11/07/2010
FÉLICHET
Pour les gens des sixties, les Allées Biterroises avaient deux monuments : Paul Riquet, l’hydraulicien éponyme, et Félix Lacrampe, rugbyman-cafetier. Et le plus connu n’était pas celui que l’on croit ! Félix, originaire de Lannemezan, était arrivé de Lourdes en cinquante, auréolé du titre d’international et de partenaire apprécié de Jean Prat, pour ouvrir l’aire du renouveau biterrois. Troisième ligne centre, belle gueule mais sportivement foutu comme un as de pique (un peu vouté, les genoux légèrement cagneux, un mètre quatre vingt tout déroulé, les pieds en dix heures dix), au métier avéré et au charisme incontestable, Félichet (comme il fut surnommé) devint célèbre par son jeu en rupture, ses ruses, ses feintes de passes, son casque de cuir brun, certes.
Mais surtout par son bar «La Comédie» au cœur des Allées Paul Riquet, siège et antre de l’ASB où résonnait encore la voix de stentor de Jules Cadenat. Tenancier de bistrot à l’ancienne, torchon sur l’épaule et tablier bleu de limonadier, il à trôné plus de trente piges derrière (ou devant) son comptoir, essuyant les verres jusqu’à les user, tout en «tombant des salades» avec ce petit sourire au coin des lèvres qui le quittait rarement. La Comédie avait ses moments : ouverture où l’on trouvait «le maître» (huissier) et le commissaire priseur, l’ex mondaine à la retraite au langage fleuri, les habitués du petit noir, Adhémar l’arbitre manchot, un ancien président du Comité du Languedoc, avec parfois un maître d’internat ou un étudiant en transit. Puis arrivait le « petit » déjeuner réunissant autour de Félix, le voisin pâtissier, le boucher (éléphantesque) et le tripier des halles. Il s’y mangeait des portions gargantuesques de tripes, farcis, terrines, cassoulet, saint honoré, à faire tomber raide un diététicien ! Et puis arrivait le soir où le café servait de lieu de rendez-vous à la jeunesse rugbystique. Félix nous le rappelait souvent «J’ai marié la plupart d’entre vous !» et il n’avait pas tort. Durant ces soirées, il tenait spectacle. L’œil allumé, usant toujours l’éternel verre à essuyer, il entamait «Je vais vous faire une confidence … » Et là, on avait droit à du Raimu, du Devos et de l’Henri Génes réunis, à propos de tout et de rien : les épopées récurrentes comme le match de Cognac, le moteur d’avion coincé, le drop de Sapiac, … ou bien le commentaire d’actualité sur le rugby, sur un joueur (« Il est enrobé comme un chocolat glacé ! Il n’a pas les mains en face !... »), sur tel fait divers. A la relance il possédait ses compères, Albert (Rabat) et Frasson, feignant de se fâcher ou de porter la contradiction. Et les trois M, Marius, Milou, Marc, garçons de café types, chemises blanches et gilet noir multi poches qui, lors de leur passage au comptoir, mettaient leur grain de sel. Du grand art, je vous dis, comme les « reportages » sur les images télévisées durant les jeux olympiques, émaillés de scoops sois disant obtenus par un ami sur place («Paul L. m’a téléphoné …»). Il y avait aussi les amis de passage «à traiter» : Marcel Bordenave (journaliste sportif), Henri Génes (chanteur et acteur de variété, déjà cité), Pascalin (talonneur du Stade Montois), pour ne citer qu’eux, donnant lieu à des « dégagements » mémorables. Comme il était séducteur, soigneux de son look (costume gris poudré et cravate club), il avait des velléités d’amaigrissement. Mais elles se terminaient irrémédiablement dans un trois étoiles landais, au lieu du centre de cure de Capvern ou chez Iché, au faubourg, à la place de la randonnée à vélo projetée.
Félichet n’a pas eu d’enfant, mais il a eu beaucoup de «petits». Tous les jeunes qu’il a coachés, à l’ASB, au BO (Béziers Olympique, club spécialement créé selon son « esprit), à la RAM (inexplicable réunion d’ex vedettes), … ou au bar. Les petits qui ont usé la moleskine rouge des banquettes et secoué les flippers orangina. Et a qui il a témoigné son affection gouailleuse. Jusqu’à ce jour, certains allaient encore lui rendre visite, une ou deux fois l’an, en excursion rituelle, lorsque l’ASBH jouait à Tarbes ou à Pau, puisqu’il était retourné vivre au pays, à «Lamezan». Ces jours là, tout se réveillait soudain, effaçant le temps, l’arthrose et les chutes de palombière !
