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14/05/2009

POUVOIR VIVRE SON REVE

Au fin fond de la forêt de Malaisie vivait une tribu primitive, les Senoïs. Ils organisaient leurs vies autour de leurs rêves. Tous les matins, autour du feu, chacun ne parlait que de ses rêves de la nuit. Ainsi, par exemple, si un Senoï avait rêvé avoir nui à quelqu'un, il devait offrir un cadeau à la personne lésée. Chez les Senoïs, le monde onirique était plus riche d'enseignements que la vie réelle. Leur société ignorait la violence et les maladies mentales. C'était une société sans stress et sans ambition de conquête guerrière. Les Senoïs disparurent quand la partie de la forêt où ils vécurent, fut livrée au défrichement.
Et si nous vivions un moment charnière dans la destinée humaine ? Diantre ! direz-vous (ou Medamné ! si vous pratiquez l'occitan). Mais j'insiste, ne serait-ce pas la dernière convulsion avant irréparable, irréversible qui se  déroule sous nos yeux? Une société qui, inexorablement, s'ampute de la faculté de rêver.

Déjà, il y eut Mai 1968 qu'il est de bon ton aujourd'hui de railler et de charger de toutes les tares actuelles concernant le travail, l'ordre, l'obéissance, les mœurs, la drogue, ... et l'extrême gauche. Pour ma part, sans angélisme outrancier, je continue à penser qu'il s'agissait d'un spasme majeur et prémonitoire. Le message essentiel (hors des catéchismes pour ou contre) résidait dans « Laisser l'humain se manifester chez les hommes et les femmes de bonne volonté ». Primo, lâchez-nous les baskets avec des interdits, des tabous, des pudeurs, des respects que rien ne fonde vraiment. Secondo, on n'a pas forcément envie de travailler plus pour consommer plus. Il existe d'autres valeurs que le boulot, le formica et la compétition. Peace and love, comme ils disaient, dans un raccourci qui a fait flores. Tercio, il faut revenir au naturel, au territoire. Gardarem lo Larzac et Viure al pais symbolisait cette écologie naissante.
Tous ces messages fondamentaux ont été dénaturés, c'est le cas de la dire, déconstruits, négativisés, voire récupérés, par le Léviathan capitaliste. Jusqu'aux écrits philosophiques ou sociologiques tentant d'expliciter ces paraboles ou métaphores qui ont été bannis. Marcuse, Baudrillard, Chatelet, Deleuze, Bourdieu, Georgescu-Roegen, .... ont été occultés ou vilipendés. Et tout est reparti ! Le fascisme de la consommation, l'impérialisme de la production de masse, le cynisme des puissants, la répression active et passive des contre ou anti ... avec la violence de ceux qui ont compris qu'il y avait dans le printemps 68, à Paris mais aussi dans le monde entier, les ingrédients d'un ébranlement, d'un changement de cap dirimant !
Alors, pour revenir au présent, les mêmes stigmates se dessinent sur le corps mutilé de la cour des Miracles de la société mondialisée.
Écoutez les étudiants, les professeurs d'université, les chercheurs, les instituteurs, les biologistes, les médecins, les patrons de PME, les syndicalistes ! Ecoutez-les, même si les medias classiques, aux ordres des financiers et des marchands, les ravalent au rang de conservateurs obtus ou d'anarchistes activistes. Leurs revendications qui sont systématiquement traitées comme des corporatismes fractionnés veulent dire beaucoup plus et, hélas, beaucoup plus grave !
Entendez les messages d'angoisse sur la santé, sur les apprentissages fondamentaux, sur la planète, sur la fin du progrès social. Imaginez un instant que les jeunes, étonnamment lucides, tentent désespérément de conserver un peu de droit au rêve. Parce qu'une société ne peut survivre qu'en produisant un imaginaire de l'avenir positif. Et le rêve donné en cible potentielle, dans le meilleur des cas, réside dans un emploi de cadre à cinquante heures par semaine, le 4x4, les Maldives huit jours par an avec le portable branché, un cancer vers quarante-cinq ans, des enfants un peu tordus par les pesticides, une pandémie toutes les décades et un chinois qui candidate à votre poste pour un tiers moins cher ! Vrai ou faux ? Et, de toute façon, c'est cela ou la galère, car il n'y a plus de place pour le « cool » ! Croyez-moi, pour avoir enseigné dans une école d'ingénieur, la majorité des jeunes sombre dans cette obsession. Ce que Gilles Châtelet appelle la « triple alliance » politique, économique et cybernétique, susceptible de « réguler » des masses humaines de grande dimension s'est imposée, et propose un avenir "d'homo-communicans, de citoyen-thermostat, habitant-bulle d'un espace cybersympa, sans conflit ni confrontation sociale archaïque, se flattant de positiver et de n'exister que comme ténia cybernétique perfusé d'inputs et vomissant des outputs" 1 .
