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13/04/2021

CRISTALLISATION DE LA RAISON PERDANTE

La pandémie ou syndémie* occulte les autres problèmes. Les gens, le nez écrasé sur la vitre des réanimations et frustrés de ne pas pouvoir siroter leur pastis au bar du coin, en oublient de réfléchir sur les autres problèmes. Sans parler du biais cartésien qui pollue tout le corpus scientifique comme nous le dénoncions dans le précédent billet, le monde réel se trouve englué dans un brouillard qui trouble la lucidité de jugement. La politique pâtit d'une confiscation par le gouvernement de la machinerie démocratique rendant le parlement exsangue puisque toutes les décisions proviennent du seul et même Emmanuel Macron, écoutant plus ou moins des conseillers privés, plus ou moins secrets, plus ou moins compétents. Toute critique du pouvoir est systématiquement taxée de complotisme pervers, au mépris des cris d'alarme pourtant fondés.

Ainsi l'économie est comme en lévitation, perfusée par les aides publiques semées au vent des choix politiques du gouvernement, sous le mistigri de la menace du devenir d'une dette que l'on se passe telle une patate chaude. Faudra-t-il la rembourser? Pourquoi? En totalité ou pas? Quand?... Le ministre de l'économie tente bien d'avancer l'espoir d'une croissance de 6% dès l'an prochain comme une friandise promise à l'enfant et pour justifier une impulsion insuffisante via les mesures de relance.

Car, il faut le souligner, nos dirigeants continuent à appliquer leur fameuse logique restrictive quant à une possible action keynésienne. Ce n'est pas les quelques milliards injectés qui peuvent faire illusion. Cet effort ne représente qu'une compensation de l'arrêt de l'activité. Pas un coup de fouet dynamisant les secteurs clés d'une croissance innovante. Le choc doit être d'importance comme l'indiquent les milliers de milliards que Biden va inoculer à l'économie américaine.

Pour faire métaphore, la pandémie incarne un énorme incendie. Face à ce sinistre il existe plusieurs rôles: celui du sapeur pompier de base qui lutte contre le feu pied à pied, au jour le jour, celui du logisticien qui doit s'occuper de fournir les tuyaux et d'alimenter les pompes voire les canadairs en eau et, enfin, celui du responsable de la zone devant à la fois tenter de circonscrire les dégâts et d'envisager les solutions à apporter pour que cela ne puisse pas se reproduire à l'avenir, en analysant ce qui a été négligé pour que l'incendie se déclenche.

Dans le premier rôle, la gouvernance macroniste a agi avec un savoir faire hasardeux (masques, équipements hospitaliers, tests,… précautions, confinement, vaccins,…). Reconnaissons que ce n'était pas facile et que les dirigeants précédant n'avaient pas tout fait juste. Sur le second rôle, l'approvisionnement en devises pour parer au plus pressé des fermetures et des pertes d'activité, les banques ont assuré et, frappé au slogan "Quoi qu'il en coûte", le ministère de l'économie s'est attelé à la tâche avec une certaine, mais discutable, efficacité. Au delà, l'action s'avère plus problématique. Quid de l'analyse des causes? Quid de la reconnaissance du danger encouru par la disette financière des hôpitaux? Quid des restrictions pénalisantes sur les quotas d'étudiants en médecine? Quid des carences provenant des restrictions sur les financements de la recherche pharmaceutique?....  Un mea culpa du bout des lèvres, noyé dans une autosatisfaction immodérée rejetant sur les autres (ou à pas de chance) les échecs patents.

