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15/06/2011

L’IMPOSSIBLE ÉQUITÉ

En supposant que je sois l’avocat (commis d’office pour qu’il n’y ait pas de confusion !) de DSK, voilà la plaidoirie que j’ai imaginée.
«  Mesdames et messieurs les jurés, je vous en conjure, il faut que vous fassiez un effort pour que la justice rendue dans ce prétoire soit la plus équitable possible ! Le fait divers que nous traitons a donné lieu à la seconde médiatisation mondiale de tous les temps derrière le 11 septembre ! A cause de ce sensationnalisme le Monde nous, vous, regarde. Il faut oublier que d’un côté vous avez un homme blanc, puissant, richissime, juif, français, avec une inclinaison certaine pour le sexe opposé. De l’autre, une femme noire, pauvre, immigrée, musulmane, mère célibataire, tirant le diable par la queue… (Oui, monsieur le président je retire cette métaphore malheureuse!). Mesdames et messieurs, pour désamorcer le poison du sensationnel, il est nécessaire de vous projeter dans un hôtel deux étoiles style Days Inn à Lenexa (Kansas) pour un conflit opposant monsieur Smith, imprimeur né et habitant à Tulsa (Oklahoma) à madame Mayer, née et demeurant à Kansas City, femme de chambre. Voilà vous y êtes ! Les autres protagonistes de l’affaire sont un responsable hiérarchique de la femme de chambre et un client avec qui M. Smith a déjeuné.
Je rappelle ici les faits incriminés à M. Smith: 1) avoir fermé la porte et empêché Mme Mayer de quitter la pièce 2) touché ses seins sans son consentement 3) tenté de retirer de force ses bas et lui toucher une zone intime 4) forcé la bouche de la plaignante à toucher son pénis à deux reprises  5) de commettre ces actes en utilisant sa force.
A ce point, l’affaire se dégonfle considérablement et vous allez pouvoir, Mesdames et messieurs les jurés, analyser sereinement les faits.
Sur le premier chef d’accusation, à savoir séquestration puisque mon client aurait fermé la porte de sa chambre, n’est-ce point naturel de clore un appartement qu’on loue ? N’est-ce pas un réflexe banal de couper l’issue à une personne que l’on surprend indument dans ledit appartement afin qu’elle s’explique ?
J’attire ensuite votre attention sur un certain nombre d’incohérences dans le timing annoncé par les plaignants. La femme de chambre a d’abord dit être entrée dans la suite 2806 "aux environs de 13 heures". Une version corrigée 24 heures plus tard par la police, qui situe les faits "proches de midi". Elle a utilisé sa carte magnétique alors qu’elle affirme que la porte de la suite était ouverte. Puis la direction de l’hôtel a attendu une heure avant d’avertir la police. Pourquoi ?
Quant aux attouchements et au « forçage » évoqués par l’accusatrice rien ne peut prouver les faits. J’attire votre attention sur la fragilité de ces dires venant d’une personne qui, dans la foulée, travestit un ami en frère pour « faire plus vrai » !
Mais vous vous demandez comment l’ADN de monsieur Smith s’est retrouvé sur la blouse de Mme Mayer ? Mais Mme Mayer a pu s’emparer d’un préservatif mis à la poubelle après usage par l’imprimeur infidèle ! Ou d’une serviette usagée trainant sur la commode… Bref la présence d’ADN ne prouve formellement rien de l’acte incriminé.
Revenons au Sofitel, à Times square. Les faits, je vais vous les dire : Un hôtel cinq étoiles, une suite à 3 000 dollars où on entre comme dans un moulin. Une femme de chambre qui pénètre dans cette suite sans questionner la réception (ou la hiérarchie) alors qu’un système complexe de carte magnétique sécurisé est en place dans toute la chaîne Sofitel. Une femme de chambre qui se met à faire le ménage sans faire le tour des pièces pour vérifier que rien n’a été dégradé, ni rien oublié. Un personnel de service qui n’a pas même pas un bip pour prévenir la sécurité alors que l’on sait pertinemment que la crainte première des hôteliers est qu’il arrive quelque chose d’insolite ou de grave dans leur établissement. Mesdames et messieurs les jurés, même dans le Days Inn de Lenexa on s’avère plus organisé ! On est plus professionnel ! Alors tout le reste n’est qu’évocation unilatérale. Dans cette présentation des choses rien ne correspond à la vérité, rien n'est étayé par les faits, tout s'appuie pour l'essentiel sur des allégations.
Passons sur des contre vérités flagrantes comme le fait évoqué par l’accusatrice de ne pas connaître la personne occupant la suite 2806. J’ai fourni trois témoignages de clients réguliers et respectables prouvant que dans cet hôtel, une photo de chaque personne « sensible » est affichée dans le local des employés afin d’assurer que ce client soit bien traité. L’accusatrice, employée avec trois ans d’expérience, ne pouvait ignorer la présence de DSK. Pourquoi avoir voulu nettoyer sa chambre, contrairement aux usages, avant son départ attesté par la remise de la carte magnétique ?
Passons sur la pseudo fuite de mon client, sur son affolement largement démenti par des témoins, sur sa précipitation pour prendre un vol… retenu depuis longtemps !
Je comprends que Mme Diallo puisse avoir besoin d’argent pour élever dignement sa fille. Mais pour cela il n’est nul besoin d’échafauder une agression dans une atmosphère d’Autant en apporte le vent ! Il n’est nul besoin d’impliquer une personne que l’on sait célèbre. M. Smith ne le pourrait pas, mais mon client s’engage, quoi qu’il advienne, à doter la fille de la plaignante d’une bourse de 10 000 dollars annuels jusqu’à ses vingt cinq ans.images.jpg
Voilà la situation ! Mesdames et messieurs les jurés j’ai bien peur que, quoique vous décidiez, la justice américaine n’en sorte pas grandie. Si vous jugez mon client innocent – ce que je vous demande – la moitié du Monde hurlera à la justice de classe, les défenseurs de la veuve et de l’orpheline se lamenteront à fendre l’âme. Si vous condamnez M. DSK, l’autre moitié du monde se déchaînera en dénonçant la vengeance contre les puissants, les juges et procureurs élus s’étant fait une réputation sur le dos d’une personnalité. Mon client a déjà subi la seule peine qui le condamne vraiment : le discrédit, opprobre générale quant aux choses qui le passionnent. Ce blâme universel s’avère en lui-même déjà très violent dans le registre demon client. DSK ne sera plus ni président, ni directeur de quoi que ce soit d’important. Il sera à jamais l’objet de ricanements, de critiques de la gent féminine, de plaisanteries douteuses. Sa photo menotté restera comme un stigmate. Quant aux amendes pécuniaires, mon client a déjà amplement donné. Il y a quelque chose de pathologique dans l’exaltation qu’éprouvent certains à châtier coûte que coûte celui qui a commis une faute. Ne soyez pas dans ce travers. Peut être simplement serait-il bon que vous l’obligiez à se soigner.
Pour le sens commun, le sens des mots "juste" et "injuste" est très fluctuant en référence avec un sentiment moral. Le droit demeure la règle de référence, tandis que l’équité est la vertu qui l’humanise (John Rawls. Théorie de la Justice,  Le Seuil, 1971-1987, § 18, p.142).


