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14/02/2018

(R)ÉQUILIBRATIONS

Si on prend l'histoire longue, la quête des sociétés a été avant tout l'état d'équilibre. Bien sûr dans les systèmes traditionnels mais aussi dans la phase moderne. Ainsi l'amélioration des conditions de vie se faisait par accumulation d'expériences et par l'introduction raisonnée de nouvelles connaissances. Lentement mais sûrement. C'est à partir de la seconde moitié du siècle précédent que l'on a introduit la notion de croissance, l'équilibre recherché devenant, dès lors, un "sentier équilibré de croissance" (Solow).

Équilibre entre d'une part les producteurs et les consommateurs, entre le travail et le capital d'autre part, entre les entrepreneurs et les banquiers enfin, s'effectuant  via le(s) marché(s).

L'esprit français se satisfait assez bien de ce parti pris "équilibré" exigeant une gouvernance mi figue mi raisin agissant par équilibrations plus que par régulation. Certains diraient que cela reflète le manque de courage des dirigeants pour assumer une véritable stratégie régulatrice marquée.

En effet cette dernière exige un parti pris affirmé, donc courageux puisqu'il admet le risque de l'erreur (sans y croire bien sûr!). Il faut choisir explicitement entre autocratie et démocratie, entre Marx et Keynes, en un mot entre des idéologies. Courage aussi de s'inscrire dans la durée puisque les choses ne s'équilibrent pas dans l'instant comme l'a affirmé l'école de Stockholm en introduisant le décalage entre le déséquilibre ex ante et le rééquilibrage ex post (Lunberg). Courage de tenir bon tout au long de ce délai qui dure parfois… longtemps, plus longtemps que le temps politique scandé par des échéances électorales. Courage in fine de "parler-vrai" (parrhèsia) en annonçant clairement des choix.

A l'inverse, le centre sied bien à la gestion sans engagement, un peu molle du genou pour ne choquer personne, godillant pour ne pas dériver d'une ligne de récupération maximale d'opinions, favorisant un camp puis l'autre comme indiqué dans le marché politique. Théoriquement, comme l’évoquait Maurice Duverger*, tous les partis sont attirés vers le centre pour se permettre de recueillir un plus grand nombre de voix.

Foin de régulation, repli donc sur l'équilibration parfaitement illustrée par les fameuses politiques de "stop and go" de l'époque giscardienne prolongées sous Raymond Barre. Selon François Perroux, les équilibrations sont "un processus social tendant à un équilibre acceptable alors que d'autres tendances reposant elles-mêmes sur d'autres forces tendraient à rendre plus intolérables les tensions". Depuis l'après guerre on vit sous ce régime malgré les colorations droitières ou gauchisantes que les partis au pouvoir ont voulu s'accorder tant sous la IVème que la Vème. Chaque fois (Pompido u, Giscard, Mitterand, Chirac, Hollande) – Sarkozy s'étant situé plus clairement d'un bord – on a observé des coups de rames successivement d'un côté puis de l'autre. Cet art du louvoiement  consiste, selon Littré, à "porter le cap d'un côté, et puis virer de l'autre pour ménager un vent contraire, et ne pas affronter les risques de navigation"**.

Equil.jpgLe sous-bassement du macronisme s'inspire d'une conception "centriste" tentant de ne pas trop laisser la balance pencher d'un côté selon le fameux "en même temps", cherchant la concorde entre la gauche et la droite, promouvant ainsi la fin des grands partis politiques et des grandes idéologies.

Fort bien, le principe a séduit les foules et écarté les engagements fermes à gauche (Mélenchon) et à droite (Le Pen) d'autant mieux qu'ils s'étaient un tant soit peu radicalisés.

Les premiers temps de l'embellie passés, la trébouline*** se dissipant, il faut reconnaître que le bateau gite à droite, côté capital. Un peu trop pour que ce ne soit pas repérable par l'opinion, un peu fort pour que les dégâts collatéraux n'atteignent pas des catégories sensibles. Et ceci trop profondément et trop durablement rompant dès lors le mythe du consensus centriste.

Déjà, en se dessillant, l'opinion s'aperçoit vite que les ministres choisis sont faits du même bois issus de l'arbre ENA branche Polytechnique exfiltrés des partis honnis sous le sceau de "personnes expertes de bonne volonté". Cette bivalence ou interchangeabilité provient du fait que le centre représente de 15 à 20 % du corps électoral français (plus ou moins) mais génère pourtant 80 % du personnel politique et du logiciel qui l'anime. Hier, dès qu'un camp gagnait il s'empressait de faire une politique digne de l'autre camp pour afficher une "objectivité de gestion" par ailleurs fallacieuse. Avec Macron ce sont les hommes qui se sont (re)définis sous l'étendard de l'enmêmemetemps marqueur premier du centrisme.

