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11/04/2017

DISSOCIATION COUPABLE

Les parjures symbolisent la contradiction fondamentale dans laquelle la démocratie se débat depuis Platon et Aristote.

Remarquons qu'il existe une gradation de l'acte déclencheur: promesse, prêter serment (jurer est un verbe  performatif), jurement rituel, jurement ordalique… Promettre est considéré (surtout en politique!) comme un engagement mineur ("les promesses n'engagent que ceux qui les croient"). En ce sens les politiciens font beaucoup (trop) de promesses. Plus lourd s'avère l'acte de faire serment car il évoque beaucoup une dimension judiciaire (prêter serment sur le code civil, sur la bible,…). On parlera de jurement lorsque on aura affaire à un engagement à sanction populaire, juridique, divine ou ordalique comme cela existe chez certains peuples notamment Mwiri au Gabon*. Cet acte relève soit du serment assertoire, soit du serment promissoire, pour reprendre une terminologie juridique qui distingue entre le serment qui porte sur un état de fait passé ou présent sur lequel le jureur s’engage à dire la vérité et celui qui porte sur une action future que le jureur s’engage à accomplir.

Par rapport à cet acte "d'honneur", la diversité des mensonges parait infinie.

Peut être est-ce ce qui explique qu’il n’existe pas, en droit positif, une infraction de mensonge unique, mais un faisceau de répressions d’attitudes mensongères. Des actions en justice (civiles ou pénales) sont envisageables en théorie et permettent soit d’engager la responsabilité (contractuelle ou délictuelle) des menteurs, soit de les condamner.

En pratique, l’hypothèse du mensonge perpétré par un homme politique interroge au plus haut degré l’équité (à chacun selon son dû) inhérente à la justice. En effet, les tentatives de justifications du mensonge en politique qui prennent des tours parfois surréalistes, heurtent d’instinct l’opinion publique.

Sauf qu'à à trop mépriser cette dernière, il ne faudrait pas que la condition politique (politicienne) ne deviennent, à cause du mensonge même, de ceux auxquels on attache une idée d’abjection ** (tous menteurs, tous pourris!).

Celui des politiciens(ennes)  qui se parjure à l'un des degrés précédent rompt l'un des arcanes majeurs de la démocratie représentative: la confiance accordée sur parole. Le fait-il par obligation, par intérêt, par malversation, ou par schizophrénie?

Laissons les deux premiers qui se comprennent facilement, l'un par le jeu de contraintes nouvelles apparues (la crise, l'Europe, les méchants,…), l'autre par goût des honneurs ou de l'argent. Laissons encore la malversation qui relève du droit et donc de la justice, mais qui ont souvent du mal à s'exercer eu égard à l'immunité dont jouissent certains élus. Reste l'affection du sens, la perturbation du jugement appelée schizophrénie.

François Fillon est-il schizophrène***? Sans doute pas, mais il souffre, semble-t-il, d'une dissociation de ses fonctions freudiennes. Cela expliquerait d'abord qu'il puisse avoir parfois fauté ex ante tout en redevenant ex post un "père la vertu" et regardant ces fautes comme mineures ou relevant d'un double. Il s'agit d'un déni de dissociation du moi*** assez fréquent. Sauf que dans son cas cela se produit devant quelques millions de gens attentifs au moindre écart.Dissoc.jpg

Au sein de l’individu, les parties primaires servent ses intérêts étroits, ceux de son ego jouisseur. Leur logique égoïste menée par ses pulsions et ses émotions vise en priorité à établir sa domination, à assurer sa sauvegarde, son plaisir le plus grand, sa satisfaction immédiate, sa jouissance sans souci des conséquences de ses excès.

A l’inverse, les parties évoluées du même individu sont guidées par des valeurs transcendant l’ego, valeurs inspirées par l’être relationnel qui est (aussi) en soi : justice, respect, équité, fraternité.

Autant les parties primaires sont sans vergogne, s’accommodant de tous les petits ou grands arrangements servant l'intérêt étroit, autant les parties évoluées ne sauraient, mentir, tricher, profiter,… sans que la raison vienne poser son holà.

