11/09/2013
LE GOÛT ANISÉ DE L’ARAK
Pour moi, quitte à vous étonner, l’évocation de la Syrie sent l’enivrante odeur des souks d’Alep, l’arak glacé siroté sur une terrasse de Tartous, le soleil qui inonde de violet le djebel druze, la fumée sucrée des chichas autour des Omeyades,…
Il y a une vingtaine d’années (24/05/1994 exactement), j’ai souvenir d’avoir diné à Damas chez un journaliste palestinien - assigné à résidence - qui m’avait longuement argumenté l’avertissement suivant : si « vous » (pour lui il s’agissait des français puisqu’il honnissait les américains et haïssait les anglais) n’aidez pas significativement les modérés des pays musulmans, dans quelque temps il sera trop tard ! « Vous » vous ferez bouffer et nous, lesdits modérés, nous serons éradiqués. Pour lui, si j’ai bien compris, ces derniers étaient des « gens normaux » qui travaillent, pensent et vivent sans avoir en permanence recours à l’islam. Non pas des laïques, ce concept n’a pas vraiment cours dans ces pays qui ont été traversés par les messies, les croisades, quelques épopées millénaristes et où on parle encore ça et là l’araméen*, mais de simples pratiquants.
Il précisait : il ne faut pas grand chose ! Une dose de démocratie, mais progressivement, pour que le peuple pense être un peu écouté. Pas trop, nous ne sommes pas aptes à subir un choc de libération trop brutal. NOUS SOMMES UNE SORTE D’ÉQUILIBRE TRANSITOIRE PROLONGÉ, COMPLEXE ET FRAGILE. Il s’avère donc impératif que la myriade de minorités religieuses existantes croit au maintien d’une pérennité ataraxique. L’ami chrétien qui assistait au repas confirmait « Même si je ne suis pas d’accord avec l’oppression, avec le régime Assad je peux aller à la messe tous les dimanches et pour les fêtes chrétiennes comme Noël ». Seul un pouvoir issu d’une de ces minorités peut éviter une islamisation dure. Amender l’équilibre donc, en jouant sur l’état actuel qu’il faut faire évoluer dans le « bon sens » d’intérêts réciproques. Je préfère, disait-il, un autocrate qui ne s’exporte pas à des clans religieux qui se diffusent pernicieusement ! Une dose d’économie aussi, pour que les gens aient conscience de « profiter » du gâteau de la mondialisation qu’ils voient sur leur écran télé. Pas trop, mais bien réparti. Une dose de culture, enfin, car, si l’islam est riche, on ne saurait occulter la civilisation des lumières. Une culture française qui transiterait par l’enseignement qui tend, hélas, à se soviétiser de plus en plus, notamment chez les cadres et la formation des élites, serait la bien venue.
Voilà, ce n’est bien sûr qu’un témoignage parmi d’autres. Mais il prend toute son importance aujourd’hui. Entre temps, l’ISSAT où j’intervenais, école d’ingénieur financée par l’Union Européenne est dirigée par un général russe et les enseignants viennent majoritairement de l’Est. La CEE n’a pas jugé bon de resserrer le partenariat.
Actuellement la prophétie de mon hôte se réalise : il est trop tard et « la Syrie est devenue un théâtre de guerre dans lequel les puissances régionales tentent d'imposer leur influence et défendre leurs propres intérêts géostratégiques et économiques »***. Virer Bashar ? Pour qui ? Pourquoi ? A quel prix ? Avec quelles retombées collatérales ? Il faudrait répondre précisément à toutes ces questions avant de se décider promoteur d’une nième croisade. La « fenêtre de tir » diplomatique, comme on dit chez les belliqueux, se situaient dans les années quatre vingt après la mort accidentelle du fils préféré Bassel Al Assad, spécialement formé au pouvoir. A cette période, Hafez, malade, déstabilisé par ce décès, n’était pas très sûr de l’avenir de l’ophtalmo Bashar à la tête du pays, face au puissant lobby alaouite dirigé par son frère damné Rifaat qui eut préféré l’intronisation de Maher le troisième fils. Michel Foucault disait que « le pouvoir n'est pas quelque chose qui s'acquiert, s'arrache ou se partage, quelque chose qu'on garde ou qu'on laisse échapper; le pouvoir s'exerce à partir de points innombrables, et dans le jeu de relations inégalitaires et mobiles »****.
