08/09/2020
CASTEX PLANIFICATEUR MASQUÉ
Le vieux monde a la vie dure! Macron-Castex nous invitent à un retour au Commissariat Général au Plan (1946) et au Haut Commissaire (même année). Sauf qu'il s'agit d'une sorte de Canada dry! Ça a le nom, ça a l'apparence… mais ce n'est pas vraiment la même chose.
Demandons nous d'abord pourquoi cette réhabilitation d'un concept longtemps diabolisé par les libéraux. Sans doute pour rassurer! Le peuple, l'opinion, les gens,… enfin ce qui représente la population se trouve particulièrement affecté moralement par la pandémie. Le confinement, les masques, les errements de nos dirigeants n'ont pas arrangé les choses, et les controverses raoultiennes non plus. Il s'avérait donc nécessaire de donner l'impression d'avoir maintenant une vision claire et volontariste de l'avenir. Il s'agit du pouvoir des mots: le seul mot de "plan" porte en lui une connotation sécuritaire dans le ressenti du français moyen et moyen plus. Ça ne coûte pas cher et ça rassérénère!
Voilà pour la forme, voyons le fond. Et là apparaît le Canada dry. En effet il s'agit d'un "machin" comme disait de Gaulle sans organisation propre, donc sans le bras armé d'une administration puissante et respectée qui faisait l'efficacité de l'original. Le plan qui exerce son rôle doit d'abord être porté par une administration qui assume ses priorités au-delà des arbitrages budgétaires entre les ministères. Par assumer, j'entends vérifier la mise en œuvre conforme aux prévisions et, le cas échéant, corriger, voire sanctionner, les déviances injustifiables. Ensuite vient le travail interministériel systématique et suivi par un contrôle pérenne. Enfin, une programmation budgétaire pluriannuelle nécessaire pour déployer une politique lisible et ambitieuse. La délégation de cette mission à la Direction du Budget n'a pas lieu d'être sauf à susciter des doublonnages néfastes à la lisibilité.
En l'état actuel de ce qui est acté, le CGP ressemble à s'y méprendre à un guichet à fric, d'où la distribution se fera un peu à la tête du client (si, si!) ou en fonction des enjeux plus politiques qu'économiques et/ou sociaux*. Castex, quatrième république dans son jus, à faire du reswitching, eut pu affirmer "Dans le monde de la compétition ou nous sommes entrés sans esprit de retour, l'objectif fondamental du Plan est d'asseoir sur des bases solides la capacité concurrentielle de notre économie, en vue de préserver son indépendance, d'assurer son expansion dans l'équilibre et de faire d'elle le support d'un progrès social réel et durable." (Introduction du Vème plan). Ça aurait eu de la gueule et les partenaires sociaux y auraient vu une prise en compte de leurs problèmes.
Plus généralement nous relevons à ce stade, l'infirmité majeure des libéraux, à savoir le courage de contrôler et le cran d'imposer. La liberté, crédo de ces décideurs (qui sont plutôt des gestionnaires) dicte, selon eux, de ne pas trop "embêter" les entrepreneurs, commerçants voire employés dans leur action. Et donc de laisser le champ à des dérives considérables quant à l'observation des lois et règlements. Ils prônent l'auto-contrôle dont on imagine l'ouverture au laxisme potentiel (détournement, évasion, abus,…). Le même crédo les fait répugner à ordonner au sens managérial du terme lorsque cela devient nécessaire. On a vu dans le passé et récemment des groupes tourner en ridicule la parole de l'État sans que ce dernier ait le courage de mobiliser des armes administratives, financières ou juridiques pourtant à sa disposition. Ce plan semble manquer d'affirmation. Certes il est nécessaire d'endiguer les faillites productrices de chômage, mais sans maintenir exagérément trop d'entreprises zombies en pénalisant ainsi les entreprises "porteuses d'avenir".
Après la forme et le fond, devrait venir la "philosophie". Le sémillant catalan de Vic Fezensac nous a inventé le keynésianisme de l'offre. Plus d'un économiste a du se gratter puissamment le crâne pour imaginer cette hybridation de l'école Stanford (Laffer) et celle de Cambridge (Keynes). En fait il s'agit d'un pragmatisme gersois qui permet de dire "il faut consommer" et "il faut baisser les impôts". Sur le coup, on se trouve séduit: la seule chose positive qui existe actuellement en France s'avère le montant de l'épargne des ménages, 5400 milliards d'Euros (source Banque de France), pactole qui fait saliver les financiers. Quant aux points négatifs, il s'agit primo d'un faiblesse sensible de la consommation et de l'investissement car qu'il faut souligner que, si l'épargne permet potentiellement de financer l'investissement, elle ne crée pas, ipso facto, la volonté d'investir. Celle-ci est liée aux anticipations de débouchés et de profits, soit une pression stimulante de la demande. D'où le défi keynésien de transformer cette épargne en dépenses de consommation provoquant donc une impulsion de demande donc de commande, donc d'investissement. CQFD… sauf s'il s'agit majoritairement d'une demande de produits importés entrainant un déséquilibre de la balance commerciale (zut!).