Et surtout, la choquante rigidité  qui préside au rapport Arthuis (Trajectoire des finances publiques au sortir de la crise), cela même qui trace la stratégie (?) d'après. Peu de publicité a été faite à ce "rapport". Or ce document s'avère essentiellement soucieux de limiter (voire diminuer) le déficit public avec une "vigie" extérieure destinée à surveiller l'écart entre recettes et dépenses. Arthuis n'a jamais milité dans la gauche, encore moins chez les keynésiens, mais là il se dépasse en voulant privatiser la gestion publique (déjà largement amputée par "l'état d'urgence sanitaire"), et en s'arcqueboutant sur le fameux (fumeux?) concept d'équilibre budgétaire fustigeant les dépenses sans évoquer les zones d'ombre des recettes "oubliées". Or, les spécialistes (et même quiconque, il suffit d'aller voir dans les statistiques US, Japonaise,..) savent qu'il n'existe aucun ratio optimal entre dépenses et recettes. Ce rapport Arthuis est un coup de bonneteau qui, moyennant une pseudo réhabilitation de l'État providence et quelques miettes sociales, renforce la logique néo-libérale en place. Il faut stigmatiser la perspective d'un taux d'évolution NÉGATIF de la dépense publique en 2022, suivie de taux inférieurs à 1 pour les cinq années suivantes*! Ce rapport Arthuis est le contraire d'une lucidité économico écolo sociale, lucidité qui conduirait à désigner les secteurs prioritaires dans ces trois domaines (je dis bien les trois!) pour les abonder puissamment. Si le(s) choix s'avérai(en)t pertinent(s), le jeu du multiplicateur** ramènerait ex post (je parle comme Wicksell!) les revenus compensateurs des dettes originelles. Il suffirait d'y mettre un peu de systémisme afin qu'existent des effets circulants. Ce rapport Arthuis pourrait à mon sens marquer le grippage ultime de "l'art libéral de gouverner", ce compromis instable associant économie de marché et interventionnisme du style "nudge"***.dépense publique.png

L'autre énorme oubli de l'Arthuis pensum réside dans le silence pesant vis-à-vis de l'argent au sens large. La crise actuelle introduit des possibilités de manipulations graves. La dématérialisation des monnaies, de la monnaie banale à la monnaie banque centrale MNBC (Monnaie Numérique Banque Centrale), introduit beaucoup de scénarios inconnus dont certains défient les droits individuels des personnes****.

En tant qu’institution de régulation, les pouvoirs publics ont la charge et la capacité de fixer des objectifs sur le long terme (architectures de choix) en imposant des critères normatifs pour générer des innovations environnementales. Miser aussi sur des externalités positives des investissements du "care" (bien être). En quelque sorte une gestion publique revisitée par Polanyi où l'économie est encastrée, c'est à dire inscrite dans l'ordre social, sanitaire, culturel et politique. Cet auteur insiste sur une lutte continuelle d'encastrement/désencastrement orchestrée par les organisations économiques et sociales (OES) selon les choix de contribution à la vie humaine (provisionning of human life). A la suite de la période dans laquelle le mouvement de désencastrement a été majeur, il conviendrait impérativement de procéder à un effort appuyé de réencastrement. Un besoin vital de protection de l'être humain, protection contre les épidémies, contre les agressions sociales (physiques, matérielles, psychiques, existentielles,…), en fait tout ce qui compte dans une vision humaniste moderne. Tout ce qu'a mis de côté la course perverse à la croissance économique de type PIB, en oubliant de mesurer l'acceptabilité sociale des décisions à court, moyen et long terme.

La seule issue face à cette crise et aux autres crises à venir serait d’investir massivement et en urgence, non seulement dans la recherche, mais aussi dans un système sanitaire et social qui puisse véritablement prendre en charge les patients, tout en développant un plan ambitieux pour une approche environnementale des questions de santé*****.  

Il faut donc incessamment brûler le rapport Arthuis pour œuvrer dans ce sens et fabriquer de l'avenir apaisé. Ou a minima de remettre un peu d'eau de Polanyi dans l'eau des dirigeants actuels et futurs c'est-à-dire se soucier des acteurs, des échelles et des espaces sociaux auxquels s'appliquent les phénomènes et donc les engagements. Mais le point le plus important dans notre vision  du  monde,  et  le  moins  communément  partagé,  est  notre  vision systémique*****. Un mot à retenir disait Gérard Saumade à la fin de ses cours en parlant des problématiques de politique économique: intrication. En recommandant deux livres à "chevetiser": F.E. Emery et E.L. Trist (Des systèmes socio-techniques à l'écologie sociale des organisations. Éditions EMS. Management et Société) et Halte à la croissance? : Enquête sur le Club de Rome. C'était… il y a longtemps! Ah, si on l'avait écouté!

