25/10/2019
NOSTALGIE OVALE
En ces temps automnaux une vague de nostalgie m'assaille. Une nostalgie ovale puisqu'il s'agit de rugby dont je veux vous entretenir. En effet, la coupe du Monde japonaise de ce sport met en exergue les cicatrices qu'il a subit en quelques décennies.
Jadis sport de foi, au sens ou l'entend mon ami Jean Louis Martin dans son bouquin "Pilier d'autre foi"*, il fut capable d'allumer des chapelles ardentes dans la ruralité. Qui, aujourd'hui peut situer précisément Beaumont de Lomagne, Saint Sever, La Voulte, Soustons,… qui figurèrent en première division? C'était un temps de marchés locaux où les joueurs relevaient de ce que l'on nomme maintenant "circuits courts". Peu d'exotisme national, pratiquement pas d'exotisme international. Le règlement jouait dans le registre protectionniste (la mutation s'avérait un parcours du combattant!) et la rémunération plus sur la promotion sociale que sur le portefeuille. Quant au carburant musculaire il usait plus du plantureux cassoulet, du jaune pastis que des pilules bleues ou roses. Selon Michel Serres - par ailleurs pratiquant - "les fils de paysans, orphelins à jamais de leur vie culturelle, allaient au rugby comme s'ils en vivaient un peu. Ils y vivaient, tous les dimanches, l'origine de la tragédie. Sans texte, naturellement, sans le savoir, heureusement"**. Le clocher, le maillot, la commune ont disparu de la panoplie motivatrice.
La mutation économique du professionnalisme a généré un marché ouvert avec "la libre circulation des biens et des capitaux" nationale et internationale. Qui dit marché dit concurrence et quoiqu'on dise tendance à la surenchère pour les "bons" et déclassement les "mauvais" voire les "inutiles" (fin de carrière, blessure,…). Bientôt il faudra faire appel à Piketty pour stigmatiser les "écarts de richesse" résultants. Les clubs importent, de bien loin (Pacifique, Georgie, Argentine), des produits (joueurs) qu'en cherchant un peu ils pourraient trouver à proximité. La ruralité, à l'aune de son traitement général, ne fait plus recette et oblige au regroupement des communes pour "optimiser la gestion". On joue n'importe quel jour de la semaine, à n'importe quelle heure. On joue même, sacrilège, "en même temps" qu'une coupe du Monde ou d'un tournoi des six nations. Il faut bien combler la grille télévisuelle.
Pour la métaphore, le clocher a cédé la place au coffre fort. Dans les vestiaires, où maintenant la caméra viole ce qui fut jadis le tabernacle sacré, flotte plutôt une odeur de fric que d'huile camphrée. On y parle des langues allogènes ou des termes compliqués afin de ruser par rapport à l'arbitre. Pardon, au directeur de jeu, vêtu de couleurs chatoyantes et frappé de logos postaux. Gwynne Walters et son blazer à liseret, s'il vit encore, doit s'étrangler devant son écran! Sur le terrain des gladiateurs apatrides tentent de concasser l'adversaire plus pour le salaire que pour l'honneur du terroir. Leur côte personnelle est en jeu avant le jeu, afin d'afficher au prochain mercato un ticket dense en zéros. En outre ils "parlent dans le poste" comme on disait du temps de la chaine unique, en fin de match et même lors d'émissions où ils tiennent tête à de superbes blondes pendant des heures! Ils préparent ainsi leur reconversion en "Albaladéjo" new look au côté des commentateurs, lorsqu'ils ne trouvent pas d'emploi d'entraineur, pardon de coach.
