03/03/2013
LES TROIS ÉCOLES
Je dédie cette note à Louis, Jeanne, Rose, Louise, Paul, Roger, Anny, Jacotte, Jean Claude, Michel Claudine, Dany, Mireille,...
Il n’y a rien de plus important que l’école dans la vie d’une société. A travers elle, elle se perpétue, s’amende ou se perd.
Il n’y a rien de mieux, pour la croissance économique, que la qualité de la formation comme le montrent Robert Barro et Jong-Wha Lee. (Educational attainment in the world, 1950–2010. http://www.voxeu.org. 18 May 2010).
Souffrez donc que je dise ma déception lorsque je vois un gouvernement englué dans ses contradictions économico-financières introduire le débat… par la durée de la période d’enseignement. Certes ce n’est pas inutile, certes cela peut influer sur la productivité, mais il y plus urgent ! Certes il existe un futur promis, consigné dans un document pompeusement intitulé « Refondation de l’école » mais qui repeint comme toujours la façade desdites fondations sans s’attaquer à l’essentiel.
La première urgence réside dans un choix, un vrai choix, entre les trois écoles possibles (en excluant les écoles libertaires et les écoles confessionnelles) selon moi : l’école régalienne, l’école démocratique et l’école républicaine. Ce choix conditionne tout le reste et le plus sidérant c’est que Vincent Peillon n’aborde jamais cet argument pour mettre en place une vraie Refondation de l’école (pas davantage d’ailleurs que ne l’ont fait ses prédécesseurs).
L’école régalienne est dispensatrice des savoirs faire pour la réussite élitiste. Son totem s’incarne dans Polytechnique. Cette conception, fondée sur l’excellence, définie selon les canons de l’idéologie dominante, repose sur trois piliers : la qualité des enseignants, la conformité au projet, la sélection. Le système français des grandes écoles représente l’un des relais privilégié de cette vision élitiste.
L’école républicaine se veut dispensatrice de valeurs (liberté, égalité, fraternité, laïcité) avec pour idéal l’Ecole Normale Supérieure. Son fondement se trouve sur le projet citoyen et vise à en construire les acteurs. Je dis bien construire selon une rigueur qui prône la loi, l’ordre et la primauté des valeurs précédentes*.
L’école démocratique privilégie le consensus. Consensus des idées (tout est discutable), consensus des acteurs (mise à égalité des enseignants, des enseignés, des parents, voire des ayant droit comme élus, entreprises,..), consensus sur les apprentissages. De racine constructiviste cette tendance se vit, en fait, plus facilement déconstructiviste en squeezant la phase reconstructiviste qui serait pourtant « équilibrante ». Son summum s’appelle Science Po. Il apparaît que cette troisième option s’est généralisée dans l’après 68 et qu’elle surfe sur un respect plus souple des règles (de vie en groupe, mais aussi hiérarchiques et normatives) et un primat donné à l’enseigné.
Cette école démocratique développe un idéal égalitariste en trompe l’œil et tend à une rhétorique du respect de tous qui peut séduire en première approche. De plus la confusion entre république et démocratie s’avère si fréquente qu’elle ne fait plus différence. Or, « la république est la démocratie plus. Plus précieuse et plus précaire. Plus ingrate, plus gratifiante. La république, c’est la liberté, plus la raison » (Régis Debray**). Plus exigeante, plus raide et plus verticale ladite république ne transige pas avec ses valeurs clés. Ainsi les «hussards noirs» de la troisième assénaient leurs enseignements avec une distance ne souffrant pas la contestation, hormis via le raisonnement qui faisait partie intégrante des acquisitions. Ils avaient une mission citoyenne et ils s’y consacraient sans partage. Les contestataires post soixante-huitards ont cru devoir dénoncer un « endoctrinement » de leur progéniture à un bréviaire gauchisant. Résultat, l’instituteur se mue en équilibriste acceptant les oppositions, les déviances, les refus comme autant de contributions à une individualisation des acquis et, donc, des personnalités. Il se doit d’intégrer les différences, d’éviter les affirmations, de relativiser les vérités. De rechercher l’improbable consensus au nom de la démocratie scolaire triomphante. L’école républicaine tient pour dogme que les petits futurs citoyens sont là pour apprendre, «rendre la raison populaire» (Condorcet). Point, à la ligne. Il existe d’autres lieux pour relativiser le choses sues : famille, rue, clubs,… voire les églises, temples, mosquée et synagogues. La synthèse de tout cela s’appelle l’individuation.
