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10/12/2019

CANDIDES CANDIDATS.

Selon Hélène Reigner, Thierry Brenac et Frédérique Hernandez (Nouvelles idéologies urbaines. Dictionnaire critique de la ville mobile, verte et sûre.2013), l'action publique qui prétend améliorer nos villes, serait porteuse de "normes" et d’ "idéologies" qui ne disent pas leur nom. Les élections municipales qui arrivent sont à examiner à l'aune de cette affirmation. D'autant plus que la pression écologique modifie de nombreux consensus qui s'étaient établis, chemin faisant, dans les vingt dernières années.
Ainsi de nombreux problèmes techniques auparavant traités comme tels sont maintenant "mis en politique" selon l'expression du sociologue Yannick Barthe c'est à dire susceptible de controverse entre régulateurs, ayant-droits et bénéficiaires en fonction des enjeux. On assiste donc à un théâtre d'ombres entre des choix idéologiques masqués sous des impératifs techniques. Et inversement!
La première mystification réside dans les horizons de choix. Selon que l'on prend en compte ou non le long terme (voire le moyen) les réponses données aux problèmes s'avèrent fondamentalement différentes. Hier les impératifs écologiques imposant la vision longue étaient minorés (voire oubliés) alors qu'aujourd'hui les politiques ont beaucoup de mal à les glisser sous le tapis.
Déjà, la ville elle-même pose problème. Doit-on continuer à faire grandir des concentrations urbaines héritées d'un passé porteur d'obligations et de valeurs devenues ingérables sur de nombreux plans, ou évoluer vers des "citées fractales"* conçues et animées selon des canons modernes optimisant? Pas un candidat, faisons-en le pari, n'envisagera un seul instant de choisir une stagnation ou une décroissance de sa ville. Et qui défendra une "ville nouvelle" qui n'existe pas? D'autant que les expériences passées (La Paillade, La Devèze, par exemple en Languedoc), ne furent que des quartiers-verrues ajoutés aux citées en place induisant une ségrégation sociale stigmatisante et stigmatisée.
Ensuite arrivent les problèmes de mobilité (déplacements). Là encore l'action sur la circulation est une "technologie du pouvoir" (M. Foucault) « Le souverain du territoire [est] devenu architecte de l’espace discipliné mais aussi, et presque en même temps, régulateur d’un milieu dans lequel il ne s’agit pas tellement de fixer les limites, les frontières, dans lequel il ne s’agit pas tellement de déterminer des emplacements, mais surtout essentiellement de permettre, de garantir, d’assurer des circulations : circulations des gens, circulations des marchandises, circulations de l’air, etc.»**. Le pouvoir se manifeste par le choix des acteurs (et/ou des flux) facilités par rapport aux acteurs (et/ou des flux) empêchés. Dans l'économie de l’espace, le flux désigne une quantité de "choses" qui parcourt un réseau. Cette chose peut être matérielle, humaine, ou numérique. L'accélération d'un flux ou sa restriction exerce un pouvoir sur l'espace qu'elles concernent. Ainsi, par exemple, posséder ou non la fibre optique pour un territoire le favorise  quant à sa capacité d'attraction d'entreprises (voire de familles connectées) ou, au contraire, le transforme en "désert". On crée ainsi des espaces centraux concentrant des activités (mais relativement inaccessibles) et on dévalue des espaces périphériques ou on les colonise pour loger des populations peu favorisées.