Entendez ce que veulent dénoncer les professeurs de médecine qui ne sont que très peu à appartenir à la LCR, sur les risques accrus exponentiellement par une pollution agro-industrielle délirante. Et le laxisme complice des dirigeants qui vendent des «  élargissement de quotas » ou des « modalités transitoires », voire des « moratoires » contre quelques millions et des appuis pour leurs campagnes politiciennes. Qui suppriment allègrement ceux des fonctionnaires  qui sont censés contrôler les dérives. Bif 1.jpg
Entendez les dirigeants de petites entreprises qui s'aperçoivent qu'ils sont les boute-en-train des multinationales, condamnés à servir de faire-valoir ou de sous-traitants kleenex à ces dernières, implacablement.
Entendez les salariés précarisés sous prétexte de globalisation, humiliés dans des délocalisations opportunistes, spoliés constamment dans le partage de la valeur ajoutée, exposés par des systèmes de crédits esclavagistes. Humiliés en double peine par les milliards perfusés aux PDG voyous et aux financiers escrocs selon quelques colmatages de fortune permettant de tenir la barque financière mondiale à la surface d'elle-même.
Entendez les classes moyennes qui en ont assez de reculer quant à leur mode de vie en face de ce qu'on appelle les « high net worth individuals » ou HNWI dans le jargon actuel, les ultra-riches, étalant leurs délires tout au long des médias peoples.
Ces quelques flashes pour accréditer le fait que nous sommes à un tournant, le dernier tournant, où tout se joue. Soit nous continuons à faire comme si la croissance et la science pouvaient infiniment réparer les outrages de la croissance et de la science (ce que certains appellent des « Allègrades » du nom du futur transfuge) et tout indique qu'il n'y a plus d'avenir ; Ou nous changeons drastiquement de gestion de la vie sociale. La pression du confort est une notion décisive car elle impose des choix et donc des sacrifices matériels au profit d'avantages sociaux 2. Quand Sarko fustige les rétrogrades, les conservatismes, ... il parle aux penchants faciles et consuméristes des individus. Pour ma part, je revendique d'être conservateur s'il s'agit de ne pas régresser par rapport à aujourd'hui, voire à hier. Je revendique de stagner dans le mode de vie des années cinquante-soixante qui s'avère, sans doute, ce que l'on peut faire de mieux sans condamner l'avenir, sans hypothéquer la notion de vivre ensemble, fondatrice du lien sociétal qui s'étiole progressivement.
Quand tout est à vendre, rien n'a plus de valeur. Quand chacun veut prendre (subventions, allocations) sans donner (bouclier fiscal, niches fiscales, fraudes), il ne reste pas grand-chose pour tricoter la société et dessiner un avenir lisible. Comme le chef indien Seattle le déclarait au président des Etats-Unis en 1894 « Cette destinée est mystérieuse pour nous car nous ne comprenons pas pourquoi les bisons sont tous massacrés, les chevaux sauvages domestiqués, les lieux secrets de la forêt lourds de l'odeur de tant d'hommes, et la vue des belles collines souillées par des fils de fer qui parlent. Où sont les fourrés profonds ? Disparus. Où est l'aigle ? Disparu. C'est la fin de la vie et le commencement de la survivance. ».
Les hommes libres ont-ils encore leur mot à dire ? Ont-ils seulement le droit d'exister ? « Nous sommes de plus en plus nombreux à n'avoir pas le désir d'entrer en survivance » nous disent implicitement tous les mouvements actuels. Surtout pour le bon plaisir des HNWI ! Nous voulons pouvoir espérer un avenir meilleur pour nos enfants. Pour cela nous RESISTONS ! (dans les universités, dans les administrations, dans les entreprises, ..). En effet, "l'ordre établi détient le monopole légal de la force et il a le droit positif, l'obligation même d'user de cette violence pour se défendre. En s'y opposant, on reconnaît et l'on exerce un droit plus élevé. On témoigne que le devoir de résister est le moteur du développement historique de la liberté, le droit et le devoir de la désobéissance civile étant exercé comme force potentiellement légitime et libératrice. Sans ce droit de résistance, sans l'intervention d'un droit plus élevé contre le droit existant, nous en serions aujourd'hui encore au niveau de la barbarie primitive." ( H. Marcuse. Conférence : Le problème de la violence dans l'opposition, Juillet 1967). Le droit de désobéissance (civil disobedience) utilisons-le aujourd'hui pour éviter une barbarie du marché bradant nos acquis sans retour possible. Après avoir été de la chair à canon, puis de la chair à marché, si nous ne voulons pas nous transformer définitivement en chair à consensus, il faut désormais résister dans toutes les instances puisque les partis s'amollissent. Il faut dénoncer le virus de la "guerre de tous contre tous" qui est bien plus pernicieux que la grippe A !

1 Gilles Châtelet. Relire Marcuse pour ne pas vivre comme des porcs. Le Monde diplomatique. Août 1998.

2 Voir Bernard Méheust. La politique de l'oxymore - Éditions la Découverte. 2009

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