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23/04/2019

ECOBUEURS

L’autre jeudi soir à la télé, atavisme oblige, j’ai d’abord regardé le derby du rugby du Sud Ouest, Bayonne-Biarritz, pour le côté traditionnellement identitaire... quoiqu'un nombre non négligeable de Fidjiens, Tongiens, Ivoiriens,... évoluaient au rythme de la Peña Bayonna!

Ce morceau de choix avalé, j’ai zappé sur le débat politique. 

Les douze "commis d’office" car, hormis les "petits partis", les têtes de liste sont des seconds (voire plus!) couteaux se sont alignés sur l’écran. Même les présentateurs s’avéraient de second choix.

Arrivée en pleine cacophonie chacun voulant poser son idée, alors que l’autre aussi, alors  que la présentatrice (?) tentait désespérément de gérer et alors que Sotto sautait. Chacun parlait à qui mieux mieux invectivant l’autre qui, lui s’adressait à... Ce n’était pas regardable et encore moins audible! Au milieu un réboussié en costar bleu électrique, Asselineau, paisible et posé annulait toutes les velléités en martelant l’impossibilité comme crédo.

Affligeant spectacle donné comme sommet du débat électoral pré européennes durant lequel, la scansion du temps en petites plages minutées excluait toute explication digne de ce nom.

Pour exprimer la vacuité des choses je me suis surpris à relever la grandeur des oreilles des participants. Belles feuilles, pavillons XXL, des orateurs, voire de la présentatrice (?)... fallait-il qu’il n’y ait rien à écouter!

Plus sérieusement, il m’a semblé voir s’agiter des écobueurs discourant sur la meilleure façon de lancer ou d’éteindre un brûlis... alors que le sujet était un gigantesque incendie planétaire.

Ces gens font semblant de savoir comment réguler demain l’Europe. Ils affirment haut et fort qu’il faut un peu plus de ceci, un peu moins de cela. Ou bien qu’il faut simplement replier les cannes à pêche et rentrer à la maison où il fait meilleur.

Hélas, il serait plus honnête de dire qu’ils ont perdu les commandes du méta système planétaire. J’appelle ainsi, faute de mieux, à la fois l’éco système géophysique, le système social, le système économique, et quelques autres entités systémiques qui se concatènent intimement pour former notre environnement largo sensu.

Ledit système a pris une dynamique autonome, du fait qu’à la demande du néolibéralisme l’on(?) a ouvert de plus en plus de boucles de régulation malgré les mises en garde du Club de Rome. Plus grave encore on(?) a associé des systèmes en nombre via une mondialisation rendant le cœur même de la régulation improbable. 

Ainsi ce qui pouvait, il y a encore quelques décennies,  être plus ou moins géré (régulé) ne l’est plus et s’auto alimente à son gré. Prenez la monnaie: après Bretton Wood qui ouvrait déjà pas mal les garde-fous, la dernière semonce, celle du Général de Gaulle rapatriant l’or des US en 1965, l’inconvertibilité du dollar en or (1971) marque l’ouverture des vannes du barrage des contre parties. Les niveaux de dettes peuvent augmenter de manière exponentielle, quasiment sans limite. On(?) s’est même félicité de la dérèglementation des marchés!  Qui peut dire aujourd’hui qu’un organisme quelconque régule les flux monétaires internationaux? Pas la FED, pas la Chine, pas la BDE,... 

Alors on fait comme si. Qui peut se targuer de maitriser le risque nucléaire et les centrales en lambeaux des pays de l’Est? ... Qui peut affirmer réguler la radicalisation religieuse? Dieu est mort, Marx aussi et je ne me sens pas très bien, plaisante Woody Allen.

Les plus forts (en puissance, en argent, en astuce,...) se greffent sur ces dynamiques pour leur propre profit. Les GAFSA, les banques, par exemple mais aussi une foule d’opérateurs parasitaires allant de la start-up à la multinationale.

