16/10/2008
STRATEGIE DE LA TENSION
Il y a quelques mois, quand je disais à mes élèves « Il n’y a pas vraiment de limites économiques mais uniquement politiques. Si le Politique veut, l’Économiste peut ! » je voyais bien qu’ils ne me croyaient pas. Normal, ils étaient (comme tout bon élève-ingénieur l’est ) rationnels, et tout le discours des gouvernants (Sarko ou Jospin) s’escrime à faire croire le contraire ! « Ce n’est pas possible financièrement ! Vous n’y pensez pas, cela déséquilibrerait … les grands équilibres » etc. Et ainsi on peut renvoyer le syndicaliste à sa base, le Rmiste à son sous SMIC, l’handicapé à son maigre pécule, le malade à sa mutuelle, … , l’Africain à son inadaptation au monde moderne, l’Indien à son bol de riz. Circulez, il n’y a rien à puiser dans nos caisses vides, Fillon dixit.
Et pourtant, j’avais raison ! Des milliards d’euros, de dollars, de livres, … sortent du chapeau pour irriguer le désastre financier international. Comme à une rafle surréaliste on accumule des sommes représentant cent (mille ?) fois ou plus ce que nos dirigeants nous refusaient hier. Ne cherchez pas la source mystérieuse. Ils sont empruntés, notamment à la Chine, et contribueront à la dette publique dont on jurait qu’elle ne pouvait s’accroître.
Et, de plus, en bons politiques de droite, profitant de la crise pour couillonner le couillon, nos dirigeants actuels vont nous serrer le kiki sous prétexte d’une «stratégie de la tension». Comme quoi l’heure et grave et qu’il faut être solidaires. Comme quoi ce serait indigne de ne pas voler au secours de mecs qui se sont gavés jusqu’à l’écœurement d’un fric qui manque aujourd’hui.
Ceux qui connaissent un peu l’histoire économique, (hélas pas enseignée à l’école ni au collège. Voir sur le thème une histoire des crises par Alessandro Giraudo dans son ouvrage "Mythes et légendes économiques") savent que la stratégie de la tension consiste à foutre une sacré trouille (avec un événement qui dépasse le commun vulgus) à l’opinion pour lui faire gober ce que, normalement, elle rejetterait. Elle reste un subterfuge classique de la droite. L’archétype en est la politique schachtienne (de Schasct, ministre des finances de Hitler). La stratégie conduisant à financer l’industrie de l’armement, reste, hélas, d’actualité. Pensez à la manière dont le président américain G.W. Bush a rompu avec l’orthodoxie financière, prêchée par les républicains de Newt Gingrich (président de la Chambre des représentants) dans les années 90, en faisant exploser le déficit américain pour financer les «guerres préventives». Dans la conjoncture actuelle, Sarkozy et son gouvernement n’ont même pas à créer la tension, elle s’impose ! Bonne maison ! On va en profiter !
Ils nous disent «On a sauvé les meubles et nous allons aider la France à se relancer». Schasct disait, lui, «avoir recours à un fort accroissement de la dette publique à court terme pour des raisons purement conjoncturelles».
Pouvait-on faire autrement ? Oui !
Alors, faisons un peu d’économie. Juste pour accréditer que, quand le Politique veut, rien n’est impossible! Surtout via «la monnaie dette»*, Law, Keynes, Roosevelt, Schasct, … en témoignent.
Supposons, par exemple, que l’État français, nationalise deux ou trois banques. Cela coûterait à peu près le même prix que ce qui est englouti à fonds perdus. Hormis que le terme est idéologiquement indécent pour les sarkosiens, cela constituerait un « noyau dur » (C’est Balladur qui prêchait cela) de régulation financière pour l’avenir. Il n’y aurait plus aucune raison pour que les autres banques ne prêtent plus à ces entités garanties par le gouvernement. Exit la crise de confiance. Quant à la liquidité, s’il en manque vraiment (faudrait-il encore le démonter), on pourrait réémettre des francs, personne ne l’interdit, via la Banque de France qui existe encore, on l’oublie, contre la signature de l’État français (système classique de la planche à billet), ce que la BCE nous interdit formellement. Ces francs ne pourraient servir qu’aux transactions (consommation ou investissement) et interdits de placements financiers. Différents des euros, ils seraient «traçables» et le contrôle de leur usage ainsi facilité. Il y aurait donc double circulation pendant un certain temps, temps à l’issue duquel la Banque de France rachèterait ces francs contre des euros. Via les banques « noyau dur » strictement. En misant sur le fait que l’expansion induite dégagerait des fonds équivalents.
