08/08/2008
RUGBY DE TAUPES
Avant l'avalanche pékinoise, la logorrhée olympique qui va nous submerger, je me suis régalé avec mes matches des tri-nations. Que du bonheur, du jeu, du jeu, encore du jeu!
Alors j'ai observé et j'en ai tiré quelques enseignements pour faire en sorte que le rugby français ne tombe pas dans les mêmes ornières que le foot du même pays: autosatisfaction et défaite récurrentes.
Première différence majeure entre jeu du nord et du sud: la recherche de l'intervalle. Les joueurs du sud, dans la plupart de leurs actions tentent de pénétrer ENTRE les adversaires, là ou peut exister une faiblesse potentielle, et non, comme nous le faisons, à percuter frontalement le joueur opposé. Il arrive ainsi de voir des percées, des ouvertures, ... et beaucoup moins de "petits tas" hideux et sans intérêt véritable. En effet, hormis pour fixer l'adversaire de temps à autre, les percussions mauls, voire pick and go, n'apportent pas grand chose, sauf lors d'une domination outrancière, ou d'une protection de résultat en fin de match. Et le spectateur s'ennuie mortellement!
Cette recherche d'intervalle va de pair avec la ligne d'avantage. La percussion sur l'homme se traduit rarement par un gain réel de ce point de vue. Même pour les fameux "impacts players"! Via l'intervalle, avec en sus un passage de bras, la progression est significative et l'on joue sur un adversaire contraint de reculer.
Seconde différence: la libération rapide du ballon et une transmission volontariste vers l'aile afin de tenter la percée au point opportun. Chez nous, ça commence par un ballet de politesses derrière les tas: je le prends, non, pas encore, tu le veux, non toi, ou peut être un plus gros..., la transmission s'avère ensuite laborieuse, avec des appuis de demi de mêlée peu maîtrisés qui obligent à faire un ou deux pas avant la passe, et des cadrages approximatifs, toutes choses qui rendent caduques la plupart des tentatives d'ouverture.
Troisième différence: la polyvalence des acteurs. C'est-à-dire que les quinze joueurs sur la pelouse sont capable d'exécuter les mêmes cinq ou six "gestes" fondamentaux. Il ne faut pas confondre! Il ne s'agit pas de demander au pilier de se muer en trois quart aile ou inversement, mais de permettre à ce pilier de prendre un intervalle, de passer les bras, de taper au pied, ... et à ce trois quart de créer un maul, de percuter, de pousser, ... selon les besoins de l'action et leur positionnement. On appelle cela la variété requise. La tendance va donc dans le sens de quinze joueurs semblables "costauds, rapides, agiles, adroits au pied, bon plaqueurs" et dotés d'un bagage de gestes égal. Or, nous sommes en train de retomber dans des spécialisation par poste comme d'antan! Des piliers ventrus, des demis fluets, ...
Dernière différence, et elle est de taille, la qualité de l'arbitrage. Les arbitres du sud (du moins la majorité) tentent de "tirer le maximum de jeu" selon l'expression de Félix Lacrampe. Ils font la part entre fautes vénielles et fautes dirimantes, passent sur les premières et sanctionnent les secondes. C'est cela un directeur de jeu. Ils ne parlent pas, ne hurlent pas, ne commandent pas aux joueurs, ne hachent pas la partie. Nous, nous supportons la prétention de personnages qui veulent avoir la vedette, monopoliser la caméra pour que leurs petits neveux les voient bien à la télé, donner des ordres aux joueurs en cours de jeu alors qu'on leur demande, seulement, d'arbitrer sobrement.
L'ensemble de ces différences contribue à un jeu rapide et continue. N'est-ce pas aussi une question de capacités physiques qui ne nous permettraient pas de tenir ce rythme? Les petits tas, les ralentissement par le sol, les percussions de un mètre cinquante, ... sont plus propices à une dépense d'énergie ... moyenne!
