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12/07/2017

DESTRUCTION SCHUMPÉTERIENNE

Ceux qui m'ont appelé "macronphile" croyaient sans doute que j'avais emboîté le pas de la marche triomphale. Non! Simplement je pense que la trébouline qui a eu lieu s'avérait implacable un jour ou l'autre. Les partis, leurs idées(ologies), leurs permanents, leur entre-soi,… tout cela devenait d'une obsolescence rare, obsolescence pour régler les problèmes actuels et à venir. Des trois tendances qui s'affrontaient, la libérale a gagné au détriment de la marxiste et de la populiste. Je considère que ce n'est pas pire, toutes les offres - quoiqu'elles s'en défendent – s'avérant aventureuses. Elle possède un sous bassement moderniste, managérial, assez séduisant.

La critique première qui lui est adressée s'exprime par une imprécision, une indéfinition des objectifs et des procédures. En fait, je crois plutôt à un type de "leadership de responsabilisation" qui se traduit par la consigne "Tu vas dire que tu ne sais pas tout et tu vas demander de l’aide" faisant ainsi appel à l'implication de chacun d'entre nous. Cela permet de faire confiance aux acteurs et à leur capacité à comprendre et à intégrer les défis avec leur complexité. Cela change de (l'apparent) mépris des politiques vis à vis de l'opinion et des "gens" consistant à leur dire "la vérité" en les prenant pour un peu demeurés (JLM revendiquant d'apprendre le code du travail à un titulaire de la médaille Fields!). Dans l'attitude d'E. Macron, plus on veut conduire un changement en profondeur plus il faut communiquer sur ce qui ne change pas (le cadre) en agitant le reste (les modalités d'action).

La trébouline donc représente la phase "destruction" de la logique schumpeterienne de l'évolution dite "destruction créatrice". Pour l'instant la razzia macronienne ne peut être qualifiée que de destructrice et dégagière.

Il faudra suivre l'évolution des actes pour mériter la qualification de créatrice. Avec lucidité sans tomber dans le négativisme habituel des partis d'opposition et sans verser dans l'éblouissement béat des "croyants" sans preuves. En effet l'innovation Politique exigée par l'accélération de l'Histoire (avec des majuscules!) ne saurait se satisfaire de vieilles recettes ressassées à l'envi et qui feraient reculer encore notre pays au rang des suiveurs plus ou moins passifs. Les deux derniers présidents se sont contentés de cette posture consistant à tenter de réparer les méfaits de la mondialisation a posteriori, en replâtrant vaille que vaille les fentes, brèches et brisures économico sociales faisant désordre. Privés d'un objectif clair et ambitieux*, hier les détenteurs du pouvoir s'appliquaient au ravaudage des méfaits en terme d'emploi (fermeture d'usines, concurrence déloyale, uberisation, chômage résultant,…), de sécurité (attentats, migrations), de finances (renflouement des banques sans changements), de degré d'acceptation des mutations sociétales (islamisme, incivisme, modes de vie,…). Ils utilisaient une régulation dite passive c'est à dire en subissant les évènements plutôt que par anticipation des évènements.

En regardant bien, pas une véritable innovation digne de ce nom n'a été générée dans les dix ou quinze dernières années. Les opposants, eux, s'acharnaient à invoquer des remèdes de bonnes femmes à base de plus de libéralisme où ou plus de conservatisme, promettant des miracles, ce qui s'avère toujours plus facile dans l'opposition. La logique de ces attitudes reposait sur le paradigme d'une continuité relative, avec un changement se réalisant à une cyclicité variant de Juglar (8 à 10 ans) pour l'économie à Kondratieff (40 à 60 ans) pour le social.

En nous extirpant de ce marais stagnant, la nation s'est jetée dans le grand bain de la liquidité à la Z. Bauman agitée de remous et de rapide. Nous y sommes et les premiers temps de "l'ivresse des commencements" montrent que nous y pagayons assez bien.

Le nouveau président de la République, dans un discours dense et lucide a tracé un chemin dont je retiens "la cause de l'homme" comme finalité directrice. Les instances régulatrices semblent correctement définies, notamment le "jury" du Comité Économique et Social qui me semblait faire cruellement défaut dans sa version édulcorée précédente. Doté de ce "chemin" donnant sens à la régulation, la gouvernance réelle reste en charge des moyens "révolutionnaires" pour faire face en les anticipant aux changements profonds qui déferlent sur le Monde.

Cette phase créatrice de la séquence schumpeterienne, exige une innovation sociale(tale) préparatrice d'un affrontement positif avec les futurs défis, ou du moins ceux qui se dessinent. B. Lussato, dans un opuscule visionnaire, utilise la métaphore des chevaux de l'Apocalypse: le cheval noir (l'intégrisme financier), le cheval blanc (l'intégrisme technologique), le cheval rouge (l'intégrisme égalitaire) et, enfin, le cheval jaune (l'intégrisme bureaucratique). Chacun a une "mission" à accomplir.