Bien ! Vous comprenez pourquoi je trouve l’édito de Michel Crespy, dans la Gazette de Montpellier du 5/9, excellent. Parmi les tonnes d’insanités qui ont été déversées sur la Syrie par des Diaforus des conflits planétaires, il faut souligner, c’est juste et pertinent, cette position d’humaniste lucide pour qui la guerre reste une abomination, quelle que soit l’arme utilisée, le nombre de victimes comptabilisées… et le motif qui arme l’arme. Hélas, guerre de religion, guerre de domination, guerre ethnique, guerre clanique, guerre économique, guerre financière,… la vendetta barbare continue à régner. Les repentances ne viennent que plus tard !
* la langue du christ
** Musulmans (alaouites, kurdes, druzes, chiites, ismaéliens et duodécimains,…), Chrétiens (orthodoxes, arméniens, maronites, protestants, melkites, jacobites, nestoriens, chaldéens,…), Juifs (juifs arabophones, yézidis)
*** Milad JOKAR. Guerre en Syrie: la géopolitique du conflit. Huffington Post 6 septembre 2013
**** Michel FOUCAULT, Philosophie anthologie, Folio essais, Gallimard 2004
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13/08/2013
LES POTICHES DORÉES DU RUGBY
Il faudra que l’on m’explique à quoi servent aujourd’hui les «coaches» que l’on voit s’agiter autour des équipes de XV ? Ces personnages souvent hauts en couleurs, parlant avec des accents prononcés soit locaux soit exotiques, harnachés de casques, oreillettes, microphones, portables téléphoniques et informatiques, parfois encore de bloc notes et de stylos, très grassement rémunérés selon les informations de la presse, certes s’agitent, prennent des postures pensives, courroucées, ironiques, agitées, dramatisées, distanciées,… répondent aux intervieweurs selon un code jargoneux établi (axe profond, conquête directe, ruck, contest, zone d’affrontement,…) mais est-ce leur destination ?
Les présidents-pédégés modernes, pourtant auto proclamés managers entrepreuniaux des entreprises sportives, les arrosent-ils de millions à cette fin de figuration intelligente dans des rôles distribués, qui dans la tribune, qui sur le bord de la touche, qui dans le dos du trente deuxième arbitre ? Je ne balance pas, j’évoque comme Audiard faisait dire Gabin dans le Pacha.
Les plus naïfs vont me rétorquer « Ils entrainent ! Môssieu ! ». Mais, Halte là, dans le monde du sport, on parle d’entraîneur ce qu’en anglais on appelle coach et qui est le détenteur d’une science qu’il transmet astucieusement aux athlètes qui lui sont confiés. Raymond Barthès, Jean Liénard, Raoul Barrière, Pierre Villepreux, Henry Broncan, André Mélet,… ont été des entraîneurs parce qu’ils avaient conçu une méthode originale, une façon de jouer différente, qu’ils distillaient avec poigne et pédagogie à leurs troupes. Mais, au sens où on l’entend en France (et dans le monde de l’entreprise), un coach ce n’est pas quelqu’un qui détient une science à transmettre, mais plutôt une bonne connaissance de la psychologie des comportements et des personnalités, et qui accompagne le dialogue avec le client. Voilà la vraie réponse : nous avons des coaches made in France, pas des entraîneurs !!
Ces «représentants VRP» de club doivent avoir un nom pour attirer les medias, un carnet d’adresses pour faire jouer les réseaux de copinage, un vernis de compétences rugbystiques, une expression orale fleurie. Leur fonction s’avère donc assez différente du technicien-théoricien qui tente de faire progresser un sport largo sensu et son équipe stricto sensu. «Mettre en place un plan de jeu demande du temps, et donc de la sérénité, ce que n’ont pas les techniciens soumis au besoin de résultats. Le physique devient alors l’arme principale. On limite le nombre de passes pour limiter les risques de pertes de balles, de contres. Les joueurs sont invités à courir de plus en plus vite et longtemps, à pousser de plus en plus fort, et à faire de moins en moins d’erreurs. On en arrive donc à un formatage physique et technique général» écrit très justement François Mazet dans Slate (le 24/05/2013 Les sept problèmes du rugby à XV). Résultat un jeu insipide (rappelez-vous les demi finales et la finale) dénué de toute innovation, voire de toute originalité, fondé sur la réussite du buteur et la précision au pied du demi d’ouverture. Et en équipe de France ce ne peut être mieux puisque l’on recopie les mêmes lancinantes percussions à l’envi avec des joueurs qui pointent dans la moyenne du championnat national, le haut de gamme venant de l’étranger.