 

* maladie causée par les inégalités sociales et par la crise écologique entendue au sens large
** et l'effet de levier
*** cf Grégoire CHAMAYOU La société ingouvernable. Editions La Fabrique. 2018
**** cf Marie CHARREL. Le Monde 8/04/2021.
***** Barbara STIEGLER, Tracts (N°23) - De la démocratie en Pandémie . Editions Gallimard. 2021.
****** https://www.terraeco.net/IMG/pdf/Bonnes_feuilles_Meadows.pdf

05/04/2021

MERCI !

Merci!

25/03/2021

NE ME PARLEZ PAS D'APRÈS!

Pour qui sait lire, la pandémie actuelle révèle le dessous des cartes. Ainsi les mythes de la monnaie, de l'équilibre budgétaire, de la dette,… sont mis à jour et en jachère. Se trouve révélée aussi l'incurie des dirigeants (français, mais aussi européens, américains,..) pour gérer une crise qui sort des clous économiques. C'est ce dernier point qui me fait le plus peur. Lesdits dirigeants surfent bon gré mal gré sur les problèmes actuels et ses vagues successives… dans l'espoir que la tempête se calme pour reprendre le cours du long fleuve tranquille de l'avant pandémie. Le crédo comme quoi le capitalisme se nourrit de crises et que chaque crise passée génère une expansion meilleure, reste vivace dans leur représentation du Monde. Cette rigidité cognitive m'effraie car elle sous entend que rien n'est préparé, rien n'est imaginé pour l'après Covid si tant est qu'il y eut un après. Hormis la continuité!

Quant aux individus, sidérés par le spectre de la mort, au lieu d'une réflexion stratégique raisonnée et réactive, ils se glissent dans une servitude volontaire en attente d'un bout du tunnel non daté. Nulle contestation, nulle violence, si ce n'est marginale, mais une crainte émotionnelle voire consommatrice (de vaccin, de statistiques, de discours anxiogènes,…).

Nous sommes dans un "trou cognitif", soit une carence d'imaginaire tant individuel que collectif, pour changer de logiciel. Le Titanic avance doucement vers le naufrage et les violons continuent à scander des tangos sirupeux connus de tous.Titanic.jpg

Le chantier qui s'imposerait s'avère immense, mais il constitue la seule planche de salut possible. Il faudrait (faut) attaquer le mal à la racine. Le désastre actuel est le résultat d'un parti pris cartésien analytique qui sépare les problèmes pour (soi-disant) mieux les résoudre. On construit ainsi une représentation disjointe du monde avec des "ilots" de réflexion disloqués: la société, l'économie, la culture, la religion, la ville, le climat,… Chacun d'eux tente de devenir prioritaire via sa logique propre et souvent au détriment des autres. Au risque d'ailleurs de constituer une sorte d'œdème hégémonique colonisant les autres ilots. Ainsi l'économie monétaire surplombant les autres domaines en les ponctionnant tel une tumeur cancéreuse. Cette aberration méthodologique date maintenant d'un siècle avec des effets cumulatifs qui explosent aujourd'hui et en présageant d'autres, plus graves car irréversibles, pour demain.

Et qu'on ne fasse pas comme si on découvrait la maladie! Les systémiciens (Palo Alto, le groupe des dix, le club de Rome,…)  ne cessent d'alerter, de crier au fou, sans provoquer d'autres résultats que du mépris au mieux, au pire en appliquant le vieux stratagème de feindre d’éteindre le feu en rajoutant du bois. Je ne vais pas vous resservir l'impératif besoin de traiter les problèmes dans leur complexité, en conservant toutes leur interdépendances vitales. Au motif de croissance (personne n'ayant vraiment précisé le bonus humaniste obtenu) on a "oublié" les boucles de régulation qui freinaient à bon escient les évolutions elles-mêmes accélérées dans une sorte de délire de performance. L'état "normal" en systémie est l'homéostasie (l'équilibre stable). Or, les dirigeants des grandes puissances se sont confrontés dans une course effrénée à la croissance tout azimut. Il appert que ce faisant apparaissent des émergences non prédictibles (comme un virus) et des ruptures du lien social aux valeurs pourtant affirmées (liberté, laïcité, solidarité,…) sans possibilité de reprendre « du recul et du contrôle » sur les dynamiques lancées. Nous avons eu tendance à mettre un peu trop en lumière ce qui nous intéressait et à obscurcir ce que nous ne voulions pas voir. Avec sans doute, dans ce clair obscur négligé, des monstres à venir.