Mais la métaphore du coffre n'est déjà plus à jour. Tel le capitalisme qui a muté en casino financier, la référence pourrait être aujourd'hui le compte en banque. Les nouveaux riches de ce monde, les fonds d’investissements, commencent à investir dans des clubs. Mais pas à n’importe quel prix. Ils y viennent avant tout pour faire de gros bénéfices***, avec toute la panoplie des gestionnaires-vampires bien connus dans l'industrie exsangue. Ainsi la FFR s'adjoint un fonds de pension, ainsi la RLW choisit le Japon pour faire monter la valeur ajoutée d'un nouveau pays pratiquant, comme la FIFA ou IAAF choisissent le Qatar pour des raisons financières. Foin de chaleur, typhon, horaires et autres désagréments. Pour échapper encore à cette menace, les clubs traquent le milliardaire un peu naïf acceptant de flinguer son fric dans le Top 14, aidé par des sangsues qui se donnent des fonctions imaginaires et parasitaires. Malgré tout, le rugby sera de moins en moins dirigé par des chefs d'entreprise, certes quelque fois un peu despotes, mais présents au sein de leur club, au profit de sociétés anonymes, froides et très éloignées des réalités du Rugby*** . A ce jeu l'équipe qui possède le plus gros compte financier… gagnera à la fin. La glorieuse incertitude du sport ne sera plus de mise et des PSG fleuriront en ovalie comme dans tous les sports médiatisés.
Alors peut être, mais seulement peut être, les spectateurs se détourneront d'un spectacle au résultat pré connu. Ou peut être continueront-ils à aller déguster les canapés de saumon fumé et siroter le champagne des sponsors au mépris du match. Ou bien, se transformeront-ils en supporter-hooligans désireux que coûte que coûte "leur" équipe gagne à n'importe quel prix, sur l'herbe, dans les tribunes ou aux abords du stade. En hurlant des insanités racistes ou non. Au bout du bout on arrivera à une sorte de parodie de sport tel le catch américain: les protagonistes seront imposants, bodybuildés, accoutrés fluo, simulant un combat dont le gagnant est tiré au sort, devant des foules hystériques.
Cet automne s'avère vraiment gris! Avec quelques fleurs rafraichissantes tentant difficilement d'égayer le marasme comme le jeu de l'équipe nippone. Avec aussi des à-plats noirs comme un coup de coude insensé. Soulages jouait-il au rugby?
* Jean Louis Martin. Pilier d'autrefois. Éditions du chameau malin.
** Michel Serres. Genèse. Grasset.
*** http://rugby-en-melee.com/lopa-des-fonds-dinvestissements-sur-le-rugby-2/
11:22 | Lien permanent | Commentaires (2)
Commentaires
Le rugby comme métaphore de la société dans laquelle il vit ?
Ceci dit , après le match Angleterre - NZ ,pourquoi l'équipe de France composée de joueurs PROFESSIONNELS , donc qui s'entrainent et pratiquent le Rugby A TEMPS PLEIN,n'arrive pas au degré technique , à la discipline et au jeu complet des Britanniques ? Est-ce un atavisme national ? ( nous sommes des Latins ) Est-ce l'argent qui fait la différence ? Est -ce la formation ?Est-ce le vivier de joueurs insuffisant ? Est -ce l'incompétence des entraineurs , de l'encadrement ? Est -ce le Top 14 et le nombre de matchs ? Il y a toujours dans le jeu français des approximations , des mauvais placements , des initiatives incongrues , des fautes , des maladresses , des mauvais gestes
qui viennent ruiner les quelques "illuminations" individuelles. Et c'est râlant de toujours faire un complexe vis à vis des Britanniques qui ne se privent jamais à la fin d'une rencontre qu'ils ont archi-dominée de nous serrer la main en disant avec un sourire rentré : " good game ".
Écrit par : Burro Calvo | 28/10/2019
Tous les arguments avancés sont recevables! Je mettrais en exergue l'affairisme, puis ce que j'appelle "le bon aloi" soit une intelligence dédiée exclusivement au jeu (tous les termes sont importants!). Sans doute également un travail foncier sur la gestuelle dès l'école au détriment de la "championite". Vis à vis des anglais peut être faut-il cesser de vouloir copier pour faire de "l'original" (cf Lucien Mias)
Écrit par : REBROUSSIE | 29/10/2019
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