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Ceux qui aujourd’hui se muent en lanceur d’alerte ne représentent que des voix implorantes dans un désert d’impuissance. Les freins existent peut être à l’emballement des mécanismes mais ils exigent des efforts de (trop) grandes densité obligeant à des choix plus que drastiques. Alors, la plupart du temps, les gouvernements en  premier, les décideurs politiques en second, s’agitent en vain, mentant à leurs ayant droit sur leur capacité à faire autre chose que coller des rustines usagées sur des flux qui sont largement hors de leur atteinte. «Puisque ces mystères nous dépassent, feignons d'en être l'organisateur» comme disait Jean Cocteau. Peut être y croient-ils, selon un narcissisme fréquent dans cette caste dirigeante. Sauf à tourner en dérision le problème en s’appelant Coluche ou Beppe Grillo, voire Volodymyr Zelensky élu président de l’Ukraine "pour de vrai", illustrant sans doute la lucidité des électeurs acceptant le slogan "Regardez-nous… tout est possible" masquant le dilemme "Tout ou rien!": soit on peut le faire et tout s’avère possible, ou rien n’est possible, et plutôt en rire que d’en pleurer.

Pour ma part, l’affaiblissement intrinsèque de la puissance régulatrice des États est peu contestable même si certains s’en défendent. Les libéraux ont tellement négligé le contexte que le contexte a pris le dessus. On appelle cela une inversion de régulation. Alors ils invoquent la délégation de plus en plus fréquente à des instances supérieures (européennes) de leurs fonctions régulatrices, voire régaliennes, ... pour faire "masse" via des « traités de libre échange » (CETA, JEFTA,…) face aux US ou à la Chine, comme s’il s’agissait d’un problème de poids concurrentiel. D’autres, à l’inverse, se drapent de nationalisme comme arme de réappropriation des leviers régulateurs, comme si l’agilité suffisait au salut.

Il faudrait discuter davantage les notions de conduites autoréférentielles et d’hétéroréférentielles de nos États. Dans la première logique on retrouve les arcanes de l’économie néo-classique gérant des optimisations micro économiques en externalisant leur nuisances. La seconde approche est celle d’une "bioéconomie" mettant l’accent sur la durabilité (sustainable development,) des actions. (Olivier GODARD. Environnement et développement durable. Une approche méta économique. De Boeck.2015).

L’introduction de cette nouvelle normativité comporte plusieurs traits : la mutabilité (par opposition à la fixité et la rigidité de la normativité traditionnelle), la singularité (par opposition à l’uniformité...), l’endogénéité (par opposition à l’exogénéité...). 

Sans doute cette normativité là offre-t-elle les moyens et l’occasion d’une modernisation des modes de gestion de nos sociétés. Comme « partir non de l’unité de la société, mais de la pluralité et de l’opposition des acteurs sociaux, non de l’effet unifiant de l’institution, mais du compromis symbolisé par le contrat; non de l’hypothèse d’une conscience collective, foyer moral et religieux d’unité  d’un système de valeurs commun), mais d’une dispersion des intérêts, des préférences et des valeurs qui trouvent des points de rencontre et établissent ainsi des règles mutuellement admises; non d’une régulation générale de la société, mais d’un ensemble, ni cohérent, ni continu de régulations conjointes ponctuelles par des acteurs sociaux »*.

A voir ces écobueurs s’agiter dérisoirement dans le petit écran, il me vint une idée: et s’il était trop tard? Si cette agitation factice exprimait pour une large part l’idée que les gouvernements successifs de ces trente dernières années n’aient pas été capables de prendre la mesure des fractures que leur laxisme régulateur infligeait aux sociétés occidentales et imposait aux sociétés émergentes pour prélever au maximum un profit bénéficiant à de moins en moins de personnes? Que leur voracité de progrès brisait des équilibres naturels profonds, générait des scories majeures et largement irréversibles? Et s’ils tentaient par la force d’empêcher que nous nous érigions en perturbateurs subversifs?

Mais il devait être trop tard et la fatigue du match me faisait déraisonner! 

 

* Gilbert de Terssac. La théorie de la régulation sociale : repères introductifs. Revue Interventions économiques. Papers in Political Economy. Hors thème45 | 2012

** Illustration empruntée à Free trade: Bilateral and multilateral negotiations dangerous for financial regulation and taxation. Markus Henn, WEED, and Myriam Vander Stichele, SOMO 2013

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