Débile ? Pas tant que ça, demandez à votre prof d’économie personnel (s’il est honnête). Il s’agit d’une « impulsion keynésienne » de la plus pure eau. Et je peux même vous dire que le bon docteur Schasct l’a fait en 1936, avec ses MEFO Bills «qui permirent à la Reichsbank, par un subterfuge, de prêter au gouvernement, ce qu’elle ne pouvait normalement ou légalement faire.»
Toutefois, il faut bien dire que le courage en politique économique n’est pas de saison. Sarkozy se dit, surtout ne fâchons personne, et surtout pas les riches ! En effet, les riches sont riches et donc puissants, ils nous soutiendront. Et les pauvres, ou moyennement riches, sont trop effrayés par nos croquemitaines agités par la stratégie de tension, qu’ils se planquent. Il y en a même qui votent pour nous ! Il y en a même beaucoup !
* sur ce concept voir l'excellente vidéo sur http://vimeo.com/moogaloop.swf?clip_id=1711304& . Très didactique.
16:40 | Lien permanent | Commentaires (0)
13/10/2008
ROUSIGOUS* DE CRISE
• Pourquoi ceux qui, il y a quelque temps, en grands experts, fustigeaient le système français de retraite par répartition et prônaient les fonds de pension comme panacée moderne de la protection vieillesse, sont-ils invisibles et inaudibles ? Sans doute que les milliers d’américains qui ont perdu entre 20 et 45% de leurs capital retraite les prendraient à partie !
• Dans le même registre de la « solidarité générationnelle » (sic), hier on nous tirait des larmes sur l’impossibilité de couvrir le besoin financier exigé par le système de répartition. « Strictement impossible, et indécent pour ceux qui travaillent (Fillon dixit !) ». Et ce n’est pas inconvenant peut-être de balancer quelques dizaines de milliards venant des contribuables pour éviter à certains financiers qui s’en sont mis plein les fouilles ne fassent faillite ?
• N’est-ce pas choquant de nous avoir juré, croix de bois, croix de fer, qu’on ne pouvait augmenter le SMIC, les bas salaires, les fonctionnaires utiles, les crédits de recherche, les budgets indécents de la justice, alors que l’on trouve du jour au lendemain, sans sourciller, des centaines de milliards ? Certes je suis économistes et je sais comment ces tours de passe-passe peuvent se faire. Mais pourquoi ne pas en avoir usé, à bon escient, pour soutenir la qualité de vie et donc la croissance, plutôt que pour éponger des dettes de spéculateurs gavés ?
• N’est-ce pas inconvenant d’injecter quelques milliards d’euros dans des organismes bancaires ou financiers comme ça, sans contre-partie ? Il faudrait, a minima, récupérer des actions en retour. En d’autre terme, ça s’appelle nationaliser ! Quand la gauche l’a fait en février 1982, ces messieurs au cigare ont couiné grave en disant que l’État serait un mauvais gestionnaire, et patati et patata … Résultat, on a dénationalisé et les mêmes, ou leurs frères, ont généré le plus grand pastis du siècle ! Bonjour les compétents !!
• J’attends encore le premier capitaliste financier courageux qui osera donner sa démission en disant clairement qu’il s’est trompé, fourvoyé, déconsidéré, dans la gestion de son groupe. Et qui partira cultiver son jardin, à Blanc Mesnil ou à Aulnay, sans aucune indemnité. C’est là la différence avec 1929. A cette époque les banquiers se suicidaient, se défenestraient, parce qu’ils, étaient ruinés pécuniairement et socialement. Aujourd’hui, les mêmes sont gras de parachutes dorés sur tranche, de pécules stock-optionnés, et vivent dans des palaces luxueux sans honte voire même avec l'arrogance du mépris.