Les tenants de l’école démocratique ne sont parvenus qu’à briser le dogme républicain sans trouver les ressorts d’une dynamique d’apprentissage significativement meilleure. «La république, dans l’enfant, cherche l’homme et ne s’adresse en lui qu’à ce qui doit grandir, au risque de le brimer. La démocratie flatte l’enfant dans l’homme, craignant de l’ennuyer si elle le traite en adulte» (R. Debray**). L’ambition consensuelle finit en médiocrité acceptée.
Le mythe d’un enseignement plus proche des réalités, plus pragmatique est un leurre. Le socle formel permettant à l’enfant, puis à l’ado, de «lire» le monde et s’y mouvoir efficacement relève de savoirs structurants. Ces derniers excèdent les sciences dures pour inclure la réflexion philosophique et sociale. Le consensus démocratique a conduit à « affaiblir » tout ce référentiel pour faire place à des « connaissances de circonstances » agréables aux uns et aux autres.
Quant à l’école régalienne sous une version privée en primaire et secondaire, sélective au stade supérieur (prépas) elle tire les marrons du feu de la controverse précédente. Les catégories sociales conscientes du problème – qui ne sont pas forcément les plus aisées – utilisent pertinemment ces « voies royales ». Les pourcentages de fils d’enseignants à Polytechnique l‘attestent (un élève sur deux a un parent prof). Ces cursus ne privilégient pas forcément la qualité mais l’adéquation aux problématiques en vogue (finances, politique, marketing, stratégie, médias,..).
Voilà donc le descriptif, sachant que les réforme(ttes) successives ne font que customiser la réalité de l’école démocratique comme autant de rustines incapables d’endiguer la baisse régulière de niveau. «Contrairement à d’autres pays, école française ne parvient pas à réduire la part des jeunes qui échouent, ni l’impact des inégalités sociales sur les parcours scolaires. Le nombre des élèves en grande difficulté a même tendance à augmenter. Chaque année plus de 120 000 d’entre eux, massivement issus des milieux sociaux les moins favorisés, abandonnent leur scolarité»****. On a même réussi à ternir - voire ringardisé - la solution républicaine par le biais des fameux internats d’excellence et les documentaires télé afférents.
La solution serait un retour franc à une école des fondamentaux républicains, via des maîtres formés en conséquence et expérimentés à la mise en œuvre, sans mollir.
Mais ce n’est pas suffisant! Encore faudrait-il que cette démopédie (c’est-à-dire une pédagogie permanente par laquelle une société intériorise les principes et valeurs) contribue à une certaine réussite sociale visible, selon une probabilité forte, sinon une certitude absolue. Or, aujourd’hui, la métaphore du mécanisme du succès réside plus dans des schémas sportifs ou speed success que dans des parcours scolaires. Il faut arrêter de donner seulement trois destinées inéluctables aux écoliers : chômeur, consommateur ou trader, plus deux en leurre : chanteur ou footballer. Il faut arrêter de modéliser la réussite en la réduisant à la quête individuelle d’un gain matériel. L’école est là pour fabriquer des citoyens à cent pour cent, irréductibles et exubérants, motivés de partager un projet commun et de s’y investir avec un esprit collectif. Encore faudrait-il formuler ce projet motivant et inclusif (le contraire d’excluant), revigorant en lieu et place d’une atmosphère pesante, morose, grise et culpabilisante, pingre et court termiste. Depuis quand n’avons nous pas donné à nos enfants un image radieuse et collective de l’avenir ? Une espérance d’épanouissement plutôt que de galère. Les « kleptocrates » de tous poils, français ou européens, banquiers ou politiciens, qui vivent dans la soie en reprochant la bure, ne croient pas de leur intérêt de nourrir ces motivations positives des masses. Le "partage asymétrique" leur convient parfaitement.
