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13/06/2013

J’IRAI RASER VOS SYMBOLES!1

La société "mutualiste" est bien finie! Adieu le serment de Maraussan et Marcellin Albert, le libéralisme dominant en éradique les symboles sans mollir. Implacablement! Ainsi les caves coopératives vinicoles, ces "cathédrales du vin" qui jalonnaient chaque village du Languedoc et du Roussillon passent au bulldozer pour devenir, pour la plupart, de banals blocs immobiliers. Finis ces édifices remarquables, emblématiques d'une histoire régionale marquée par les espoirs d'une solidarité qui arrachaient, dès 1905, "les petits propriétaires paysans, les petits producteurs vignerons… à cet esprit d'individualisme outré et défiant" (Jean Jaurès, L'Humanité du Dimanche, n°385, mai 1905). Circulez, il n'y a plus rien à espérer de la solidarité!

Rappelons que les institutions de l’économie coopérative sont, avant tout, le produit d’expérimentations empiriques et que leur histoire s’est construite du bas vers le haut (bottom-up), de la pratique vers la théorie. Cette dernière, fondée sur le principe de solidarité et initiée par Louis Blanc, Henri Marion, Émile Durkheim, Léon Bourgeois, s’avère en grande partie de chez nous, puisque les grands noms du courant appartiennent à “l’École de Nîmes” (Auguste Fabre, Édouard de Boyve) dont le leader incontesté fut Charles Gide*, maître de l’économie sociale. "Nous sommes ici en présence d’un prodigieux dépassement  de la morale mercantile qui n’était au fond qu’une absence de morale" **.

Pour l’aspect pratique, la coopération est née au sein de collectivités territoriales fortes. Le village, le bourg, le terroir forment le ciment qui anime le monde coopératif. L’enracinement constitue le ferment du lien communautaire qui y prime. Il n’y a pas nécessité d’un espace public de débats lorsque le pouvoir est aux mains des solidarités réelles d’appartenance, et le modèle associationniste vise justement à rassembler les hommes sur la base d’un lien social réel et non sur la base d’un lien politique. C’est de la délibération et non de la représentation des intérêts que doit surgir la vérité démocratique***. Économiquement les liens horizontaux (peer monitoring) représentent un contre poids puissant, capable de contrebalancer l’intérêt exploitant des puissants. Le principe démocratique pur ("un homme, une voix") protège l’entreprise de toute appropriation privée et de toute captation abusive du profit. Le coopératisme est donc indissociable du socialisme naissant. Ils partagent tous deux une même critique de la démocratie politique en laquelle ils voient un phénomène exacerbant les tendances individualistes du monde moderne***.

Ce courant a, de tous temps, inquiété le capitalisme. Alternative décentralisée au collectivisme il a eu son heure de gloire dans l’expérience yougoslave et l’idéologie autogestionnaire. Aujourd’hui, restent en activité les banques et assurances mutualisées, les scop (société coopérative ouvrière de production) et des coopératives de vente qui se développent dans la ligne des circuits courts. Face aux errements de la loi du marché, la coopération présente peut-être la voie humaniste de l’économie présentielle. Les libéraux n’aiment pas! Ils utilisent la dérision (en rappelant Lip ou la Camif), mais, chaque fois que cela s’avère possible, ils pratiquent la destruction de l’outil. Ceci explique l’éradication des symboles des caves coopératives vinicoles.

Ainsi, celle qui fut la 124ème construite par l'architecte Joseph Rouquier influencé par l'Art-déco, la "coopé" de Baillargues-Saint Brès, a été récemment rasée. Le bâtiment "avec des baies à croisillons et meneaux multiples en béton, des jours formant frise, des auvents en béton très proéminents, des quais de réception intégrés dans des grands arcs sans piédroits,…” (Les caves coopératives de l'Hérault: Un patrimoine exemplaire. Thierry Lochard) présentait un cachet incontestable.Coopé.jpg

La municipalité baillarguoise n'a pas souhaité acquérir cet édifice symbolique. On la comprend, elle qui a débaptisé l’avenue J. Jaurès. On nous rétorquera l'argument massue des finances communales. Peut-être. Mais quand on envisage de réaliser un lac artificiel sans grand intérêt, à l'investissement et à l'entretien dispendieux, on peut regretter qu'une réhabilitation en salle des fêtes (inexistante à Baillargues) voire en salle de concert (comme cela fut envisagé il y a quelques années), n'est pas été privilégiée. Merce Cunningham, le célèbre danseur chorégraphe américain se produisant à l'espace Aldébaran, s'était enthousiasmé de la sonorité de cet édifice.

C'eût été une bonne contribution pour que les paysages du Sud gardent quelques références à l'histoire avec le souvenir ancré dans le bâti des luttes mémorables qui se déroulèrent ici. Par références à quelques bonnes volontés qui faisaient cadeau à la communauté des terrains nécessaires pour que vive l'aventure de la viticulture coopérative. Pour mémoire de la gaité laborieuse émaillant le charroi des vendanges. Pour symbôle d'une aventure libératrice.. Car "Personne ne libère autrui, personne ne se libère seul, les Hommes se libèrent ensemble…par la médiation de leur commune action de transformation du monde" Paulo Freire "Pédagogie des opprimés")

 

  1. Cette note est une version d'un article paru dans La Gazette de Montpellier
  2. (Sur le thème voir l’excellent document édité par la Région L-R: Caves coopératives en Languedoc-Roussillon. Edit. Lieux-Dits.)
  3. * neveu d’André
  4. * Jules Milhau. Traité d’économie rurale. (Deux tomes. PUF. 1954)
  5. ** Henri Desroche. Le projet coopératif. Paris, Éditions ouvrières (1976).

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