• J’aurais aimé que Madame Parizot-Medef troque son cachemire rose contre du gris (foncé). C’eût été plus harmonisé avec la conjoncture. Elle n’a même pas percuté qu’elle reproduit maintenant avec l’État ce qu’elle stigmatisait hier pour les ouvriers vis-à-vis des patrons. J’aurais aimé aussi qu’elle y aille franco avec les gold parachutes, au lieu de cette charte emberlificoté qui s’avère une invite à la magouille entre administrateurs sans vergogne.
• Puisque, d’un sentiment général, il manque des régulations, pourquoi ne pas plancher sur une « politique européenne d’encadrement des activités économiques et financières », une sorte de plan à la française qui avait fait ses preuves et que les libéraux ont voué aux gémonies en se référant à des principes fallacieux de primauté efficace du marché ?
• Où est la gauche ? Y a-t-il encore quelqu’un pour dénoncer, fustiger, attaquer, … ce gouvernement qui est certainement le pire que la France est eu depuis des décennies. Où sont les manifs massives, bloquantes, alarmantes, alarmistes, … qui feraient « monter la mayonnaise » ? Ce serait pourtant de bonne guerre car, croyez bien, que la droite ne se priverait pas, dans les mêmes circonstances, de descendre les Champs Elysées, drapeau en tête, drainant la foule des bien-pensants, a qui l’on aurait foutu la trouille de la perte de leurs économies et le leur jardinet !
• Où sont les citoyens à qui l’on vient de dévoiler au grand jour, d’une façon aveuglante, qu’on les a durablement grugé, exploité, extorqué, cyniquement, qu’on leur a menti sans vergogne, qu’on leur a piqué leur avenir, parfois celui de leurs enfants … et que l’on continue à traiter comme de la piétaille avec une arrogance d’intouchable ? On a fait des révolutions pour beaucoup moins que ça ! On a renversé des ministères pour un milliardième de ça ! Bientôt il sera trop tard car on sait bien que la tornade passée, les pauvres seront ruinés, les moyennement pauvres seront lessivés, les riches entamés, et la caste des hyper-puissants en profitera pour resserrer à leur profit les cordons sociétaux qui, déjà, nous étranglent. Cette crise peut-être une libération ou un goulag.
Oui, j’ai bien dit un goulag, parce que, hélas c’est comme cela que finissent ceux qui n’ont pas osé résister aux aberrations du pouvoir. Quel qu’il soit !
* morceaux à ronger (en occitan)
09:37 | Lien permanent | Commentaires (0)
29/09/2008
LA NAGE PITOYABLE DU NAIN CONTRE LE TSUNAMI
Cela va vous surprendre, mais Sarkozy m’a fait de la peine ! Il avait pourtant fait l’effort de se rapprocher de la mer pour terrasser le tsunami financier ! Toulon c’est une belle ville, il y a là, la Flotte, l’Arsenal, les Herrero brothers et le Pharo!
Et là le petit homme gesticulant, gominé et costumisé sur fond bleu horizon, m’a touché. Il y croyait, aux rodomontades de régulations, aux menaces de sanctions contre les capitalistes voyous, aux « il faut et y ka » ! On va les pourfendre ces banquiers véreux, ces financiers marrons !
Il était d’autant plus courroucé qu’il en avait rêvé de ces puissants argentés, qu’il avait même frayé avec eux sur leurs yatches élancés, dans leurs villas princières et leurs ryads exotiques. Il s’avérait trahi, amoindri, rabaissé à un vulgaire politique qui peut se faire plus gros que le bœuf !