Merci de m’avoir écouté. »

18/05/2011

MEA CULPA

Par égard à Jacques, Bernard, Henri, Michel, et les autres, je fais amende honorable quant à l’enrôlement de Fabien Galthié et Eric Béchu aux commandes du MHRC. Dans la note « Chères passes » datée 09/08/2010 je m’avouais choqué par les sommes avancées pour les « émoluments » de l’ancien capitaine du XV de France et je minimisais l’apport potentiel dans le cadre d’un rugby français (mondial ?) assez pauvre quant aux variantes de tactiques proposées.
Je me suis trompé sur ce point. F.G. et E.B. ont contribué à libérer les joueurs bleus et blancs en leur donnant l’opportunité de proposer des intentions de jeu ambitieuses et de les assumer tant à Yves Du Manoir qu’à l’extérieur. Fallait-il, certes, arriver à les traduire en victoires pour que la pression ne vienne pas obérer ces bonnes intentions, mais ce fut le cas et donc tant mieux pour le rugby Montpelliérain.
Sur le plan financier, le coût, que je jugeais exagéré, se mue a posteriori en investissement et, en qualité d’économiste, je ne peux que me réjouir de cette métamorphose. Avec les recettes, les abonnements, la coupe d’Europe, la pub et autres produits dérivés le retour sur investissement s’avèrera positif, j’en suis persuadé. La négociation avec les sponsors s’en trouvera nettement facilitée, ainsi que celle avec les pouvoirs publics régionaux, départementaux et locaux. L’accession en demi finale provoque une résistance à l’effet d’éviction qu’auraient pu exercer les « financeurs », largo sensu, en trouvant l’ovale relégué au second plan, en concurrence avec les succès du hand, du foot, du basket féminin,…
Sans oublier les retombées immatérielles induites. Un tel calcul d’utilité sociale s’inscrit dans une vision actuelle du sport spectacle sportif, pour rendre compte des fonctions remplies vis-à-vis de la société : éducation, citoyenneté, lien social*… Cette dimension sociale du spectacle sportif, reconnue maintenant par la plupart des acteurs politiques comme fondamentale relève de la catégorie des externalités positives. Les bénéfices non marchands concernent pour l’essentiel le lien social et la dynamique territoriale. Ces externalités peuvent largement contribuer à l’amélioration de l’image de marque du territoire d’accueil (voir l’utilisation de N. Karabatic par la mairie de Montpellier), renforçant ainsi son attractivité.
Dont acte !