Il suffirait aux présidents-mécènes de se doter de préparateurs physiques de grande qualité, de spécialistes de la défense (de ligne et sur l’homme), (d’une bonne pharmacie aussi) pour encadrer leur équipe. Car au delà qu’y a t-il ? Rien, quelques redoublements de passes téléphonés parce que répétitifs, quelques chandelles dans les espaces vides, une ou deux passes au pied. Faut pas être sorti de Marcoussis par l’issue de secours, comme dit mon ami Gustou ! Quand vous avez vingt joueurs qui, à leur poste, sont dans les trois meilleurs du MONDE, vous pouvez mettre n’importe quel « représentant » il fera l’affaire !
C’est sans doute pour cela que lesdits représentants se sont constitués en «syndicat d’experts». Sitôt qu’un poste se libère on fait appel à l’un d’entre eux. Ceux qui restent libres pérorent à la télé en attendant leur tour lors de « tientas rugbystiques » qui sont d’ailleurs montées pour qu’il n’en sorte aucun avis majoritaire, avec autant de «pour» que de «contre» sur chaque sujet. Certains vont jouer les «consultants» lors des reportages de match (Pelous, Lombard, Castagnède, Lièvremont, Dourthe, Garbajosa..) toujours ravis, expliquant l’inexplicable, amnistiant systématiquement l’arbitre, à la limite de indécence. Certains même officient lorsque leur équipe joue (Galthié, Ibañez,) se qui tend à montrer leur relative inutilité. Au pire, ils se casent dans le rôle improbable «d’homme du terrain» en mode comique avec Laguille, mode "Meteo France" (le vent souffle de gauche a droite, il pleut beaucoup), mode «clown» avec Candelon, rôle raréfié par une vague de féminisation. Ils ont d’ailleurs intérêt à s’auto promouvoir dans l’hexagone les «représentants», car à l’exportation on ne se les arrache pas ! C’est un peu comme les Rafales : hormis at home, point de salut !
En conséquences, je n’ai pas vu une vraie innovation depuis belle lurette. L’exploitation intelligente des règles ? Même pas ! Du bon vieux stéréotypé «Ne vòles, nas !»… et gagneront les plus costauds et si ce n’est ce samedi ce sera l’autre. On peut regarder les matches en faisant les mots croisés pour ne pas s’ennuyer. «Le jeu contemporain à beau être envisageable selon différentes formes tactiques, il présente aujourd’hui les signes d’une grande standardisation des méthodes d’entrainement et d’une liberté de décision restreinte pour les joueurs sur le terrain»*. Pourtant, en début de saison, lors des rencontres amicales, lorsque le stress du résultat ne s’est pas encore imposé, les prestations sont plus enlevées, le spectacle plus attrayant. Quelques attaques se développent, les joueurs se laissent aller quelques cadrages-débordements, on a même vu des passes croisées !!.
Je ne dénonce pas, j’évoque! Sans doute de façon un peu outrancière. Toutefois, il faut le faire car le mundillo rugbystique franchouillard reste fermé comme une huître de Bouzigues. Pas de vague, pas de dénigrement, tout va bien madame la marquise. Sitôt qu’un début de commencement de critique s’esquisse (Salviac, Bénézech, Abeilhou, Danièle Irazu,… ) les snipers sont là pour exécuter le zoïle sans semonce ! Y a rien à voir, y a rien à dire ! Laissez-nous faire nos petits tas en paix et tondre nos sponsors en experts. Sponsors ! Le mot miracle ! Ces entités privées ou publiques qui achètent des parts ou des quotas de places qu’elles distribuent aux prospects. Grâce à eux les matches sont pré vendus et le spectacle n’a plus vraiment d’importance, la caisse étant abondée et le public satisfait puisqu’il vient prioritairement boire du champagne, manger du saumon fumé et côtoyer les personnalités locales. «Plus le rugby se mue en spectacle de masse, plus ses dirigeants sont tentés, pour séduire de nouveaux publics générateurs de recettes financières, mais toujours moins connaisseurs, d’accroître l'aspect spectaculaire de leur sport, en augmentant la puissance athlétique, l'intensité physique du jeu et le rythme des compétitions... C’est pourquoi, en définitive, on pourrait aller jusqu’à prétendre que le rugby est un sport de moins en moins populaire, si par “populaire”, on entend un sport que tous sont en mesure de pratiquer»**. Le XV est seulement la septième discipline dans l’Hexagone, loin derrière le football, le tennis, l’équitation, le judo, le handball, le basket, juste devant la pétanque ! Mais, hélas, à la première place du dopage «devant l'athlétisme, le triathlon, ou encore le cyclisme et la natation» (Françoise Lasne, directrice du département des analyses de l'Agence française de lutte contre le dopage). Le rugby, spectacle de marchands et sport de raison, porteur de relents d’apothicaire, je l’aurais voulu comédie conviviale et sport de contrebandiers, fleurant le pressoir de vendanges.
