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06/05/2010

LA DÉTRESSE DU PÉLICAN

« La société capitaliste actuelle, toute démocratique qu’elle s’imagine, expérimente elle aussi le joug d’un groupe surpuissant, affranchi de toute force de rappel, par conséquent prêt à pousser son avantage jusqu’où bon lui semblera. Ce groupe, ignorant des limites et en proie à la démesure, c’est la finance actionnariale ».F. LORDON*


Et oui, pendant que l’on nous amuse avec les « boîtes aux lettres » islamiques présentées comme le péril civilisationnel majeur, je crains que le mode de fonctionnement des pays dits riches soit fondamentalement menacé.

La folie financière qui voit certains se gaver de fric au delà de l’imaginable alors que les derniers remparts, les dernières digues DÉRISOIRES destinées à tenter de réguler ce tsunami sautent, se pose le problème de l’avenir de notre société. Le terme de tsunami n’est point exagéré ! Rien que ça !! Je vais essayer d’en montrer simplement la logique.
Le concept clé est failed states ou collasped states (cf: Failed States, Collapsed States, Weak States: Causes and Indicators. ROBERT I. ROTBERG. State failure and state weakness in a time of terror. Brookings Institutions Press. 2003 ) qui vient de la sécurité internationale. Cette «qualification» a permis aux états forts (et en premier les USA) de mettre sous tutelle de nombreux pays (Afghanistan, Irak, Colombie, Liban, …) au prétexte que leur gouvernements s’avéraient déliquescents, et leur imposer ainsi un type de gestion « convenable », dans leur strict intérêt. Néo colonialisme diront certains. Aujourd’hui, avec la Grèce, nous avons un processus similaire quoiqu’axé sur des critères économiques.
Primo, d’où vient le problème ? Certes, lesdits pays «défaillants» ont souvent manqué à un certain nombre de devoirs. Pour les hellènes, le maquillage des comptes, la corruption généralisée, le travail noir, le duopole clanique Papandréou/Karamanlis, … sont avérés et conduisent à un déficit public imposant. Le schéma suivant donne les éléments de la logique d’endettement d’un pays. Mais quel est le plus à condamner : l’emprunteur qui crée le déficit ou le prêteur qui le permet?  Qu’on en juge :