Le camp de la cavalerie noire fait de la bonne gestion et permet aux multinationales de prospérer. Le camp rouge suscite les avancées sociales et protège les minorités contre les abus des nantis Le camp de la cavalerie blanche a fait la gloire de l'Occident. Le camp de la cavalerie jaune maintient dans une zone, un pays, une ville, un ordre primordial.  Le "vieux Monde" défend la pérennité de ces attelages en mode individualisé. Leurs adversaires leurs fournissent leurs meilleures arguments en mode "Curiaces": les anti-rouge sont dits racistes, les anti-jaune poujadistes, les anti-noir gaspilleurs, les anti-blanc passéistes et rétrogrades. Ces antagonismes "épuisent" l'énergie des acteurs contribuant à une inefficacité larvée et la bonne conscience de chaque camp s'érigeant inconsciemment en défenseur de ses propres fermetures. On le voit, considérer les cavaliers séparément, c'est s'interdire de trouver des solutions. Si on veut bien prendre le recul systémique nécessaire, on doit driver un quadrige car les chevaux ont tous au fond des objectifs conciliables.

quadrige.png

Nous abordons un monde turbulent dont le mode de production va muter complètement. D'un mode de production des choses répondant au critère marxiste au cœur d'une société animée par l'opposition d'une classe ouvrière et d'une classe capitaliste, on passe à un mode de production du sens opposant une classe de détenteur des données à une classe  usagère desdites données. Le numérique n'est que l'outil de ce bouleversement allié aux algorithmes mathématiques. Cette mutation a débuté insidieusement via les fameux GAFSA aspirant toutes les "datas" et des moulinant dans des systèmes "prédictifs" visant à rendre l'avenir prévisible. Les hommes qui fabriquent, qui rendent des services, qui font les petits boulots - et qui sont encore en mesure d'intégrer les populations étrangères, de former des apprentis voire des citoyens - vont se trouver bannis, ruinés par cette économie de la data. L'épuisement des profits par la massification de la concurrence sur les produits accélère ce nouvel Eldorado immatériel. Les marchés eux mêmes se yieldélisent** en otant au prix son critère optimisant.

Sans préparation d'une régulation anticipatrice, les conséquences de la pérennisation du système actuel de production sont limpides: chômage accru, extrême pauvreté des ex salariés, régression culturelle, règne de la démagogie, égalité dans la misère et la médiocrité, destruction de toute classe intermédiaire entre le groupe des très riches (les sachants détenteurs des outils du sens) et la masse usagère, aliénée et exploitée. Mélenchon - le savait-il? -  a montré la voie avec son hologramme. Demain on n'achètera plus de bouquets mais des fleurs hologrammiques et on nous convaincra qu'elles ont de plus belles couleurs, qu'elles sont moins périssables. Demain les instits donneront place à des MOOCs démultipliés à l'infini, dits plus compétents et plus efficaces. Demain nous ne ferons plus appel à des médecins humains mais à des "médicopoles" soignant à distance. Demain des "logiciels d'assemblage" génèreront automatiquement des romans en réutilisant des morceaux de milliers d'œuvres. On communiquera par twitts squeezant les medias institutionnels… L'argent sera totalement dématérialisé… On annonce ainsi la victoire de la carte sur le territoire***!

La "fin du travail" – mais pas que puisqu'il s'agit du mode de production! - annoncée peut être un peu tôt reste néanmoins une réalité à prendre en compte vitalement. Alors, je crois que nous n'avons pas d'autre choix que d'espérer que le président possède la conscience (il semble), le courage (nous verrons) et le temps (??) de concocter une stratégie rusée pour prévenir cette Apocalypse. Aussi rusée que celle qui a désarçonné les partis jugés immuables, aussi ruptrice que celle qui a provoqué ce point de retournement dans le cours des choses politiques.

Craignions toutefois que "l'annonce au Congrès" ne soit que "le sermon de St Antoine aux poissons" de Malher**** dans lequel, après avoir écouté avec délectation le prédicateur reprocher au crabe de marcher à l'envers, à la carpe sa lascivité, à l'anguille sa malhonnêteté, les poissons s'en furent et reprirent leurs habitudes comme si de rien n'était.

L’invention d’une nouvelle forme politique, un "parti-mouvement" articulant ses différentes composantes de façon souple et non hiérarchique, et exerçant un contrôle institutionnellement organisé sur ses dirigeants et ses élus existe maintenant. Mais, il n’y aura pas de sauveur suprême, nous sommes condamnés à l’imagination pour inventer les outils qui feront vivre la démocratie réelle. (Thomas Coutrot, co-auteur du Manifeste des économistes atterrés).

* ou en changeant en permanence ce qui revient à peu près au même…
** le yield management est une politique de prix qui consiste à proposer des tarifs différents pour gérer au mieux les capacités (réduction des prix pour remplir les capacités ou augmentation des prix quand elles vont être saturées) et maximiser la contribution à la marge. En France la SNCF, les compagnies de transports aériens et l'hôtellerie l'utilisent majoritairement.
*** selon l'expression fameuse d'Alfred Korzybski  
****cité par B. Lussato