Pour tout cela on continuera à soit disant « refonder l’école » via des faux semblants, en invoquant Jaurès ou Ferry et en s’en remettant à des comptables aux ordres. Il serait temps, au lieu de nous rabattre les oreilles avec les épines du roncier, de nous expliquer qu’il s’agit aussi et surtout d’un rosier potentiel. Et faire aimer les roses, à l’instar du Petit Prince.
* Je rends hommage au passage à Stéphane Hessel dcd cette semaine qui était un produit de cette école prestigieuse
** Et comme toujours, un « mix » résulte de ces archétypes, l’ENA, qui concilie toutes les options à haut niveau selon un label supplétif de cautèle (Prudence mêlée de ruse, de défiance, de diplomatie). faisant permis de conduire les hommes et les organisations.
*** Regis DEBRAY. République et démocratie. Le nouvel Observateur. 30 novembre-6 décembre 1995.
**** www.education.gouv.fr/archives/2012/refondonslecole/.
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13/02/2013
ON ACHÈVE BIEN LES CHEVAUX… ROUMAINS !
Dans une précédente note je parlais des enclosures, c’est à dire des limitations à l’usage et de l’impératif de frontières. L’actualité me permet d’illustrer concrètement l’intérêt du concept.
Ainsi on va s’étriper pour savoir qui, dans la chaîne des marchands de basse barbaque, pourrait s’avérer un arcan. Et chacun de se défausser : Spanghero - qui n’est que l’avatar basque de celui que nous avons connu – jure son innocence, Findus (Suède) qui "Heureusement est là" joue à l’outragé, Comigel (Luxembourg) clame à la manipulation, le ministre roumain de l’agriculture garantit que son pays n’y est pour rien, le premier ministre affirme que son peuple aime les chevaux autant si ce n’est plus que les rosbifs, Hamon, benoitement, promet de pourfendre les responsables (une fois retrouvés !)… seul, l’improbable «trader chypriote» (existe-t-il réellement ?), garde un silence assourdissant…. Aldi avoue que 30% de la viande des lasagnes et 100% de celle des spaghettis bolognaise distribués au Royaume Uni est du cheval. Et les bons samaritains de s’étonner de tant de turpitude, alors que le chômeur british peut bouffer des spécialités italiennes à moins de quatre shillings !
Si vous voulez mon avis, il faut partir de la racine. La racine se trouve dans la politique de UE qui a mis une enclosure arbitraire sur un espace européen très hétérogène.
Une enclosure d’échelle c’est à dire destinée à la fois à peser davantage vis à vis des autres enclosures existantes et à constituer un marché dimensionné pour favoriser la rentabilité. Non pas une enclosure à frontière filtrante apte à empêcher les «agressions» extérieures, pas non plus une enclosure identitaire ayant pour vocation de pérenniser une culture sociétale. Une institution agrégative donc qui met dans le même sac (pardon même zone) des sociétés très différentes quantitativement et qualitativement.
