où la crise allait éclater, c’est précisément parce qu’ils ne tenaient aucun compte des précieuses données qui ont fait l’objet des recherches de Thomas Piketty, à savoir l’accumulation des actifs, la richesse, et des passifs, l’endettement**. Mais ceux qui campent en haut du cocotier universitaire ou des grandes écoles, n'en ont cure. Pourvu que l'on ne vienne pas glisser dans les esprits de mauvaises idées sur la finance ou sur la fiscalité. Tous ces gens là sont connivents avec les gagnants du système (notamment les "super gestionnaires" pratiquant "l'extrémisme mériocratique") qui, si l'on en croit Thomas Piketty, gagneraient de plus en plus, ceteris paribus, sans rien produire alors que mécaniquement à l'autre bout, d'autres perdraient systématiquement. Voilà pourquoi James Pethokoukis, de l’American Entreprise Institute prévient, dans le National Review, que les travaux de Piketty doivent être réfutés, sinon ils vont "se propager parmi l’intelligentsia et refondre le paysage politique économique sur lequel toutes les batailles politiques seront menées à l’avenir" (cité par Paul Krugman) . Voilà pourquoi il faut savoir qu’il ne « passe » plus un seul hétérodoxe à l’agrégation de science économique, qu’il n’y a plus une seule promotion au grade de directeur de recherche pour les hétérodoxes au CNRS, et que, même après la crise, cette politique d’éradication continue de plus belle***. Les acolytes de William F. Buckley ont bien tenté d’empêcher l’enseignement de l’économie Keynésienne, pas en démontrant qu’elle était erronée, mais en la traitant de "collectiviste"!

En principe c'est aux dangers de la servitude volontaire que la culture universitaire, que le travail de pensée, devraient permettre de résister pour proposer des solutions innovantes. Sinon comment s'étonner du mimétisme conceptuel des classes dirigeantes nourries aux mêmes mamelles quel que soit leur opinion ou parti? Comment expliquer le conditionnement conduisant jusqu'à l'absurde des politiques inopérantes? Mais cela supposerait du temps et un formidable effort pédagogique qu'hélas on ne voit sourdre nulle part. Même pas dans les MOOCs dont on vante la modernité mais qui ne sont qu'habits neufs de vieilles lunes. Les français dont la culture économique est proche des "Bonnes Soirées" se font enfumer. Les politiques aussi. On nourrit les soumis avec les jeux du cirque pendant qu’on étudie comment en finir une fois pour toutes avec les derniers insoumis****. Mais de moins en moins (cf les derniers scrutins), même si les quelques penseurs "déviants" (Economistes atterrés) ne franchissent pas la barrière des mass médias. Cependant, leurs idées comptent également pour former notre façon de parler de la société ainsi que, in fine, pour ce que nous faisons. Et la panique Piketty montre que la droite est à court d’idées (Paul Krugman. La panique Piketty. Chroniques RTBF.be info samedi 26 avril 2014).

* ce qui souligne la perspicacité du Pr R. Badouin qui m'avait tiré ce sujet de derrière les fagots!
** cf A. Boubil. L'erreur de Thomas Piketty. Les Echos.fr. 30 Mai 2014
*** Qui sont les économistes hétérodoxes et quelle place ont-ils ? Lordon répond.
http://www.penseelibre.fr/economistes-heterodoxes-quelle-...
**** On nous vole la connaissance pour mater les derniers récalcitrants, par Boris Verhaegen. Blog de Paul Jorion; 13/06/2014

 

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