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04/11/2014

HOMMAGE A UN GRAND ECONOMISTE

La semaine dernière le professeur Robert Badouin s'en est allé discrètement, comme toujours, à quatre vingt dix ans. Son nom ne vous dira sans doute rien car l'homme s'avérait réfractaire à l'avant scène et à la publicité. Agrégé des universités, ce protestant viscéralement attaché à sa terre gardoise a fait toute sa carrière à la Fac de Montpellier… et à Dakar, neuf mois par an ici, deux mois là-bas.  Son expertise, d'abord en économie rurale (il a écrit un manuel qui fait encore référence*), puis en économie du développement s'avérait à la fois originale, pragmatique et humaniste.

Originale, car à une époque où les modèles formels faisaient florès, il prônait un développement intégré, assis sur l'agriculture et l'amendement des structures sociales inspiré de W.A. Lewis et précurseur des thèses du prix Nobel Amartya Sen. A la suite de Rostow, la plupart des systèmes de développement recommandaient une industrialisation de type occidental. Or les nations concernées ne possédaient ni le capital nécessaire pour investir, ni la main-d'œuvre qualifiée nécessaire à leur fonctionnement, ni la stabilité politique garante des investissements,  ni les infrastructures financières et bancaires aptes à "irriguer" le processus. R. Badouin soutenait qu'il fallait faire émerger une dynamique globale dans laquelle toutes les forces vives seraient impliquées, et initialisée par un surplus de subsistances agricoles. La contingence des phénomènes économiques représentait l'ossature paradigmatique de sa conception de l'évolution sociale. Sa connaissance du terrain et de l'âme africaine légitimait ces points de vues "hétérodoxes" qu'il a développés dans une trentaine d'ouvrages, et essaiméBob.jpg dans trois cents directions de thèses. Cet enchâssement étroit de la sciences économique dans la globalité de la vie, lato sensu, il l'exprimait dans son fameux exemple de la chasse au lamantin chez les Sorkhos (peuple vivant sur les berges du fleuve Niger) mêlant légendes, croyances, religion, hiérarchisation des rôles, médecine, nourriture,… pour fonder son concept de développement intégré en utilisant cette richesse traditionnelle plutôt que de la nier, voire l'éradiquer. R. Badouin disait que celui qui oeuvre à un développement de cette nature doit connaître les conditions locales et — bien plus — ils doivent être capables de distinguer clairement entre ce qui est souhaitable et ce qui est pratiquement réalisable. C'est la composante pragmatique qui exclut la planification en ce qu'elle a de normé et de prévisible. Le temps africain possède une métrique particulière qui ne saurait se plier à des programmes précisément scandés. Quant à la dimension humaniste elle était consubstantielle à l'habitus du personnage. Ses références, à savoir l'école de Nîmes (Auguste Fabre, Charles Gide,…) en économie, la morale protestante qui lui avait enseigné qu'«instruire un homme, ce n’est pas garnir un cerveau, c’est enseigner à vivre», le portait à une rigueur paternaliste. Et à un respect des hiérarchies, des normes établies.

Son attachement à la région s'est manifesté par la direction du CRPEE (Centre Régional de Productivité et des Études Économiques) à la suite de Jules Milhau, institution au travers de laquelle il a façonné des générations de chercheurs/acteurs de l'économie spatiale. On retrouvait là les mêmes valeurs mises au service d'un développement intégré régional.

En réduisant la focale, R. Badouin a consacré sa fin de vie à plusieurs études historiques sur sa terre natale de Langlade.

Loin des fastes et des honneurs ce colosse bougon s'employait à donner des enseignements de grande qualité, en arpentant sans relâche les allées des salles de cours "les yeux fixés sur ses pensées".

Adieu Monsieur le Professeur! Merci bwana!

* Économie rurale, par R. BADOUIN. Série «Sciences économiques et gestion ». Librairie Armand Colin, Paris, 1971.

14/10/2014

NOUVEAUX EXPLORATEURS DE GALERE ORDINAIRE

Les émissions télé qui nous proposent la thématique de personnalités allant voir comment ça se passe ailleurs, sont légion. Ainsi, "Les nouveaux explorateurs", "La tournée des popotes", "Rendez-vous en terre inconnue", "Bienvenue dans ma tribu", voire "L'amour est dans le pré"…. tentent de faire mieux connaître un mode de vie différent par immersion. En effet, pour se faire une idée précise de la Chine (de la Laponie, de la Syrie, du Bénin,…..) il faut vivre la bas un mois, au moins, au plus près des populations.

Comment faire le moindre crédit à un individu qui pérorerait sur les pygmées sans avoir jamais mis le pied en Afrique?

En transposant en politique, comment croire compétent quelqu'un qui parle d'agriculture sans avoir tenu une bêche, trait une vache ou taillé une vigne? Qui parle de handicap sans avoir passé quelques semaines sur un fauteuil roulant?... Vous m'allez dire que je fais du populisme, de la démagogie, voire du poujadisme, et que ce genre de propos s'avère facile. Vous m'allez objecter qu'il faut de l'intelligence, le sens du commandement, un certain don de soi,… pour "faire ministre". Qu'il y a des experts pour conseiller… Oui, certes, mais je reste dubitatif sur l'aptitude à piloter un bateau lorsqu'on n'est jamais allé à la mer, ou de parler de la misère lorsque l'on n'a jamais franchi les limites des beaux quartiers.