Ainsi l’enclosure de l'UE a brutalement imposé l’interdiction des charrettes hippomobiles sur les routes romano-moldaves. Sécurité oblige! Ces attelages étaient foison dans une économie rurale et paysanne à faible revenu. Exit donc les carrioles garées dans les hangars mais restent les bestiaux… qu’il fautrait nourrir pour rien ! Et que l’on sacrifie donc, certes à contre cœur, mais massivement. Tout économiste au bout d’un trimestre de cours sait que quand l’offre d’un produit augmente brutalement, son prix s’effondre. Cela s’appelle la loi de King depuis le début du XVIIIème siècle ! Les traders de barbaque (si, si, ça existe !), à l’affût de prix cassés pour réjouir leurs honorables correspondants marchands de «minerai de viande» (si, si, ça existe !), sautent sur l’occase. De la bonne chair à ce prix, on ne va pas regarder à la race ! Qui distinguerait d’ailleurs les bas morceaux d’équins (cheval, âne, mulet) des bas morceaux de bovins ? Surtout une fois compactés en blocs congelés. Surtout une fois émiettés dans la sauce bolognaise hyper tomatée. Roule ma poule, il faut bien que le prolo qui n’a plus beaucoup de blé eu égard à son chômage, aux taxes, à son loyer et son chauffage puisse s’acheter sa pitance apparemment appétissante. Oui, mais les contrôles direz-vous ?
De même que les chevaux de Transylvanie et Valdachie sont devenus brutalement inutilement coûteux, la même UE et le sarkozysme libéro-triomphant ont jugé les fonctionnaires de la DGCCRF (Répression des fraudes) trop dispendieux. D’autant plus que ces empêcheurs de tricher en rond, embêtaient les industriels de l’agro-alimentaire, premier employeur de France et lobbyiste patenté. Idem ces inutiles inspecteurs du travail qui, eux, irritaient les employeurs de main d’œuvre douteuse « nécessaire » à la productivité comparée. Alors on a inventé un truc d’enfer : « l’auto-contrôle » soit le contrôle des tricheries potentielles par les tricheurs putatifs. Comme si on disait à Armstrong de faire régulièrement sa propre analyse ! Et dire qu’il en existe pour saluer cette «conquête de la libération de l’entreprise » ! Dire qu’il y en a pour saluer cette « victoire contre la bureaucratie» ! Et la plaisanterie (pour ne pas dire tragédie) s’étend jusqu’au contrôle des banques par les fameuses (fumeuses ?) agences de notations qui sont elles-mêmes impliquées, des médicaments par la sulfureuse l’ANSM (Agence Nationale pour la Sécurité du Médicament et des Produits de Santé), …
Les lasagnes maudites (avec l’avantage d’être à faible risque) révèlent l’absurdité de l’abandon au détour des années 1980 des 3D : déréglementation, décloisonnement, désintermédiation. Dérèglementation je viens d’en parler. Bonne dans un premier temps pour donner la souplesse utile à l’adaptabilité aux technologies et technosciences nouvelles, elle s’avère mortifère au delà d’un point où le bien commun est mis en danger. Décloisonnement utile pour trouver des logiques d’ensemble plus pertinentes voire plus raisonnables, dangereux au delà d’un stade où la notion d’identité (lato sensu) se trouve déconstruite. Désintermédiation comme suppression d’intermédiaires entre acteurs ou groupes d’acteurs, bienvenue tant que lesdits intermédiaires parasitent la logique de l’échange, inquiétant lorsqu’elle conduit à un déséquilibre important des parties (asymétrie, domination, monopole). « Ces trois verrous qui contenaient la finance dans des limites raisonnables sautèrent et l’on salua cet épisode, largement méconnu ou oublié par les peuples en souffrance, comme une libération trop longtemps attendue. Aujourd’hui, de trop nombreux témoins et acteurs de l’époque feignent l’étonnement »*
Le système actuel prône, au motif d’une guerre économique en grande partie fantasmée, une suppression de la plupart des contrôles en remettant entre les mains des entrepreneurs, médecins, sportifs (qui sont le plus souvent sous la coupe de financiers) la gestion de la logique glorieuse de la concurrence. C’est absurde !