Je profite d’être sur ce terrain (!) pour remettre une couche sur l’arbitrage (voir note  « Le sport dont le prince est un arbitre »). Tous les (télé)spectateurs qui ont suivi les matchs du week end resteront un peu abasourdi que l’on puisse accepter de telles bourdes en phase finale, là où il se joue comme dit ci-dessus, des gros enjeux (financiers et sociaux) ! Plus de cinq minutes d’atermoiements  vidéo… pour accorder un essai illisible, ce qui conduit à inverser l’intérêt du visionnage vidéo) ! Ici erreurs répétées de monsieur Maciello sur l’application exacte du règlement, là la mansuétude excessive (en faveur de ASBH), la rigueur déplacée (cartons jaunes injustifiés)… des referees. Paradoxe, on nous cite toujours des deux ou trois premiers rôles du sifflet… et ils ne sont pas disponibles pour ces rencontres déterminantes. Sébastien Chabal, a cru avoir la « densité médiatique » pour évoquer urbi et orbi ce problème crucial. Mal lui en a pris ! Cloué au pilori, privé de Coupe du Monde, renvoyé à ses pubs, brûlé sur le bûcher du rugbystiquement correct. L’impact player, qui pourtant n’est pas vraiment ma tasse de thé, avait pourtant acquis à mon avis (certainement grâce au rigoureux Berbizier) une légitimité qui jusque là était discutable. La pente dangereuse de la coupe du Monde du foot ne serait-elle pas en train de se dessiner ? Omerta avant, déconnage pendant, diatribe après !CHABAL+03.jpg
Une diatribe qu’il  faudra bien ouvrir un jour en ovalie ! Chez nous pas de bi nationalité ou de blancs/noirs. Mais un envahissement « d’estrangers » qui affaiblit chaque saison davantage la vigueur des autochtones… et donc de l’équipe de France. Piliers roumains, avants géorgiens, demis argentins, ailiers samoans, centres fidjiens… jusqu’en fédérale. Formation? Centre de formation ? Qué zaco ? «On a plus peur du plombier polonais que du pilier roumain !» remarque Jacques Laval lors du débat de Sarlat. (Voir Sud Ouest 31 mai 2010). Nous verrons bien les résultats cet automne.
A propos de cette CDM je ne résiste pas à vous donner le « barème ». Qualifiés ou non à l’issue de la phase de groupes, les bleus toucheront 45.740 euros. Ensuite, les primes s’échelonneront, de 60.000 euros la qualification aux quarts de finale, à 100.000 euros si l’équipe accède aux demi-finales. La troisième place sera récompensée de 120.000 euros ; une défaite en finale sera payée 140 000 euros. Enfin, un sacre mondial assurera une belle prime de 180.000 euros pour les rugbymen français.
Rugby de tiroir caisse, qu'elle est loin l'époque héroïque de Roger Couderc ! Les matchs se déroulaient le samedi après-midi, en direct. A la (courte) mi-temps, les joueurs restaient sur la pelouse à sucer des citrons... Tout cela avait un côté humain. Il n'y avait même pas de spots publicitaires pour polluer le plaisir. C'était le temps où ce sport se jouait à quinze et les joueurs ne ressemblaient pas à des body builders survitaminés. Pas d’odeur de fric, ni de créatine, mais seulement de Guronsan et d’huile camphrée.  Aujourd’hui  « On foule au pied des décennies de culture en faisant son marché aux bovins sans se soucier un seul instant que la vraie richesse de ce jeu ce sont ses valeurs éducatives »** . Pour citer Mourad Boudjellal le président du RCT qui sait de quoi il  parle, le sport professionnel peut rendre con !