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La tentative d'optimisation (ou plus humblement d'évitement des blocages) peut se concevoir dans des espaces larges (ville et son hinterland, par exemple sur un espace métropolitain) ou restreints à la ville elle-même, mettant en cause les prérogatives de gouvernances (problématique du mille feuilles administratif français) chacune jouant un jeu égoïste.
Ainsi le pouvoir s'exerce par la maitrise des choix. Quand la circulation automobile de la métropole montpelliéraine se trouve complètement thrombosée tous les matins et soirs cela découle de choix faits ou de non choix de la part de la gouvernance (urbano-métropolitaine). Des non-choix acceptés par les dirigeants passés d'abord. Georges Frêche incarne sans aucun doute un visionnaire pour pas mal de domaines mais sûrement pas en matière de gestion des flux. Cette dernière relève d'une mécanique des fluides complexes, or les modèles circulatoires commandés à des sociétés spécialistes ont été profondément "balafrés" par le maire-président mettant en échec toute leur logique. Il faut savoir que ces modèles sont de nature systémique et qu'une modification ponctuelle impacte l'équilibre de l'ensemble. A sa décharge il faut avancer l'expansion des déplacements en vélo peu prise en compte à l'époque et les enjeux intra locaux (controverse du Lien, de la déviation de Baillargues, des pénétrantes autoroutières…). Des choix discutables ensuite, impulsés par divers groupes de pression (commerçants, aménageurs, administrations,…) exerçant des chantages électoraux et ayant créé des pôles d'attraction sources d'engorgement.
La régulation des flux peut se concevoir selon un mode macro (infrastructures, multiplication des offres de moyens, restriction des droits,… ) ou micro (différenciation des tarifs), péages (Londres, Stockholm, Washington,…).
Les macro-régulations à la congestion automobile se regroupent en quatre catégories principales : ne rien faire, augmenter l’offre viaire, diminuer la demande automobile, articuler transport et urbanisme.
Dans les choix "technologiques" majoritaires (feux tricolores synchronisés ou non, carrefours circulaires, ralentisseurs,…) et cumulatifs, souvent inefficaces du fait de la variété horaire des flux, alors que des agents de circulation à l'ancienne, placés à des nœuds précis, fluidifiraient la circulation. Les mégapoles comme Bankok, Jakarta, Sao Paulo, ou Montréal, usent de ce système "réhumanisé" avec une efficacité reconnue.
Enfin il faut insister sur la gestion de la rente foncière. Selon la réglementation des conditions locales et intra locales de la construction on génère des marchés immobiliers différenciés financièrement, environnementalement, socialement… Raymond Dugrand (adjoint à l'urbanisme de G. Frêche) a mis en application ce "pouvoir de la construction" en municipalisant de nombreux terrains, permettant ainsi l'opportunité de rendre "social" le quartier d'Antigone. Le choix d'implantation d'un équipement public important crée une valorisation importante donc une rente positive pour les terrains environnants (cas d'un stade, d'une fac) ou au contraire une dévalorisation (cas de Centre de traitement d'O.M., cimetière,..).
Il faut rajouter ce qu'en économie on nomme économies externes positives, la gestion des flux diffus, par création d'image favorable de quartier (culture, animation, renom,…) ou, au contraire, d' économies externes négatives (vétusté, insécurité, propreté,….).
Avec une logique qui se trouve profondément impactée par les impératifs écologiques que nul ne peut plus ignorer, même à court terme. Et les impératifs financiers qui sont devenu l'échelle de mesure prioritaire de l'époque. Et les impératifs juridiques qui verrouillent la moindre action sous un fatras de lois et règlements. Et la gestion des ressources humaines que l'on doit manier avec une dextérité d'orfèvre… En n'évoquant pas, par pudeur, les lobbies immobiliers, sportifs, politiques,.. qui s'agitent comme des ombres derrière les décisions importantes.
 
Tout cela pour donner une idée de la complexité d'un diagnostic et d'un pronostic (projet) sur une métropole. Alors, les candidats qui tentent de nous convaincre qu'ils vont résoudre le tout dans un mandat me font doucement sourire! C'est ce qui explique, hélas,  qu'il vaudrait mieux qu'ils aient une "belle gueule"!
 
* Cécile Tannier. "Formes de villes optimales, formes de villes durables. Réflexions à partir de l'étude de la ville fractale". Espaces et sociétés n° 138. 2009
** Michel Foucault, "Sécurité, Territoire, Population", Éditions Gallimard et Éditions du Seuil. 2004 p. 31
voir "Conseils pour l'aide à l'Action Publique locale". André NOY. The Book Editions 2019.

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