Puisque l'on se trouve dans la domination de l’argent, il faut -il faut implacablement - définir un plancher et un plafond comme limites objectives du revenu d’existence, comme limite de la performance. Des gens lucides (notamment Michel Rocard) ont établi un SMIG, puis un SMIC, puis un RMI, puis un RMA. Il s’agit là d’une possibilité d’exister socialement selon un minimum de dignité exigible**. Ceux qui réfutent ce minimum ne sont pas dignes du statut de citoyen républicain. A l’autre bout, l’accumulation d’argent, au delà d’une certaine limite, s’avère source d’affairisme. J’appelle affairisme la sortie de l’espace du bien public pour des fins dès lors inacceptables. Et, somme toute, absurdes. Quand le PSG aura acheté tous les meilleurs footballeurs quel intérêt présentera le championnat de France, le championnat d’Europe ?? Quand Armstrong et son peloton se chargent maximum pour dépasser les limites humaines que devient la valeur du Tour de France ? Quand Arnault distribue cinq milliards de dividendes combien de milliers de travailleurs pourraient simplement en vivre? Quand le Médiator…, l’amiante…
Je crains que nos dirigeants hollandais ne fassent que parer au consensus le plus pressé. C’est vrai que cela s’appelle la démocratie. Et si l’on peut s’en prévaloir, j’aspire pour ma part à des prises de positions plus drastiques pour le respect des limites du bien public de notre enclosure républicaine.
Attali, dans un éditorial du Monde (11 février 2013), jette les fondations d’une «économie positive» nécessaire pour empêcher le suicide de l’humanité, soit «une économie qui rassemble toutes les entités produisant des biens ou des services, marchands ou non marchands, d’une façon économiquement viable et utile à la fois aux employés et aux clients, à leur communautés, et aux générations suivantes.». Cette utopie n’est pensable (réalisable ?) que dans des conditions sociétales PARTAGEABLES. C’est à dire dans des enclosures où chacun reconnaisse l’autre et œuvre avec lui au bien commun. L’urgence s’avère donc de rechercher ces « limites frontalières » pertinentes en abandonnant le mythe de l’universalité, donc de la mondialisation. L’échelle est celle qui se situera juste entre le laxisme actuel et un césarisme stalinien.
*Yann FIEVET. Triple D. Le grand soir. 23 janvier 2012
** Et on retrouve nos enclosures ! Via le Speenhamland Act adopté en 1795 par les juges du Berkshire. Alors que la loi sur les enclosures répartit les terres agricoles entre des propriétaires exclusifs, les journaliers paysans et les ouvriers ne peuvent plus exploiter les terrains communaux pour s’assurer un complément de subsistance, ce qui se traduit par un développement de la pauvreté. Les juges de Speenhamland décident alors de leur allouer un complément de ressources afin de leur garantir un minimum vital.
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25/01/2013
TOUT N’EST PAS FOUTU !
Je ne suis pas fana du rugby actuel. Pas comme ancien combattant usant et mésusant du « A notre époque… ». Mais comme un gastronome se trouve décontenancé de la nouvelle cuisine, de ses saveurs étranges, de ses couleurs improbables, de ses finalités mercantiles. Je suis du temps des maillots rayés, des mornifles et des banquets pantagruéliques, des troisièmes mi-temps plus dures que les matchs ! Avec comme arrière goût de l’actualité, l’inquiétude des muscles qui gonflent comme des soufflets, des cervelles qui s’étiolent au rythme d’une monoculture envahissante,…
Eh bien, il faut que je vous dise, tout n’est pas foutu ! Samedi, dans le stade au nom hiératique d’Yves Du Manoir, quelque chose m’a rasséréné, quelque chose qui montre que le rugby n’a pas encore dégringolé dans « la zone » footballistique. Une équipe, certes bariolée quant au maillot et aux nations représentées, a rendu hommage « à l’ancienne ».