Ensuite, dans un première phase, la politique extérieure a été privilégiée. Elle convient parfaitement à l'exercice centriste en enfourchant les grands courants dominants. Le président Macron s'est ainsi bien positionné sur l'échiquier international, avec un certain opportunisme, il faut le reconnaître.

Mais ce faisant il a laissé l'intérieur aux mains de gens marqués à droite (Philippe, Le Maire, Darmanin,…) qui ont du mal à se situer face à des situations conflictuelles non prévues: EPAHD, Gardiens de prisons, Primes zones défavorisées, migrants, impact de la hausse CSG,… et des situations conjoncturelles dramatisantes: inondations, justice, Corse,… situations contingentes à un discours plombant "de gouvernement des riches pour les riches".

Et à ce stade on s'aperçoit progressivement que le projet de Macron relève, lui aussi et surtout, d'un schéma de centre technocratique. Suppôt des riches s'avérant une qualification un peu courte, il faut lui préférer la thèse selon laquelle il s'avère vital pour l'économie d'un pays de disposer d'une périphérie précaire pour consolider le centre actif et moteur (modèle dualisme: Piore, Berger, Sabel). Selon cette grille de lecture, les décisions du gouvernement sont limpides: elles tendent à opérer un transfert des charges de façon à alléger le centre en pénalisant la périphérie… ex ante (maintenant), en supputant le fameux ruissellement ex post (après coup). Le hic réside dans le délai de "retour de richesse" qui n'est jamais complètement daté (il ne l'était pas davantage dans le multiplicateur des Insoumis)… ni garanti! Chaque précaire anticipe des "trajectoires à la Sisyphe" que l'on a observé dans le Nord et l'Est. On soulève là la différence essentielle avec la flexisécurité scandinave qui assure (ou du moins amortit) les nuisances générées par les "transferts" durant ce délai d'adaptation. On comprend aussi que les 25.000 précarisés de Carrefour ne se sentent pas vraiment sécurisés en attendant le retour du soleil! L'hypothèse macronienne d'une solidarité asynchrone supposant que certains devraient sacrifier le présent pour bénéficier d'un futur positif ne pourrait fonctionner que si l'accompagnement du temps d'ajustement s'avérait acceptable. Sinon (et c'est le cas le plus fréquent) les obligations de l'urgence (se nourrir, payer les factures, élever les gosses,…) rendent la faisabilité de cette idée technocratique de "délai de reconversion" insupportable. Plus généralement cette impossibilité joue dans tous les cas de promesses faites à une classe modeste. Le projet de E. Macron d'une drastique mutation de l'économie et des rapports sociaux se heurte à cet obstacle majeur. L’implication collective des travailleurs dans un processus de changement profond ne peut apparaître que s’il existe une solidarité de destin négociée entre les firmes et leur personnel. Or ladite solidarité reste un concept technocratique de décideurs qui ne connaissent pas eux mêmes la précarité.

Ce projet-discours de changement qui a bluffé les électeurs las des petits arrangements franco-allemands face à la mondialisation,  s'avère à mon sens infaisable ceteris paribus. La barre est trop haute et l'élan trop court. Le navire France est lourd et peu agile. Le timonier va se trouver très rapidement confronté à l'impératif d'équilibration lui qui rêvait sans doute d'horizons plus larges. La croisière en haute mer se réduira à du cabotage à vue dans les marécages de la cuisine de promesses qui n'engagent que ceux qui y croient!

Mais ne culpabilisons pas trop!

Le Monde entier est centriste, attentiste. L'environnement, le réchauffement de la planète, les OGM, le nucléaire, les perturbateurs endocriniens, le glyphosate,… autant de "tapage en touche" des dirigeants mondiaux. La prochaine crise financière est inévitable car les mesures nécessaires n'ont pas été prises. Les alertes du Club de Rome datent de 1972… sans grands effets…

Le premier outil nécessaire à la gouvernance et à la régulation c'est le courage (cf Cynthia Fleury: La fin du courage. Fayard.2010). Le leadership politique, lui, se nourrit d'équilibrations fuyant les vrais enjeux sociétaux pourrions nous ajouter.

 

* Maurice Duverger est une figure majeure du droit constitutionnel. Cf Institutions politiques et
droit constitutionnel (I. Les grands systèmes politiques et II. Le système politique français)
PUF.1970

** Seul peut être Pierre Mendès France pourraient échapper à cette critique de louvoiement.
*** voir note précédente "La trébouline" 30/05/2017

Commentaires

La société doit être LIQUIDE pour bien ruisseler.Donc il faut abattre toutes les Constructions faisant obstacle à la liquidité .Structures qui maintenaient pourtant à peu près en état de fonctionnement le pays en temps de crise . Il faut souhaiter que le "ruissellement" cher à Mr Macron ne se transforme pas en "goutte à goutte" qui est EN MÊME TEMPS le moyen le plus économique d'"arroser" les cultures et la perfusion qui maintient en vie le patient.
Patient.........mais jusqu'à quand ?

Écrit par : burrocalvo | 15/02/2018

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