Enfin, ce n'est pas une différence mais une remarque, arrêtons de faire coacher des obscurs. Je ne sais plus qui disait "on de fabrique pas des morceaux de ciel bleu avec des taupes!"
18:38 | Lien permanent | Commentaires (0)
24/07/2008
L'ALOUETTE ET L'HIRONDELLE ...
La Poste n’est pas encore morte nous dit-on. Mais elle titube, un couteau planté entre ses omoplates, en espérant atteindre, au mieux 2010. C’est un mythe qu’on assassine, le mythe de la RURALITÉ et, avec lui, plusieurs symboles.
Le symbole du facteur, uniforme, képi et boîte de cuir bouilli, boîte se muant en celle de Pandore, apportant les lettres de fils exilés, de parents éloignés, d’amants déclarés, d’avis de décès autant que de naissances, commandement à payer autant que mandats à percevoir. Facteur attendu des missives d’amour, facteur redouté de mauvaises nouvelles du front ! Facteur trait d’union avec la société, pour les isolés des fermes arriérées où seuls des chemins empierrés conduisent. Facteur qui portait aussi le Chasseur Français, le catalogue Manufrance et quelques médicaments, vis ou boulons ramenés bénévolement. Les nouvelles aussi des fermes voisines.
Le bureau de poste était lui aussi symbolique, avec sa grille masquant tant bien que mal l’arrière-boutique, avec son odeur mêlée d’encre à tampon et de colle forte, avec ses cabines téléphoniques de noyer ciré où l’on espérait le 22 à Asnières. Fernand Raynaud, Bourvil, Fernandel, Yves Montand ont épinglé ce lieu incontournable de la vie locale et les postières pas toujours moustachues et acariâtres.
Le timbre enfin, symbole universel de notre apprentissage du Monde. Qui n’a pas appris, via les vignettes dentelées, l’existence du Dahomey, de la Haute Silésie, du territoire d’Ifni, ou de San Marin … de la couleur carmin de la « semeuse fond ligné », du phacochère illustrant le Congo ? Qui n’a pas (au moins temporairement) collectionné les papillons, les poissons, les tableaux ou les fauves, comme un livre d’images précieux dont on disait qu’il vaudrait un jour des fortunes ?
L’hirondelle ! L’hirondelle comme logo-témoignage de la rapidité du vol et de la proximité familière.
L’alouette et l’hirondelle*, la guerre du privé et du public, l’imbécile opposition de choses qui devraient être complémentaires. La rose et le réséda ! Pourquoi se forcer à sacrifier l’altérité ?
Quand plus personne n’écrira sur des feuilles blanches, lignées ou pas, parfumées ou tâchées de larmes échappées, quand il n’y aura plus que l’immatériel téléphone, l’impersonnel e.mail ou, pire, l’approximatif SMS, que restera-t-il dans la boîte de cigare des grands parents ? Que restera-t-il à exhiber précieusement aux petits enfants, comme souvenir matériel du héros familial ayant arpenté la Haute Volta, la Syrie ou, simplement, la grotte de Lourdes ? Faillite épistolaire annoncée, faillite culturelle prévisible.
Quand le facteur ne viendra plus sur le plateau de la Margeride, de Sault ou de Langres, quels fous habiteront encore les fermes du bout du monde, artisans d’une forêt et d’une agriculture garante de la préservation des territoires ? Faillite du service de communication égalitaire et obligatoire, faillite de la ruralité implacable. Faillite de la biodiversité des paysages.
Battons-nous pour que les mythes ne meurent pas !
« Quand les blés sont sous la grêle fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles au coeur du commun combat »*
* poème: La rose et le réséda. Louis Aragon
11:40 | Lien permanent | Commentaires (0)
08/07/2008
SYSTÉMIQUE ET CORRIDA
Comme toujours, en début d’été, se manifestent les voix anti-corridas. Je les accepte puisque «Si l'on ne croit pas à la liberté d'expression pour les gens qu'on méprise, on n'y croit pas du tout’ [Noam Chomsky].