Le symbole référentiel de cet hommage s’appelle Eric Bechu, emporté par un mal implacable, au milieu de sa troisième année montpelliéraine en tant qu’entraineur. Je ne connaissais pas personnellement l’homme mais ce que j’en entends m’incite à l’imaginer roboratif et doux, paysan et cultivé, coléreux et affable, toulousain pour le rugby, ariègeois pour le cœur. Un ours en survet révélant un léger embonpoint, arpentant les touches, brassègeant pour exprimer ses sentiments, grommelant dans sa barbe de trois jours (pour l’influx !) son analyse de l’arbitrage. Un entraineur, quoi, pas un coach ! De ceux qui « vivent dedans », y pensent le jour et la nuit, qui inlassablement tentent de faire entrer dans les fronts un peu obtus des stratégies et des postures. De ceux pour qui le rugby c’est la guerre, mais au sens de la sublimation d’une violence contenue. Une violence (qualité de ce qui agit avec force dit le Littré) juste utile à la qualité d’un sport d’expression plutôt que le spectacle exagérément "clean" qui opte pour le refoulement de ladite violence (Dis, Sigmund pourquoi tu tousses ?) . De ceux que les petites dames blondes qui illustrent les mi-temps à la télé n’aiment pas trop questionner craignant le dérapage !
Ce symbole donc, les rugbymans du Clapas l’ont honoré, respecté, fécondé.
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Honoré, bien sûr, tenues blanches, draps, minute d’applaudissements, phrases souvenirs ci et là, larmes écrasées… Sans affectation, sans outrance, sans ostentation. Pas de tartufferie de mise en scène déplacée dans un stade.
Respecté surtout. Dans un match que tous les « experts » de studios disaient perdu, les bleus et blancs (qui en fait étaient bleu marine !) par la foi du jeu respectueux des fondamentaux (pousser, plaquer, porter le ballon au delà,…) sont sortis vainqueurs. Le rugby pratiqué dans sa vérité, dans son intimité d’affinités indicibles, le rugby formant un cercle de famille resserré autour d’un objet commun : l’honneur du champ de bataille. Les gens de la rade, ceux de Besagne comme dirait le prolixe Herrero (le chantre, pas le forward), débordés par ce supplément d’entrailles, médusés par la force qui renverse les colosses ultramarins, ont plié. Sans conteste possible.
Fécondé enfin. Oui fécondé, puisque l’espoir premier des entraineurs dont je fus, reste de transmettre les ficelles magiques de ce jeu complexe dont une grande part vient de l’intérieur. Mais avec le désir supplétif que le message soit dépassé, transgressé, fécondé. Les sorciers de vestiaire possèdent cette capacité de semer les graines de la réussite collective, strictement collective.
Voilà, un samedi maussade de deuil qui masquait une trouée délectable de dramaturgie sportive. Telle une faena d’anthologie sous un ciel de fin du monde qui vous réconcilie avec la corrida.
Alors, les petits, pour parodier Roger Couderc, tout n’est pas foutu ! Le rugby n’est pas (encore ?) tombé dans l’enfer du foot. Même si vous abordez les mêmes casques autistiques, les coupes de cheveux loubardes, les tatouages obstensibles, les mêmes suffisances, même si vous jouez à l’inculture snobinarde et au jargon ésotérique des têtes creuses, même si vous possédez tous des «agents » comptables de millions,…*, je vous supplie « de ne jamais faire en sorte que vos supporters aient honte de vous et d'eux-mêmes. De vous parce que vous seriez les hérauts de l'inculture. D'eux-mêmes parce qu'ils concluraient qu'ils ont, par leur négligence, encouragé et élevé étourdiment un déni de civilisation. ».
Merci, ombre d’Eric Bechu d’avoir contribué à rappeler les arcanes du sport roi. Ta mort se mue, quelque part, en sacrifice.
* Pour bien aller, évitez aussi les produits pharmaceutiques douteux, les entraineuses mineures, les comptoirs de paris en ligne, les grèves surprises, les gros mots médiatisés.
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