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On peut d’abord amoindrir les causes du déficit : en réduisant les dépenses publiques (réduction des fonctionnaires, des investissements, des subventions, du train de l’État, …) (1), en augmentant les tarifs des services publics (1’), d’un côté, en augmentant les impôts (2), en procédant aux ventes d’actifs (entreprises nationalisées, éléments du patrimoine, …) (7), de l’autre. Toutes ces mesures sont assez impopulaires et les dirigeants se font tirer l’oreille afin de ne pas mettre leur potentiel d’éligibilité en cause. Il apparaît, sur le schéma, la ressource «planche à billets» qui consistait (le passé est de mise) à demander à la Banque Centrale de faire des avances à l’État. Cet expédient facile pratiqué lors des 30 glorieuses, n’est plus du ressort des pays, mais, le cas échéant de la BCE (Banque Centrale Européenne).
On peut aussi, et c’est la solution de facilité, emprunter. Pour cela le gouvernement émet des obligations d’État qu’il «vend» aux souscripteurs. Ces derniers sont en premier lieu, des épargnants internes (Individus, Caisses d’Épargne, Banques) avec un taux d’intérêt maîtrisé (3). Au delà il faut s’adresser à l’épargne extérieure et le taux d’intérêt va alors être négocié ou subi. Il est négocié avec l’épargne externe officielle (FMI, Pays, Fonds souverains) (4), subi avec les fonds de pension, les prêteurs institutionnels étrangers (5) et, surtout, avec les spéculateurs (hedges funds, private funds) (6). On passe donc progressivement de taux d’intérêt choisis à des taux dépendant du bon vouloir des prêteurs et qui sont fonction d’un indicateur, la notation. Cette notation affichée par des agences privées (Moody's et Standard & Poor's par exemple), va de AAA+ (excellente induisant donc un taux assez bas) à B, voire C (mauvaise donc taux élevé). Mais ces préteurs ne sont pas que préteurs, ils sont aussi prédateurs … de richesses et ont donc intérêt à enfoncer maximum le pays emprunteur.
Deuxio, une fois le problème posé, c’est-à-dire le déficit tellement creusé que plus personne n’accepte de vous prêter hormis à des taux excessifs, le «Cercle Financier» vous décrète «économic failed state» et les medias vous cassent, amorçant une spirale dramatique. Les hyènes et les vautours de la finance actionnariale attendent de voir si l’on vient à votre aide. Sinon il dépècent le pays «failli» de ses richesses (minerai, entreprises, ports, …). Si oui, ils empochent quand même les juteux intérêts imposés.
Revenons à la Grèce. Tout a fonctionné comme ci-dessus. Aujourd’hui, mal notée et subissant en conséquence des taux excessifs, que peut-elle faire ?
a)    Appeler au secours les «institutionnels» : Le FMI qui est là pour ça, mais qui subit l’emprise des libéraux (et oui DSK !) et se doit d’imposer à ce titre des réformes structurelles contre son intervention. Plus «naturellement» l’Europe dont il était dit que l’Euro protégeait les membres de crises importantes. Mais les majors européens (Allemagne, France, Scandinaves) font la fine bouche, jouant à contre-emploi les pères fouettards vertueux. Or, il aurait suffit qu’ils affirment dès le début la solidarité totale avec la Grèce pour que les hyènes se détournent de la proie. Voire que la BCE fasse fonctionner la fameuse planche à billet citée ci-dessus, pour la bonne cause (dis Trichet pourquoi tu tousses ?). La BCE donnerait des euros frais en échange de bons du trésor ne valant (presque) plus rien. Trop facile, direz-vous ? Pas certain, qu’au bout des tergiversations, l’Europe ne paie pas le prix fort de ses atermoiements (affaiblissement de l’euro, contagion vers Portugal, Espagne, et plus si affinité !).
b)    Vendre son patrimoine et quelques unes de ses îles paradisiaques comme le lui suggère un dirigeant allemand (toujours aussi primesautiers les teutons !). Déjà, la Grèce a vendu les ports du Pirée et de Salonique et quelques fleurons de son patrimoine architectural. Ainsi, tel le pélican de l’allégorie de Musset qui «Pour toute nourriture apporte son cœur», le peuple grec se mutile pour que ses enfants survivent.

Il reste un obstacle négligé: ledit peuple hellène ! Ce peuple qui a inventé la démocratie qui le lui a si mal rendu, et connu l’une des pires des dictatures, celle des colonels (cf « Z » de Costa Gavras), va-t-il accepter qu’on le piétine encore ici et qu’on hypothèque demain le destin de ses enfants et petits enfants ? Déjà la colère excédée gronde et, quoique l’on dise, ce ne sont pas que des anarchistes qui s’emparent de la rue athénienne. Peut-être qu’une autre allégorie s'actualise: celle de la menace de Ménenchon faite au financier Touati l’autre jour à la télé (Journal 20h France 2. 28 Avril 2010) : La révolte légitime des exploités contre les hyper exploiteurs !
Peut être le peuple grec va nous sauver avant que le tsunami n’atteigne les rivages lusitaniens, ibériques et, pourquoi pas, gaulois ! Français, vous n’êtes pas vaccinés contre la grippe grecque. Notre État à déjà « fourgué » la sidérurgie, l’électronique, les autoroutes, une partie de l’automobile, … et va se défausser encore un peu en étranglant les collectivités régionales (baisse drastique des subventions) qui, elles-mêmes vont étrangler le contribuable. Musset ne disait-il pas dans le poème cité : « Les plus désespérés sont les chants les plus beaux ». Voire !

* F. Lordon. « Enfin une mesure contre la démesure de la finance, le SLAM ! » Le Monde Diplomatique. Février 2007.

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