Stop, j’arrête! Je pourrais continuer sur «l’épuration» : pas de placage cathédrale, pas d’entrée en mêlée, pas… « C’est quand même un sport de combat. Il faut arrêter. Bientôt on va jouer à “touché” avec un foulard... » comme dit Xavier Garbajosa ! Sur les «adjuvants de préparation physique» qui remplacent les liquides anisés ou ambrés sous prétexte de police des mœurs !… J’arrête ! Je vais aller voir les corridas de la féria de Béziers où pointent des Miuras cuerniabiertos*** impressionnants. Avec un petit goût amer dans le fond de ma pensée.
Le rugby, c’est un mélange d’opéra, de ballet et de meurtre (Gwyn Thomas), comme la corrida !
* Felix de Montety. Rugby : Pour en finir avec le « french flair ». Slate 06/10/2011** Cyril Lemieux. Le rugby est-il un sport populaire ? Alternatives Economiques. n° 306 - octobre 2011*** aux larges cornes ouvertesillustration interprétée de : www.terra-ignota.fr
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22/07/2013
SOCIÉTÉS GARROTTÉES
Il fut un temps où la société croissait régulièrement. Heureuse époque qui nous donnait des emplois, de la consommation, de la joie,… Certes le cholestérol de l’inflation faisait inquiétude pour les plus pessimistes, mais le risque ne gommait pas les effets positifs. Comment cette période glorieuse a-t-elle virée en piteuse ?
Les « experts » dirent doctement qu’il fallait maigrir, maigrir en tout ! Ligth, lean, anorexique devint la société. On parla de dégraisser, d’alléger, de rationner. Chaque acteur s’est vu culpabilisé, contraint, rabougri ! Il a fallu rogner les budgets, les salaires, les allocs, les remboursements, les livrets A, de façon drastique. Et le supplice n’est pas fini ! L’Europe fouettarde voudrait que nous maigrissions encore plus vite, que nous fassions carême, que nous ne pensions pas même à un petit plaisir.
L’économie garrottée à l’instar de ce supplice qui sévissait en Espagne jusqu’à Franco et qui serrait progressivement le cou des condamnés jusqu’à que mort s’en suive. Le garrot de l’austérité qui, sous des prétextes divers et présentés comme améliorants, étouffe lentement mais sûrement nos sociétés occidentales, pendant que les « émergents » se hâtent de faire de la graisse via une croissance parfois arrogante. Ici, dans nos pays de vieille industrialisation, quand on nous parle de croissance, les gouvernants font bien attention de rajouter « verte » ou « soutenable », oxymore semblable à un cassoulet végétarien ! Les mêmes dirigeants se trouvent réduits à se focaliser sur le degré de garrottage optimum, c’est à dire le niveau qui serre le plus le « kiki » des classes moyennes sans entrainer soit la mort, soit la révolte. Par essai / erreur, en testant des coups par annonce et en revenant en arrière parfois, parfois pas ! En privant de dessert (pardon de télé) ces vilains qui ne veulent pas maigrir assez vite (cf les Grecs). Nous appellerons cela le test de ductilité.
La ductilité « capacité d'un matériau à se déformer plastiquement sans se rompre » ou mieux « caractéristique d’un matériau qui se laisse étirer, battre, travailler sans se rompre ». A ne pas confondre avec souplesse qui permet de s’adapter plus ou moins volontairement aux contraintes imposées. Je me souviens de ma jeunesse lorsque j’apprenais la forge. Le prof (M. Raucourt je crois) nous expliquait bien que la ductilité avait une limite au delà de laquelle le métal perdait ses qualités… irréversiblement.
