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28/10/2016

LA DÉMOCRATIE D'ASTÉRIX

Pendant que l'on nous amuse avec des informations qui n'en sont pas vraiment, une décision fondamentale, vitale, a failli passer sous silence. Je parle de la signature de l'accord CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement, ou Accord économique et commercial global). Il s'agit pour faire simple d'un accord bilatéral global entre l'Europe (c'est nous) et le Canada (c'est l'Amérique du Nord) réglant le volume, la nature et les conditions des échanges entre ces deux entités. L'extension du marché-roi à la moitié du Monde! Rien que cela! Ledit CETA, négocié en douce hors de tout débat public, signé en l'état, engageait notre avenir pour les prochaines décennies. Pas seulement économique, mais écologique, alimentaire, juridique, j'en passe et des meilleures! Les "grands acteurs de ce Monde" se frottaient les mains de ce coup de génie. En effet, n'ayant pu faire passer le TAFTA (le même entre les USA et l'U.E.), ils espéraient le coup par la bande comme on dit au billard, puisque environ 85% des multinationales américaines sont aussi résidentes au Canada.

Et puis patatras! Un minus d'entre les minus, la Wallonie, s'est entêté à résister, à dire non et à imposer son véto! Au nom de la démocratie et de l'intérêt général! Tous les "grands" des deux côtés de l'Atlantique, ont crié haro sur le baudet belge. Qui tint bon! Allez voir sur le Net (https://reporterre.net/La-Wallonie-refuse-le-Ceta-Dans-cette-video-remarquable-le-president-Magnettele discours d'une grande dignité du président empêcheur-de-faire-des-affaires. On aimerait en avoir beaucoup de cette trempe en ces temps ou, chez nous, les dirigeants disent ce qu'ils ne devraient pas. Ça réconcilie avec la Politique!

Asté.jpgÉvidemment l'acharnement des Goliath multinationaux sur une "toute petite région" en la menaçant, la vilipendant, la moquant, a réussi à la faire plier, au mépris de toute déontologie démocratique. Pourtant, si le fonctionnement donne un droit de véto, chacun a le droit de l'utiliser. Sinon il ne fallait pas mettre ce droit.

Toutefois, ce déni de démocratie a une portée majeure

Grâce à ce fragile mais courageux véto, ces Astérix du plat pays ont sans doute tenté de protéger notre mode de vie pour nous, nos enfants et petits enfants. L'alimentation (bœuf aux hormones, le poulet au chlore, OGM, pesticides,…), les normes des produits industrialisés, les critères écologiques,… jusqu'au droit (arbitrages hors des tribunaux), il s'agit d'une révolution sociétale profonde. Vendue, comme d'habitude, par d'habiles prêcheurs du libéralisme sauveur de la croissance économique, par les pourfendeurs des  "rétrogrades négationnistes* du progrès", appuyés par des lobbyistes puissants. Bonnes gens, imaginez le marché américain ouvert pour le Roquefort, quel impact pour l'emploi aveyronnais!! Sauf que, en même temps, l'agroalimentaire du Saskatchewan ou du Nebraska  pourra fabriquer du roquefort car les labels seront banalisés. Que pensez-vous qu'il arrivât?

Cet épisode de l'emprise progressive d'une idéologie sur notre libre arbitre pose un problème et un défi majeurs: il en découle directement** que l'un des éléments de la démocratie libérale soit partiellement mais profondément vidé de sa substance. Le Politique – c'est à dire la gouvernance de la société selon les valeurs partagées – devient le sous produit d'une hégémonie économique hors maîtrise. Cette subordination de la société humaine à la logique du marché sape l'expression populaire de la démocratie.

Il faut arrêter avec cette fascination du marché qui représente une entité  multiforme et ascientifique ayant beaucoup de mal à intégrer l'information, le pouvoir et l'intérêt général. Au lieu que l’économie soit encastrée dans les relations sociales, ce sont les relations sociales qui sont encastrées dans le système économique, comme l'explique magistralement Polyani dans son ouvrage "La grande transformation".