* Jean-Jacques Gouguet. Jurisport 98. Mai 2010
** Yves Bozon. Président de OBS Bagneux. http://www.obs-cms-bagneux92.fr/
Dessin emprunté à http://ronin-abou.blogspot.com

04/05/2011

MAKEOVER UNIVERSITAIRE

 

On nous ressasse la médiocrité du classement des universités françaises « selon l’échelle de Shangaï ».  Cela hypothèquerait notre avenir industriel et économique. D’où les plans Campus et Idex lancés par l’État pour redresser la barre. Foutaises qui font saliver les ambitieux de pacotille et les présidents impécunieux ! Ce miroir aux alouettes doit être dénoncé. Derrière le voile clinquant des millions (plus évoqués que réels) se faufilent tous les ingrédients du mauvais coup, alors que les vieilles universités recalées au concours de miss, tentent de se farder outrageusement pour ressembler à de jeunes stars et accéder au prochain palmarès. Makeover extrem !
1255.jpgMauvais coup relatif à un bien public fondamental : la formation des cadres performants selon une vision systémique de la société de demain et non pas seulement sous l’angle de l’employabilité, c’est à dire de la « chair à canon » pour les grands groupes multinationaux. On ressert à l’envi le vieux poncif consistant à railler les formations socio, psycho, philosophico comme autant d’impasses professionnelles. Même les entités académiques se servent de ce faux truisme pour mépriser certains de leurs pairs, dans une compétition larvée mais férine. Méfiez-vous toujours des évidences trop évidentes car, comme en criminologie, l’assassin n’est presque jamais celui sur qui pèsent le plus de doutes !
L’Université souffre de trois maux : fractionnement des disciplines, césure pédagogie-recherche, errance citoyenne.

1 Fractionnement des disciplines. L’excellence en France transite par une grille impérative : les sections du CNU*.  Ainsi la connaissance (l’ensemble des connaissances à ce jour) est classée en 77 cases. Chaque case préside au recrutement, à l’avancement des enseignants chercheurs. Hors de cette grille point de salut ! Impossible de transiger en se positionnant à cheval sur deux sections ! Quant à trois c’est carrément de l’utopie pure !! De section on n’est pas très loin de secte… et les comportements s’avèrent de cette essence. Vision analytique pure et intégriste qui n’a qu’un lointain rapport avec la réalité, économique, industrielle et  sociale. Il paraît cohérent au commun des mortels de dire qu’un bon (excusez-moi, excellent !) ingénieur (ou cadre) mobilise des connaissances scientifiques, technologiques, économiques, managériales, juridiques, psychologiques et communicationnelles, voire médicales et sociologiques. Les scientifiques qui président à la gouvernance des universités sont profondément contaminés par cette grille et, souvent inconsciemment, en font la clé de l’excellence. Pour être honnête le ministère leur suggère un peu plus de transversalité, de systémique dans leur projet. Mais de façon schizophrénique, puisqu’il maintient la grille CNU pour toute la gestion des postes et des promotions. Le serpent se mord la queue !

2  La césure Recherche-pédagogie (les majuscules sont révélatrice !) crée un clivage historique dans l’Université. Peu de gens savent qu’un universitaire n’a jamais reçu une minute de formation pédagogique. Pas une seconde même ! Recruté sur des critères de recherche, évalué et promu sur une logique très majoritairement nourrie par la recherche, le professeur d’université (ou le maître de conférences) enseigne comme il sait ou comme il peut ! Les nouvelles technologies pédagogiques ? Quésaco ? Allez dans les salles de cours, les amphis, vous constaterez que l’on n’est pas très loin de Jules Ferry : un tableau vert, de la craie et un laïus plus ou moins monocorde. Les étudiants ? Bof, il faut qu’ils se débrouillent de façon autonome. La méthode ? Quelle méthode ? Ils n’ont qu’à bucher comme nous on a fait ! Point. L’excellence c’est les cinq ou six pour cent de la promo pour qui on va vraiment s’impliquer, qu’on va vraiment chouchouter pour qu’ils fassent un DEA, voire une thèse,… dans notre labo. Le reste, « qu’ils se démerd…  avec ce qu’on leur donne». Les entreprises ? Ce n’est pas notre problème, nous on est des scientifiques, pas des bidouilleurs ! Le résultat de cette dichotomie conduit à un mépris assumé de l’enseignement au profit de la recherche dite « pure ». Celle qui aspire à l’excellence et qui  rejette à l’arrière plan la mission de formation des cadres qui pourraient être, pour les universités équitables, la vocation prioritaire. Je dis bien pure, car la recherche dite « appliquée », celle qui contribue à des innovations concrètes, ce n’est bon que pour les filières technologiques fussent-elles écoles d’ingénieur. Ainsi le document : « Les ambitions de l’université Montpellier 2 pour l’initiative d’excellence du site » (septembre 2010) ne parle pas un seul instant de l’ENS de Chimie, ni de Polytech’Montpellier qui, en son sein, représentent deux formations d’ingénieur de réputation internationale. Il est dit dans ce document « L’ensemble du potentiel scientifique présent à Montpellier se distingue par sa capacité à aborder, de façon originale et très complète, l’étude des problèmes qui se posent à l’homme pour assurer un développement durable et pour s’adapter au changement global dans un environnement qu’il contribue largement à modifier ». Il n’est pas dit que Montpellier II, sur un millier d’enseignants chercheurs, ne compte AUCUN poste de prof d’économie, aucun poste de droit, aucun poste de sociologie! Le développement durable va nécessiter un extrem makeover !