Car, je vous le dis, en vérité, rien ne peut plus endiguer le tsunami que je vous annonce (avec quelques autres, mais pas beaucoup) depuis plus d’un an. Les politiques sont dérisoires avec leurs mesurettes, avec leur froncement de sourcils. Ils sont pitoyables avec leurs sept cents milliards de dollars juste en cache sexe d’une monstrueuse crise. Pendant vingt ans, ils ont sacrifié aux desiderata de ceux qui haut et fort réclamaient la dérégulation. Thatcher, Reagan, se voulaient les paragons d’une nouvelle ère de libéralisme efficace et les premiers à faire sauter les barrages, les bassins de rétention, les droits protecteurs, les surveillances, les contrôles, en un mot tout ce qui tentait, bon gré mal gré, d’endiguer le torrent dévastateur de la spéculation financière. Les malins se sont engouffrés dans cette brèche en espérant tous être du côté des gagnants. Sarko, il y a quelques mois, ne disait pas autre chose ! Mais l’économie se venge.
Un autre bon ami catalan, je l’appellerai le Gurleyetshaw de la Salanque, a jadis émis la thèse que la monnaie, c’était de l’information et donc du pouvoir. Un pouvoir lié à l’asymétrie de l’information. Le lendemain du jour, il y a plusieurs siècles, où de petits malins ont limé les pièces d’or (rognure) pour en prélever la limaille, le fossé s’est creusé entre celui qui savait vraiment ce que valait la pièce et celui qui croyait ce qu’on lui disait. Palmstrück a rajouté le mensonge de la monnaie fiduciaire (confiance) fondée sur la faillite, Law la supercherie de la contrepartie virtuelle (la Louisiane). Et depuis les financiers s’ingénient à accroître l’asymétrie en « trafiquant » la « garantie » de la monnaie d’abord, des produits financiers surtout. Penchez-vous un instant sur le jargon dont ils usent : titrisation, désintermédiation, redlining, hedging,…. Tout est fait pour noyer celui qui tente d’évaluer le risque et l’obliger à se fier à des «évaluateurs» tiers. Lorsque ces derniers deviennent ripoux (agence de notation américaines) vous comprenez l’arnaque !
Remontons aussi à la logique fondatrice de ce système. Il ne faut pas oublier que l'essence même du capitalisme serait de récompenser la compétence, la rigueur et la bonne gestion. Or, à vouloir, à tout prix, prévenir les faillites ou les infortunes des financiers, on en vient à développer ce que les économistes définissent comme le risque moral (en anglais : moral hazard) qui alimente des comportements imprudents, fondés plus ou moins consciemment sur l'idée que si les choses tournent au vinaigre, le gouvernement n'aura d'autre possibilité que de secourir les fautifs. Certains appellent cela le «socialisme pour les riches». D’autres parlent de « Libéralisme de l’absurde » par le fait que plus le tsunami est fort plus les coûts collectifs d'une crise potentielle seraient trop insupportables pour les pouvoirs en place, obligeant leur intervention, coûte que coûte.
Alors vous comprenez pourquoi l’ énervé de la rade m’apitoie. Des responsables ? Mais ils ont tous plus ou moins trempé dans ce tsunami de désinformation à des fins de profit. Des verrous ? Mais où et avec quel pouvoir de coercition ? Le tsunami est virtuel (au moins scriptural) et donc non « localisable » territorialement. Pour quelle moralisation ? Si on stigmatise les profits financiers il faut changer de système !
Alors le gnome de Toulon, tout comme ses collègues gouvernants, ne sera bon qu’à éponger les dégâts les plus voyants lorsque la vague sera passée et qu’elle aura, comme toujours dans les catastrophes, engloutis les plus pauvres, les plus précaires et ceux qui auront cru aux miracles annoncés d’un libéralisme sans entraves. En espérant que les secourus seront plutôt les crédules victimes amputés de leur logement, de leur économies, de leurs retraites, que les banquiers cousus d’or mais prompts à apitoyer les dirigeants.
Sarko m’a fait de la peine car je crois qu’il était sincère. Comme Guéant . «Ce qui aggrave le cas des princes qui nous gouvernent, ou de leurs experts, c’est que souvent ils ne savent pas qu’ils ne savent pas. D’autres fois, ils se raccrochent à des fétiches, confondant par exemple capitalisme et développement.»
16:57 | Lien permanent | Commentaires (0)