Tenez, le nouveau ministre de l'économie: Emmanuel Macron. Son père, professeur de neurologie, sa mère médecin conseil, études chez les jésuites à Amiens, puis à Henry IV, cet habitus culturel ne l'a certainement pas beaucoup confronté aux petits maghrébins, aux copains béninois, aux raviolis chevalins, à la misère et au chômage. Ensuite l'ENA, la banque Rothschild,  la fortune (« il négocie un deal à 9 milliards d’euros qui lui permet illico de devenir millionnaire. » Libération, 17 octobre 2012)… Je ne lui en veux pas de son parcours doré – Léon Blum n'était pas né dans les corons! – mais je reste fortement bourdieusien en tenant l'habitus pour essentiel. Je vous ai déjà souvent entretenu de ce concept recouvrant "l'ensemble de dispositions durables, acquises, qui consiste en catégories d’appréciation et de jugement engendrant des pratiques sociales ajustées auxdites dispositions. Acquis au cours de la prime éducation et des premières expériences sociales, l’habitus résulte aussi d’une incorporation progressive de l'agi social ".

Un concept qui colle parfaitement à l'erreur de casting que constitue, pour un gouvernement qui se veut encore socialiste, ce banquier d'extraction bourgeoise. Ce garçon ne fait pas exprès (du moins je l'espère!) de traiter les petites gens d'illettrés ou de vouloir s'attaquer aux acquis sociaux, il possède par nature un regard et un vécu qui joue comme un filtre d'analyse. Pour lui, l'important c'est le déficit comme la rose l'était pour Bécaud. Comme pour les pseudos économistes que Calvi chouchoute dans son émission. Pas un jour sans que ne soient évoqués le déficit budgétaire, la dette et sa conséquence inéluctable, si on n'y remédie pas, celle de l’explosion de l’euro. Bien entendu, tout cela n'est que très partiellement (partialement?) exact, largement exagéré par les médias et surtout centré exclusivement sur l’endettement public excessif des pays européens, hormis l'Allemagne; mais, pour autant, sans qu’on le compare avec, ce qui est sans doute beaucoup plus grave, l’endettement public et privé américain. Sans que l'on évoque la titrisation du yuan par la City qui risque de nous replonger dans des turpitudes spéculatives systémiques incommensurables. Trop compliqué! Mais non, Madame Michu, c'est le déficit qui compte, comme pour votre ménage!3703900325.jpg

Alors, n'en voulez-pas trop au "Mozart de la finance" de s'attaquer aux pauvres et aux classes moyennes. Il ne connaît pas! Alors il croit quand on lui dit qu'il existe plein de chômeurs qui s'en mettent plein les fouilles sans travailler. Il croit quand on lui dit que c'est les seules taxes qui handicapent la compétitivité des entreprises. Il croit quand on lui dit qu'avec la moitié de fonctionnaires tout irait mieux. Si, si, il le croit, parce que son habitus a été structuré ainsi. Et il serre les poings à la une du JDD pour signifier qu'il va combattre tous ces privilégiés! Les banques? Quoi, les banques? J'en viens je sais de quoi je parle! Tout marche bien, je vous l'assure! Et l'Europe? Quoi l'Europe? Il faut se plier aux avis de Bruxelles qui commande. Obéir!

Et cela ne va pas s'arranger avec Jean Tirole* nouveau prix Nobel d'économie! Comme il écrit ladite économie en polytechnicien, version ingénieur des ponts, mention Meuaïti** aucun journaliste ne va comprendre quoique se soit et on va lui faire dire tout le bien qu'il faut accorder aux marchés. Et comme TSE*** trouve une grande partie de ses ressources dans la sponsorisation par de grands groupes (Axa, EDF, Electrabel-GDF-Suez, BNP Paribas,…) il n'y apportera pas beaucoup de contradiction! Encore une "victime" de son habitus!

Alors je rêve que Frédéric Lopez amène Macron, Touraine, Sapin,… vivre une petite quinzaine dans un HLM de Drancy, au SMIC, sans autres prérogatives que celle d'un érémiste. Ou bien dans une ferme de la Creuse ou du Lauragais. Ce que j'appelais "La tectonique des habitus"****  opérerait peut être afin que ceux nous gouvernent et qui se réclament de gauche feignent au moins de ne pas la trahir. C'est moins le traître qui nous trahit que nous qui nous sommes trompés d'ami disait Robert Sabatier (Le livre de la déraison souriante).