Et cela ne va pas s'arranger car nous continuons imperturbablement à former (voire formater ensuite via les "grandes écoles") les futures générations d'acteurs et de décideurs. La représentation du monde se perpétuera en forme de puzzle éclaté comme le sont les "matières" de l'école, du collège, du lycée, les hautes études! Il me souvient qu'au détour d'une responsabilité d'organisation de la formation A.E.S. naissante, j'avais introduit des cours à plusieurs voix (économie, sociologie, droit) sur des thèmes assez large, avec un succès réel auprès des étudiants. L'affaire ne dura qu'un an, les autorités ayant rapidement mis bon ordre à cette tentative systémique feutrée. Pourtant les apprenants ne peuvent pas comprendre les systèmes, quels qu'ils soient, simplement en juxtaposant les éléments individuels d'apprentissage. La complexité des choses doit être étudiée dans son ensemble. Pourtant, des prix Nobel comme Jean Tirole font le siège du ministère de l'E.N. pour que l'économie enseignée dans les universités reste strictement scandée de la sociologie et/ou de l'histoire. Comme les systèmes complexes impliquent des mécanismes de rétroaction, les résultats attendus des actions (les sorties) ne sont pas strictement corrélés aux actions originelles (les entrées). Une petite action (infection d'une chauve souris, pangolin ou vison) peut avoir des effets étendus à travers le système, ce qui est appelé la non-linéarité. Ajoutez à cela la capacité d'auto-organisation et les comportements émergents qui ne sont pas le résultat d'un contrôle central, et vous avez un système adaptatif complexe (une pandémie)[1].

Les systèmes et les catégories que les dirigeants utilisent pour donner un sens au monde relèvent peu ou prou du capitalisme financier. Prendre ce monde pour acquis durablement semble être un risque important dans les circonstances pour le moins inhabituelles. Travailler avec ces hypothèses sur l'avenir prises pour acquises nous rend vulnérables à de nouveaux événements imprévus.

J'ai grand peur que nous ne faisions pas cet effort indispensable de révision du paradigme de représentation (et donc d'action) qui colonise actuellement nos méthodologies d'apprentissage, d'évaluation et de décision. Nos idées sur l'avenir ne sont utiles que tant que les mécanismes qui créent cet avenir continuent à fonctionner comme nous l'espérons. L'idée que la conception de politiques pragmatiques et finalisées collectivement, impliquerait de remettre en question nos hypothèses fondamentales avec un examen approfondi des éléments de base sur lesquels repose une politique du bien commun. Est-ce folie que d'y croire? « En quittant les chemins stéréotypés, ils ont ouvert de nouvelles voies spirituelles, économiques, scientifiques… Les crapauds fous inventent l’avenir. Sans eux, nous nous cantonnerions à ce que nous connaissons. »[2]nous indique une parabole instructive.  

Mais en vérité, cela est plus facile à dire qu'à faire Les dirigeants actuels (au pouvoir ou en attente) supposent qu'un «levier politique» suffisant fonctionnera, leur permettant de ne pas remettre en question leurs habitus régaliens cartésiens. Le Dow Jones dépasse les 32 400 points…

Cependant, les événements récents, ont montré à quel point il devient nécessaire de le faire. Au risque majeur!




[1]Sarah Quarmby. La pensée systémique complexe est utilisée pour l'élaboration des politiques. Est-ce l'avenir? Apolitical.co/fr. October 25, 2018
[2]Thierry Crouzet,. « Les crapauds fous » iBooks