Dans la société, on observera des comportements de type ductile pour des communautés acceptant une plus ou moins grande déformation avant de rompre. Durant cette déformation, tout en se transformant, l'objet sociétal reste lui-même, conserve son intégrité. Mais « Il est bien évident que si les hommes se trouvent aujourd'hui être si ductiles, c'est que la force offensive personnelle et la résistance intime de l'individu ont diminué par rapport à la pression des autres forces qui s'exercent sur lui. Et, effectivement, la force de chacun a baissé tandis que la force - présentement dissolvante - de tous, s'est accrue dans une proportion dont, grâce au progrès des applications de la science, la démesure n'avait jamais été atteinte auparavant. »*. Cette ductilité éclate sous nos yeux : les affaires (Cahuzac, Guéant, Tapie, Bettencourt,…) qui ne font pas exploser l’opinion, la disparition de pans entiers de l’industrie (sidérurgie, pneus, alimentaire, automobile,….) vécue comme inexorable, les « discours inversés » qui font dire aux ministres le contraire de ce qu’ils dénonçaient (finance, retraite, droit de la consommation,…) ou annonçaient (croissance, pouvoir d’achat, imposition plus juste,…) hier… sans apparemment émouvoir les foules, en sont la preuve vivante. Les services publics, qui faisaient la gloire de notre « modèle », sont largement entamés au prétexte que les fonctionnaires seraient fainéants et inutiles et que le l’Etat ne devrait s’occuper que des choses régaliennes, en contradiction avec de Tocqueville disant « Une nation qui ne demande à son gouvernement que le maintien de l’ordre est déjà esclave au fond du cœur; elle est esclave de son bien-être, et l’homme qui doit l’enchaîner peut paraître. » "De la Démocratie en Amérique"
Nos dirigeants font l’hypothèse de contraindre progressivement sans trop de dégâts au seul prétexte « que l’on ne peut agir autrement ». Le discours partout répété en litanie est celui là, porté par des « experts » choisis qui singent des débats qui n’en sont pas (cf C dans l’air, entre autre). Les autres argumenteurs et argumentaires restent soigneusement écartés des tribunes « populaires » et doivent se rabattre sur le web encore minoritaire en terme d’information publique. Comme si gagner une élection avec une faible participation et une faible majorité conférait tous les droits, notamment celui de détenir la seule et unique vérité possible. D’autant plus que, dans le système de la Vème république, « les représentants », c’est à dire députés, sénateurs, ministres, « ceux qui, dans le fonctionnement de cette structure, apparaissent comme dominants, ne sont eux-mêmes en fin de compte que les relais de cette structure au nom de laquelle ils agissent sans être eux-mêmes les véritables auteurs (auctores) de leur action (actio) ». Avec, en sus, la déception récurrente de celui qui fut choisi comme « recours », Chirac, Sarkozy hier, Hollande aujourd’hui, provenant de la « transformation de la complexion de la société qui la rend désormais incapable de se donner pour chef un homme d'Etat digne de ce nom ; c'est un manque de sens qui lui interdit de porter son choix sur un sage et la voue à de perpétuelles illusions au profit d'hommes médiocres par l'âme, pauvres par les talents et au surplus sans savoir-faire dans un monde où, faute de traditions et de hiérarchie, rien n'est plus conçu pour le développer »**.
Jusqu’à quand ? Si la métaphore de la ductilité marche, je dirais que nous ne sommes plus loin de la rupture. Car la technologie des matériaux implique de s’intéresser à l’intérieur des structures, à leur état dynamique, à l’intensité des contraintes subies, afin de déceler préventivement ce point de rupture. De ne pas nier les fissures, même si elles dérangent (mariage pour tous), de repérer les constantes (nationalismes) même si elles ne font pas plaisir, de gérer les communautarismes excessifs même si cela s’avère scabreux. Mais, hélas, notre organisation institutionnelle faisant que la majorité s’auto protège systématiquement, l’opposition ne peut, dès lors, trouver une place dans le débat sérieux et seuls les comportements radicaux peuvent résister. Le débat ? « TINA » comme disent les anglais, « there is no alternative » (désolé, il n’y a que ça en magasin).
Dès lors, le Front National et alliés, constituent un recours « de rupture » dans le cadre de la ductilité précédente, car la nature profonde des français les empêche de voter « de l’autre côté ». L’autre côté, ce chiffon rouge cher à M. Fugain, que l’on agite toujours pour disqualifier une gauche qui n’accepte pas la social-démocratie ! Comme un tabou que les élites ont ciselé, comme un garrot de pensée, anesthésiant une part de cerveau du citoyen. Soignez-vous, écoutez Leo Ferré mort il y a vingt ans, un quatorze juillet symbolique. Et dénouez votre cravate qui vous étrangle ! « Les élections vont se jouer sur le mariage gay, la légalisation du cannabis, le vote des étrangers, etc. alors que nous sommes au bord d’un effondrement extraordinaire » (J.C. Michéa. Le complexe d’Orphée »). Restons au minimum éveillé, conscients de cet a pic qui nous tend les bras.
* Paul Jeanselme.La Demorcratie. ChapXII. La ductilité de l'homme moderne. Nouvelles éditions latines. 1952.**Mehdi Belhaj Kacem. Pop philosophie, entretiens avec Philippe Nassif, éd. Denoël10:52 | Lien permanent | Commentaires (0)