*Je vous avais prédit le prix Nobel de Jean Tirole en 2007 (CONTRE L'OBSCURANTISME ÉCONOMIQUE 27/09/2007)
** M.I.T. Massachusetts Institute of Technology de Boston
*** Toulouse School of Economics, dont J. Tirole dépend
**** voir note du 09/09/2009
L'illustration est empruntée à Lasserpe http://lasserpe.blogs.sudouest.fr

21/09/2014

LE BOOMERANG CHAUVE

Les hommes politiques sont maintenant des carriéristes forcenés. Je ne reviendrais pas sur le cas de ceux qui trainent des casseroles grosses comme des cocotes minutes mais qui en font fi pour tenter d'aller plus haut! Les détenteurs de phobie administrative par exemple! Ni sur les maquilleurs de diplômes universitaires. Ni sur les contestataires qui se donnent des limites "statutaires" afin de ne pas trop risquer quant à leur situation financière… Je voudrais évoquer l'aveuglement que génère ce carriérisme et qui, pour raison personnelle, risque de mettre à mal l'intérêt de la France.

Prenez Pierre Moscovici. Cet homme intrigue depuis un bon bout de temps pour accéder au poste de commissaire européen. Certes le postes est attrayant: un salaire mensuel brut de 24.374 euros par mois, comprenant le traitement de base, une indemnité mensuelle de représentation et une indemnité de résidence, auxquels s'ajoute une indemnité de frais d'installations d’un montant de 41.334,40 euros* bruts lors de la prise de fonction puis 20.667,20 euros lors de la cessation des fonctions… et une retraite à vie! Une telle motivation se comprend et pourrait s'avérer légitime dans des domaines comme le climat, l'environnement, ou l'agriculture. Non! Il voulait le cocotier des Affaires économiques et financières et, malgré le veto durable d'Angela, il l'a obtenu. effet-boomerang1.jpg

Mais comment va-t-il se sortir du dilemme de prôner une politique de rigueur à la Juncker alors qu'il a lui-même prêché un certain laxisme quand il était patron de Bercy ? Comment pourra-t-il faire les gros yeux à Hollande qui l'a promu, sans ressentir une petite contradiction? Pierre Moscovici est chargé de la surveillance des équilibres budgétaires, alors même que la France vient d’annoncer qu’elle ne tiendrait pas son objectif de passer sous les 3 % de déficit en 2015, comme promis à Bruxelles. Mosco va devoir tancer son successeur à propos de fautes dont il est coresponsable. Comme le dit un édito de France Inter (11/09) "Il passe de chef cuistot à contrôleur sanitaire. Et sa première mission c’est de venir contrôler les cuisines de son propre restaurant qui ne respectent pas toutes les normes".

Paradoxe? Bof, l'intéressé dit qu'il sera utile à la France pour plaider sa cause. Qu'il va surfer entre "une indulgence qui semblerait de la complaisance, et une approche purement disciplinaire". Mais Juncker rectifie in petto que le français sera étroitement surveillé par Valdis Dombrovskis**, vice-président en charge de l’euro et du dialogue social. Le discours de l'ex ministre de l'économie s'assimile à l'individu qui entre dans une secte en disant qu'il va la faire changer de l'intérieur! Et Dieu sait si Bruxelles s'assimile à une secte rigoriste et cadenassée !

La nomination de Mosco aura un avantage: il permettra de tester qui des pays ou de l'Europe commande vraiment. Certes on ne se fait pas trop d'illusion, mais que peut bien foutre un socialiste (?!?) dans une commission Juncker à droite toute? Quelle est sa marge de manœuvre dans une institution cornaquée par l'Allemagne à l'aune de son propre intérêt? Quand la Relance est confiée à l’ancien premier ministre finlandais, Jyrki Katainen, adepte de la rigueur, les Services financiers à l’eurosceptique britannique Jonathan Hill ou encore l’Energie et le Changement climatique au conservateur espagnol Miguel Arias Cañete qui, selon El País, a des intérêts dans l’industrie pétrolière… on se repose la question du Général pour l'OTAN: la chaise laissée vide par la France permettait au moins de ne pas être complice de choses qui s'avéreraient contre notre "esprit".  Même si je ne suis pas un fervent admirateur de l'homme de Colombey, je reconnais son pragmatisme, certes parfois cynique, et donne à méditer ces mots "Nous pouvons et, par conséquent, nous devons avoir une politique qui soit la nôtre. Laquelle ? Il s'agit, avant tout, de nous tenir en dehors de toute inféodation. Certes, dans des domaines multiples, nous avons les meilleures raisons de nous associer avec d'autres. Mais à condition de garder la disposition de nous-mêmes"***. Avec la présence de Moscovici à Bruxelles nous rajoutons un carcan au carcan car nous ne pourrons pas lui désobéir avec autant de facilité qu'à un autre.

On risque de se prendre le boomerang chauve en pleine gu…. !

  

* si, si, les 40 centimes c'est important!!
** ancien premier ministre letton qui a infligé à son pays une cure d’austérité encore plus drastique que celle subie par la Grèce…
*** Voir "Le 7 mars 1966, de gaulle sort de l'OTAN" par Raphaël Dargent. Espoir n°146 : "De Gaulle et l'OTAN" (mars 2006)