Mais permettez-moi de donner un éclairage systémique que je n’aie lu nulle part. Je le brinde à Jeannot S. l’aficionado biterrois et à Pierrot C. l’aficionado du CG34.
Au début de tout, sont confrontés deux pôles : l’ordre et le désordre.
L’ordre s’incarne dans l’Homme, le torero, la référence sociétale ultime, porteur de l’exhaustif rituel normé. À l’excès ! Tout est précisé, limité, décrit dans le moindre détail. L’habit, les phases (tercios), le temps imparti, les catégories de passes (véronique, naturelle, derechazo, chicuelina, revolera,…), les instruments (capes, muleta, banderilles, piques, épées, …), les lieux (sitios), les positions, les distances (cargar la suerte), les codes gestuels (brindis, cambio, pétition,…), les adjuvants musicaux, les symboles colorés (mouchoir blanc, vert, bleu,…), le personnel habilité (peon, alguazil, picador, sobre saliente, mozo de espada, areneros, …), la sortie (a hombros, por la porta grande, …) … C’est la perfection absurde, inatteignable, idéale au sens où l’on ne peut que la tangenter.
Le désordre s’inscrit dans la nature, la Bête, le taureau. La violence, la sauvagerie, le danger, l’aléa, la mort, le moins codé possible (toro limpio).
Il faut ensuite que ce duel improbable, par un enchaînement de "scènes" (faena), injouables en principes, - du moins dans un registre « civilisé »-, parvienne à accéder à l’équilibre optimal, à l’utopie. Tout le paradoxe de l'utopie réalisable est d’être à la fois la matérialisation d'une monstruosité et la symbolisation d'un discours de raison. L'utopie mobilise l'onirique et le confronte au rationnel pour développer un récit où se développe le rhizome sociétal (concevoir un monde plausible malgré les dysfonctionnements naturels du monde réel). (Si ça chauffe trop, prenez une douche !)
Cela relève de l’acte social pur: comment réguler le désordre pour qu’il devienne compatible avec un ordre suffisant, c’est-à-dire esthétiquement suffisant, c’est-à-dire à l’équilibre exact que l’on nomme lidia et qui dépend des qualités et des défauts de chaque taureau (encaste), du temps (vent, pluie, …), de l’arène, du public, … L’optimum existe, le spectateur le perçoit lorsque le taureau suit harmonieusement le temple du leurre, s’enroule autour du chemin qu’on lui trace, spontanément, sans manifester la révolte de ses cornes … qui reste néanmoins implacablement potentielle à la moindre faille de l’équilibre.
Les lieux restent bien délimités : le ruedo, le calleron, les gradins, le palco, …où se meuvent des catégories sociales distinctes sans jamais se mélanger vraiment (sauf par transgression: el spontaneo). Il y existe enfin un acte démocratique fort, la pétition du public qui, via des mouchoirs agités en guise de bulletins, vote pour accorder les trophées. Démocratie certes mais démocratie gouvernée puisque le président garde le pouvoir exécutif final … au risque de la bronca (capability of voice) populaire.
Voilà ! La messe est dite ! La corrida est l’archétype actué de la régulation sociétale. On pourrait en faire le canevas illustratif d’une théorie de cette régulation. Mais sans doute que les idéologies ne s’abreuvent plus à la source de la complexité. Sans doute que la consommation de Charal sous blister s’avère beaucoup plus économique et reposante. C’est de monde « tel qu’il est », ma bonne dame ! C’est dans ce “tel-qu’il-est” que se situe la supercherie car il est donné pour une vérité, alors qu’il n’est au mieux qu’une représentation – déjà une interprétation et au pire une conviction – une croyance construite, un parti-pris. De plus, ce “tel-qu’il-est” laisse entendre qu’il y aurait un accès direct à la compréhension du monde qui ne serait autre chose que “l’allant-de-soi” desdites choses: les choses telles qu’elles sont vont de soi. Facile, pas la peine de se prendre le chou ! Dis, Chomsky, pourquoi tu tousses ?
18:28 | Lien permanent | Commentaires (1)