L'individu "normal" parvient à gérer la dichotomie ci-dessus en réajustant constamment de façon que la sphère évoluée maîtrise la part primaire, dans les limites qu’imposent les valeurs de justice et de respect. Il faut parfois l’aide d’un tiers ou d’une autorité pour rappeler à l'ordre lorsque ce réajustement tend à s’égarer. On peut même évoquer la thèse de Nina Mazar, professeure à l’Université de Toronto affirmant que "La recherche en neurosciences et en psychologie a montré qu’il existe dans le cerveau humain de puissants mécanismes internes de récompense aux comportements vertueux".

Mais, dans le cas des "hommes de pouvoir", la dérive narcissique qui les affecte presque inéluctablement à partir d'un certain temps, anesthésie la fonction régulatrice et autorise des "dérapages". De Cahuzac à Sarkozy en passant par Le Roux, la liste serait longue des dérapeurs!

Parfois le sujet arrive à "couper en deux" une histoire personnelle par commodité. C’est Docteur Jekyll et Mister Hyde au quotidien, président Mitterand et François de la rue Mazarine.

Quant à Manuel Valls qui se parjure après la primaire, ajoutons encore s'il le fallait, le concept d'Onaa provenant de l'hébreu, développé par Henri Atlan (De la fraude. Le monde de l’Onaa Seuil. 2010) qui traite notamment du rapport que les individus entretiennent avec la vérité. Cette dernière s'avérant plus un "curseur autour" qu'une réalité immanente, l’Onaa représente une fraude à la limite du licite, différente en cela du vol, du dol et de la fausse monnaie. Il s’agit d’un domaine intermédiaire entre vérité absolue (de la réalité, de la parole) et la dissolution totale dans la fraude et le mensonge généralisé. Ces zones floues sont nombreuses et suscitent des tricheries, des mensonges par omission, des arrangements. Où commencent exactement les trucages? Leur protagoniste discerne-t-il entre ceux qui sont pardonnables et ceux qui ne le sont pas? Y voit-il le mal ou un simple dépassement des bornes strictes (passage à l'orange)? Valls se défend d'avoir trahi en revendiquant que son rattachement à Macron relève d'un "intérêt général" pour la nation. Pourquoi pas. Mais alors il fallait qu'il démissionne du PS qui était gardien, me semble-t-il, de l'engagement des candidats à la primaire.

Il se rajoute à ce problème le rôle des "croyants", ces fans du sujet qui l'idolâtrent au point de tout leur pardonner et de brandir la théorie du complot pour effacer le dérapage. Ils constituent un bouclier à la raison et légitiment le déni de la faute (la foule du Trocadero, les électeurs de Levallois). Tous ceux qui, éblouis, acceptent de le suivre croient à la malfaisance des médias, de la justice, des comploteurs, du Malin,… jusqu'à faire douter le "messie" qu'il a bien enfreint les limites (le "Et alors?" de F.F.).

Sauf que nous vivons une période de médiatisation concurrentielle dans laquelle tout est apparemment permis tant en prospection qu'en publication. Dès lors, soit la personne "dissociée" possède un vrai pouvoir de censure, soit elle coupe court en se retirant du jeu (attitude fréquente dans les démocraties anglo saxones ou les scandinaves), soit elle subit l'étalage cruel de ses contradictions coupables. La sanction des écarts va de la réprobation par la vox populi, jusqu'à la condamnation par la justice, en transitant (parfois) par la sanction électorale.

La seule morale (sans jeu de mots!) à retirer de l'histoire est que, comme personne ne peut assumer la perfection, le rôle de dirigeant politique s'avère personnellement et juridiquement risqué. Mais il s'agit de l'implacable contrepartie de l'ivresse du pouvoir et de la richesse de la rémunération. Nul ne peut, a posteriori pleurer des larmes de caïman!

 

* cf Julien Bonhomme: "Ce que jurer veut dire : les conditions rituelles de l’efficacité du discours" (2014)
** La sanction juridique du mensonge politique. Proposition de droit comparé dans le temps; Élise Frêlon. Institut pour la justice. Tribune libre n°8; Avril 2015
*** Pour Marine Le Pen le cas est à mon avis différent puisqu'elle joue sur un différentiel d'interprétation des faits. Elle ne les nie pas.
**** cf S. Portnoy Lanzenberg. Vous avez dit schizophrène… Le Monde des lecteurs. 09 avril 2013

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