Félix s’est éclipsé, à quatre vingt cinq piges, d’une dernière feinte, pour aller retrouver beaucoup de ses amis clients quelques petits, partis trop tôt, et refaire ces interminables belotes pagnolesques. Adieu Félichet, on t'aime!
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04/07/2010
ALLEZ, LES PASSAGERS CLANDESTINS !
En 1966 Mancur Olson, par la théorie des clubs (qui incorporait la théorie des groupes), rénovait la notion de bien public et rejetait les idées traditionnelles qui veulent que les groupes naissent par une propension naturelle des individus à l'association. Il proposait la thèse selon laquelle les individus s'associent en vue d'une action collective si, et seulement si, l'action individuelle sert moins bien les intérêts de chacun. Existe alors le free riding correspondant à la description de la posture du passager clandestin. Cette posture, issue de la théorie des jeux, explique le comportement de celui qui, par stratégie, ne participe pas à une action collective astreignante pour ne pas en supporter les coûts (sacrifices en travail, argent, honneur,…) tout en espérant bénéficier des éventuels avantages obtenus par ceux qui se sont engagés dans l’effort exigé. En d’autres termes c’est celui qui «ne joue pas collectif», mais qui tente de retirer un profit individuel indu d’un labeur d’équipe. Ce principe permet de rendre compte, par la seule prise en compte du jeu des intérêts, du déclin d’implication dans des formes d'actions collectives, sans recourir à des explications "culturelles" souvent simplificatrices (individualisme, communautarisme, ...).
En miroir, une mobilisation collective désigne une coordination des activités d'un groupe souhaitant défendre ses intérêts et la constitution d’une solidarité sociale forte. Pour cela, d'après A. Touraine, les acteurs doivent, avant tout, développer une identité commune, en partageant les mêmes buts et des intérêts communs. Ensuite, le groupe formé doit s'opposer fermement aux groupes concurrents, ce qui suppose une forte solidarité interne.
Si tout ce discours reste un peu ésotérique pour vous, passons à l’application footballistique. Remarquons d’abord que, lors de cette coupe du Monde, les équipes qui ont de bons résultats au premier tour, sont des formations «à intérêts homogènes ». Les Allemands jouent majoritairement en Allemagne, les Espagnols en Espagne, … ou s’appuient sur un patriotisme fort (nations d’Amérique). Ce n’est pas le cas pour les nations africaines. A l’inverse, la France réunit des joueurs à «identité éclatée». L’un joue en Turquie, l’autre en Espagne, l’autre en Allemagne, en Angleterre, l’un beur, l’autre antillais, l’autre cht’i, l’autre méridional, et pourquoi pas, l’un hétéro, l’autre homo, l’un sexy, l’autre disgracieux,… Pour générer une mobilisation collective, c’est donc mal parti ! Alors la nation, le drapeau ? Bof, c’est ringard et, communautairement parlant, c’est risqué de chanter ostensiblement la Marseillaise comme ces tarés de rugbymans ! Le fric ? Bof on est déjà aux chiffres à dix zéros, à la Maserati ou au Hummer et on va pas risquer une cheville contre des gueux de pays improbables ! Le coach fédérateur ? Bof, on a vu mieux qu’un ancien très moyen joueur, entraineur confidentiel, au charisme de beauf, empêtré dans des préoccupations de midinette ! La fédé ? Un truc de ouf, formé par des troisièmes couteaux en mal de banquets honorifiques et de copains à placer. L’environnement supporter ? Il gonfle et nous déconcentre quand on s’est glissé dans notre casque-bulle i-pod. Le gouvernement ? La honte du Nicolas qui nous refile l’apothicaire rose, collante comme un chewing gum usagé, et l’i-conne d’ébène qui cherche à se faire une réputation sur le dos des autres ! Chaque joueur a ainsi pensé que les autres se bougeraient pour gagner. Qu’il suffisait de participer au moindre coût, pour arriver, sans doute en quart. Résultat, tous (ou presque) des passagers clandestins ! Un, deux, voire trois, ça peut passer. Mais neuf ou dix, ça ne le fait pas ! Et comme tout ce qui vient d‘être dit ne peut pas s’avouer ni a priori, ni a posteriori … il faut trouver des prétextes, des chèvres émissaires, lancer des rumeurs pour leurrer le paparazzi !