3 L'’errance citoyenne enfin. Quelle doit être la vocation du bien public** « université » ? Peut-on à la fois tutoyer l’excellence internationale, respecter les arcanes de la déontologie sociétale, (bien) former la majorité des cadres de demain, les préparer à un turn over d’emploi important, les rendre maître des grands enjeux scientifiques, politiques et sociaux,  assurer un soutien au développement local,… le tout à un coût défiant toute concurrence, notamment chinoise ? Evidemment non !! Cela nécessiterait des enseignants, mais aussi des personnels techniques, administratifs, des locaux , des matériels, des matériaux, de la communication, de la logistique… Donc y a ka, il faut, le gouvernement doit, la gouvernance de l’université peut, choisir l’objectif majeur qui va être poursuivi dans les cinq ans. C’est la solution « descendante ». Inversement, si ladite gouvernance universitaire se dote d’un projet clair et sérieux, elle peut négocier avec les collectivités territoriales, les banques, l’État, son financement… à l’échelle qui lui paraît pertinente avec les moyens mobilisables. C’est la solution « bottom-up » que pratiquent les grandes universités, ou les universités à vocation régionale (tout aussi légitime). Cela demande une stratégie qui hiérarchise les finalités : recherche ou formation ? aspiration mondiale, européenne ou régionale ? inséré dans un cluster ou non ? financement public, mixte ou privé ?…
Vous avez sans doute compris que les choses sont complexes, émaillées d’enjeux de toutes natures, de celui du plus égoïste prof carriériste au plus ambitieux dessein industriel, en passant par des turpitudes politiciennes et des jalousies d’égos. Alors, de grâce, ne nous laissons pas abuser par des annonces mirobolantes d’un État sans destinée ou les diktats grandiloquents d’édiles en mal de vision structurante, pas plus que par les atermoiements d’ inexpertes présidences d’institutions.
L’avenir d’une nation repose à la fois sur la qualité des élites dirigeantes, la qualification de la main d’œuvre disponible et leur intelligence collective. A tous niveaux. Dès lors mieux vaut des universités à taille humaine bien finalisées sur des missions à retombée régionale, aptes à construire des acteurs économiques structurés, adaptés aux enjeux économiques et sociétaux, capables de les maintenir au niveau tout au long de leur vie, que des utopies de gigantisme scientifique qui resteront implacablement des nains comparées aux usines universitaires chinoises, américaines ou même australiennes. Drew Gilpin Faust, première présidente de l'université d'Harvard, dénonçait récemment les effets délétères des "exigences d'évaluation des enseignements et de l'obligation de former la main-d'œuvre destinée à une économie mondialisée", et défendait les enseignements et les connaissances "parce qu'ils définissent ce qui, à travers les siècles, a fait de nous des humains et non pas parce qu'ils peuvent améliorer notre compétitivité mondiale".


* Conseil National des Universités : instance nationale qui se prononce sur les mesures relatives à la qualification, au recrutement et à la carrière des enseignants-chercheurs de l'Université française. Il est composé de groupes, eux-mêmes divisés en sections; chaque section correspond à une discipline. A ce jour il y a 77 sections.
** Ne pas confondre bien public (tutélaire) et bien collectif.
A cette fin voir http://www.journaldumauss.net/spip.php?article690