Il serait temps de réfléchir à la façon de constituer une gouvernance économique digne et indépendante. Digne c'est à dire capable de prendre en compte l'intérêt général, le bien public. Et indépendante, c'est à dire séparée des autres pouvoirs afin que jouent les équilibres nécessaires pour qu'il existe pas de confiscation de l'un par l'autre.

Pourquoi laisser, sous tabous de démocratie, la régulation économique à des politiques ou à des technocrates, politiques qui par maints fils sont reliés à des pouvoirs occultes, technocraties issues de filières ploutocratiques réticulaires. La théorie de la séparation des pouvoirs désigne la distinction entre les différentes fonctions de l’État, mise en œuvre afin de limiter l’arbitraire et empêcher les abus liés à l’exercice usurpé de la souveraineté. "Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’à point de Constitution."***

Sans doute faudrait-il séparer politique et économie pour actualiser ce principe fondamental. Pour ce faire deux voies: la représentativité de classe et la séparation stricte.

La première option consiste à rendre le pouvoir législatif compatible dans sa composition avec le poids réel des diverses classes économiques: petits agriculteurs, gros agriculteurs, petits patrons, gros industriels, fonctionnaires A, fonctionnaires B,… fonctions libérales,… Cela s'appelle la méthode Mattei Dogan. On suppute l'opération complexe voire irréalisable encore qu'en France, le Conseil Economique et Social tente l'exploit… avec le fiasco que l'on connaît.

L'autre voie vise à séparer le pouvoir économique des autres pouvoirs (exécutif, législatif, judiciaire). Plusieurs auteurs se sont essayés à ce jeu. Certains**** trouvent même cinq pouvoirs à séparer: Législatif (Avec une nouvelle forme de représentativité et un contrôle des élus), Exécutif (Avec une responsabilité personnelle des acteurs), Judiciaire (Avec une méthode de contrôle des comportements des juges quand ils enfreignent leur propre déontologie), Médiatique (Les médias mais également toute production de sens : école, arts et recherche), Economique (Liberté d’action et de moyens mais responsabilité face aux objectifs défini par le législatif).

Ces deux options concernent un partage horizontal des pouvoirs. Une autre solution réside dans un partage vertical par la voie d'une décentralisation réelle de ces derniers. Le fractionnement des prérogatives de façon étagée rend la confiscation desdits pouvoirs beaucoup plus difficile, voire impossible.

Les mouvements "régionalisés" contestent la légitimité des autorités politiques qui essaient de mettre en œuvre des politiques strictement favorables au marché. Ils le font en revendiquant un certain mode de vie plutôt qu’en développant des projets politiques alternatifs au sens de la politique traditionnelle. La semaine dernière la Wallonie s'en est faite le modèle, mais l'Écosse, la Catalogne, Padanie,.. (les quasi états de Robert Jackson) montrent leurs désirs de conserver un pouvoir décisionnel quant à leur mode de vie. Face à un éloignement progressif des centres de pouvoir (Nation, Europe, Monde), elles revendiquent une existence démocratique, même subsidiaire, afin d'exprimer et de défendre des valeurs collectives vivaces. La vigueur démocratique est à ce prix, sinon les citoyens soit se révolteront en actes sécessionnistes (Brexit), soit ils bouderont les votes alibis dans une abstention massive. Ce sentiment s'exacerbe lorsque l'intérêt général "local" semble floué par le pouvoir exécutif central.

Loin de s’opposer, fragmentation et globalisation sont peut-être aujourd’hui associées : les dynamiques de fragmentation territoriales ne pourraient-elles pas, en effet, être considérées comme des formes spécifiques de relation entre acteurs (et plus usuelle qu’il n’y paraît) dans les processus actuels de globalisation***** ?

 

* le qualificatif est de Pierre Cahuc et André Zylberberg dans un ouvrage controversé récent "Le négationnisme économique et comment s'en débarrasser", Flammarion,Sept 2016
**Jean Meynaud. Pouvoir économique et pouvoir politique. Revue Economique. Vol 9. 1958

*** article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789
**** Principes de base pour un projet de constitution. www.trazibule.fr
***** Amaël Cattaruzza. Fragmentation : cloisonnement et/ou recomposition de l’espace politique ?, L’Espace Politique, 18/11/2010, http://espacepolitique.revues.org/169

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