Voilà, l’autopsie d’un échec taille XXXL, plus prévisible tu meurs !
La société des passagers clandestins est en plein essor, chacun voulant « profiter » sans s’imposer les règles contraignantes qu’exige une démocratie active (regardez Woerth !). Pourquoi la planète foot serait-elle préservée, elle qui s’apparente à la galaxie des traders, des bulles et des hyper-primes ? Celle qui idolâtre les croupiers qui ramassent le fric sans se mouiller (le maillot), qui rêvent de profits sans investissement (entrainement), celle qui méprise tout ce qui n’a pas l’heure Rolex, la cantine Fouquet’s et les vacances Maldives. A l’opposé de la fameuse «idéologie laborieuse» de Ştefan Kovács, celui qui reconstruisit le foot français après qu’il eut touché le fond, en 1973. Déjà !
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18/06/2010
LA SOUPE ÉLECTORALISTE
Je ne vous parlerai pas vraiment des retraites, ni de foot, ni de turpitudes de secrétaires d’État.
On se trouve dans une période délétère, sans autocensure face à la connerie banale. Tout le monde dit n’importe quoi, en fait autant, sans réfléchir aux conséquences. Et en plus, on nous parle de rigueur ! Rigueur à droite, rigueur à gauche (pas pour les mêmes), rigueur au centre qui se cherche, … Et, pour argument ultime, on nous dit que l’on ne pourrait pas faire autrement, que c’est ECONOMIQUEMENT IMPOSSIBLE de faire autrement!
Un de mes vieux profs disait souvent «Quand vous entendez dire qu’économiquement il n’y a pas d’autre issue, sachez que vous vous trouvez face à une imposture. L’économie c’est la science des choix, pas de la voie unique !». Le diagramme d’indifférence est enseigné dans les deux ou trois premiers cours de cette discipline ; Il dit que selon un pays et une dotation en facteurs de production donnés, toutes les combinaisons de fabriquer du pain ou des tracteurs, sont économiquement indifférentes. Le choix final s’avère «extra économique». Un autre prof, plus moderne, nous expliquait que la réalité était un puzzle gigantesque dans lequel le Politique (remarquez la majuscule) choisit de nous montrer une partie qu’il a définie comme pertinente afin de gérer le présent et l’avenir selon ce « panorama ». Un Politique différent aurait tout aussi bien pu privilégier un autre bout du puzzle pour établir sa gestion. Le citoyen électeur choisit donc entre des morceaux de puzzle. Un dernier enseignant, aux penchants culinaires, prenait l’exemple des soupes. Un problème de politique économique, disait-il s’avère semblable à une soupe. Le cuistot gouvernant a choisi les ingrédients, les adjuvants, les épices, le récipient, le temps de cuisson, la façon de présenter, de servir, de consommer,… et puis il nous explique que selon, la garbure, l’ouillade, la potée, le minestrone, le gaspacho, le mijet, la bouillabaisse, le miette, la chorba, la soupine … représente la seule version défendable du plat de référence. En fait, il existe une «préférence locale idéologique» qui fait la bonne soupe… locale !
Tout cela pour proclamer que j’en ai marre des pontifiants, pseudo économistes bidons mais surtout politiciens péteux, qui passent leur temps (d’antenne) à discourir sur l’hérésie du ceci ou cela, comme des experts incontestables. La soupe des retraites va donner lieu à une série de recettes dites économiquement équitables ou ineptes selon untel ou untel. Tant que je n’entendrais pas dire, en préambule, «Politiquement j’ai choisi de privilégier …», je zapperai. Parce qu’il s’agit de cela et de rien d’autre ! Au lieu de ce parler vrai, chacun pue le calcul électoral ! Qui osera me dire que le gouvernement ne gère pas son fonds de commerce de voix ? Que Martine ne parle pas à son «marché politique» ? Que Valls ne tente pas d’accrocher une part de marché centriste ?... Victor Hugo parlait de ces procédés falsificateurs des petits maîtres qui vivent de la soumission trop soudaine des peuples. Faire de la Politique pour un dessein humaniste enfin et en assumer les dangers, voilà ce à quoi j’aspire. « Rénover l’espace politique démocratique passera nécessairement par la confrontation avec le dire vrai : une politique adulte ne peut manquer à l’avenir d’être également une épistémologie du courage » (Cynthia FLEURY. La fin du courage. Fayard).
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