L'autre corde de l'arc castexien (qui est de droite rappelons le) est d'inciter à investir en baissant les impôts et taxes sur les entreprises. Ça ne marche pas mais ça fait plaisir aux électeurs patrons. D'où l'appel à Laffer et à sa courbe "inventée" sur une nappe de restaurant (paraît-il!).
Je ne suis pas sûr que Jeannot de Vic y croit vraiment. Alors il habille le morceau dans un papier cadeau affirmant pour le fun que la reprise (dites-le en scandant le débit tous les trois mots à l'instar du maître) "sera stimulée par l'exigence de modernisation découlant de la concurrence internationale, par les perspectives tracées par ce Plan et par l'intention affirmée par le Gouvernement d'en défendre les objectifs. Plus particulièrement, elle dépend des mesures qui pourront être prises pour favoriser la transition entre la phase actuelle de ralentissement et la reprise d'une expansion fondée sur l'écologie et sur des bases assainies." Ça ne mange pas de pain car au mot près c'était écrit dans le préalable au Vème plan!
Seul le jeu, de la concurrence, du rôle, à la fois stimulant et improbable de la consommation, des choix multicritérisés des investisseurs, des échanges extérieurs permettra de déclencher (ou non) le processus espéré. Et donc conclure que les causes principales de la croissance sont psychologiques. Comme le dirait Wittgenstein on doit se référer à une causalité contextuelle. Il est donc nécessaire (impératif) de réanimer chez les français une attitude optimiste liée à la confiance (largo sensu) et consommatrice (demande potentielle considérable restée longtemps à l'état latent), en espérant que l'environnement international soit globalement favorable. Pour se poursuivre, cette croissance devra s'accompagner d'un niveau culturel de plus en plus élevé (effort scolaire et universitaire) afin d'intégrer les impératifs écologiques raisonnables et un parti pris innovateur qui déclenchent des attitudes responsables de la part des entreprises. Cette contingence favorable qui n'existe pas aujourd'hui (gilets jaunes, violence, tensions religieuses,…) ne se décide pas d'un coup de baguette mais se construit progressivement. Les faux-semblants des discours ne suffisent pas.
Ce n'est donc pas gagné! Le plan – digne de ce nom – devrait être l'outil qui donne une visibilité suffisante à ces jeux et enjeux, qui abonde les financements** fléchés nécessaires à leur assomption, tout en maintenant une paix sociale réelle.
Vous vous dites: n'en jetez plus!
Eh bien si, il faut souligner de plus que le Plan est un acte politique. En conséquence, il doit associer les "forces vives" de la nation à sa préparation. Il ne doit pas tomber sur la tête des acteurs comme la neige de décembre mais constituer un "puzzle d'adhésion".
La collaboration, à la base du travail de préparation du plan, comprise dans la structure même des institutions de planification ont été, à mon avis, le principal moteur de la réussite du fameux Vème plan***. Les stakeholders (parties-prenantes) pouvaient générales pour l'économie dans son ensemble ainsi que par secteur (niveaux de production et de productivité, priorités d'investissement, programmes de réorganisation). Les «commissions de modernisation » étaient ensuite chargées de débattre et d'élaborer des plans sectoriels précis. D'où une meilleure objectivation et donc "intégration", des objectifs, des contraintes et des moyens. C'est ce que l'on nomme une régulation conjointe (Reynaud). Cette concertation combine des moments d’information, de communication et de participation de manière à partager des représentations sur le projet de changement. Il s’agit de « dire ensemble » (Bratosin).
Vous comprenez maintenant pourquoi ai-je parlé de Canada Dry ?
* On pourrait parler de "plan de sauvetage" plutôt que de "plan de modernisation"
** le problème financier n'est pas abordé car la politique de EQ (facilité de crédit) fait passer le financement au second plan, même s'il reste une problématique à terme.
*** André NOY. Critique de la décision planifiée. Thèse sciences économiques. Montpellier Janvier 1975.
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