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02/08/2017

PARTAGEURS

Vous connaissez mon ami GUS, ex pilier de rugby et friand d'informations "cultivantes" (sic), que je rencontre de temps à autre. Aujourd'hui il m'a invité au camping de Carnon où, depuis trente ans, il passe l'été avec sa tribu. Il m'accueille sanglé dans un superbe tablier rouge qui met en valeur ses formes avantageuses car il s'applique à sa spécialité: un gros saint Pierre grillé sur de la braise d'aiguilles de pin et badigeonné fréquemment d'un mélange secret d'huile d'olive et d'anisette Gras.

 

GUS. Ah, te voilà Réboussié! Assieds-toi. Aujourd'hui on est en vacances, on a le temps. Alors, prend-le et.. té explique-moi comment se forme l'opinion.

REb. Diable! Tu parles d'un défi!...

GUS. Ouais, mais j'essaie de comprendre la macronite aigue qui s'est emparée de la Gaule! Ce truc sorti des nulle part. Alors vas-y, je te dis que l'on a le temps!….

REb. Bon. Au départ il y a le conditionnement de l'environnement: la famille, le boulot, le club, et tout ce qu'on appelle les A.I.M. (Appareils Idéologiques de Masse) c'est à dire l'école, les medias, le parti, le syndicat,… Tous ces environnements te façonnent plus ou moins pour constituer ce que Bourdieu appelle ton habitus. On fonctionne un peu comme les caméléons…

GUS. … Léon Blum si tes vieux sont de gauche, Léon Bloy s'ils sont de droite!

REb. Ouahh! Tu m'impressionnes!

GUS. Bof, ce Bloy c'est un lointain cousin à moi. De Périgueux. Mais continue.

REb. Au delà de cet habitus qui s'avère le noyau de ta personnalité, tu vas développer une façon de communiquer avec les autres. Façon grande ouverture ou façon autiste, ça dépend un peu de l'éducation que tu as reçue, notamment à l'école, et aussi de la confiance/peur que tu développes des autres. Cette capacité, on dira qu'il s'agit de l'empathie. L’empathie représente la capacité de s’identifier à autrui, de ressentir ce qu’il ressent.  Et donc de COMMUNIQUER avec lui. L'empathie ce n'est pas seulement la tolérance mais une action partageuse*. On peut en donner des degrés correspondant à des relations de plus en plus riches** mais, dès lors, partagées avec un nombre de plus en plus réduit de gens. Pour faire simple plus tu montes plus l'Autre se rapproche de ton habitus. Et vous vous comprenez donc parfaitement.

GUS. C'est ton double en quelque sorte, ton jumeau. Avec lui tu partages naturellement plein de choses! Comme avec toi par exemple.

REb. Exact! Sauf que comme tu te sens bien tu vas rechercher ce type de relation empathique… et délaisser les relations avec ceux qui n'ont pas les mêmes goûts que toi. Jusqu'à te constituer un clan (certains parlent de tribu) avec qui tu t'enfermes progressivement en repoussant les autres "différents".

GUS. Comme les anciens rugbymans qui se congratulent… et critiquent vertement les autres équipes, joueurs, clubs,… Un peu comme nous faisons entre nous!

REb. On appelle ça le "syndrome du tendido siete", du nom des aficionados de ce coin des arènes de las Ventas à Madrid qui sont des puristes excessifs possédant un filtre d'analyse tel qu'aucune faena ne vaut. C'est le syndrome des intégristes de tout poil qui fleurissent de plus en plus non seulement dans les religions mais dans tous les domaines…

GUS. Même pour la bouffe!! Avec les végétariens, les végans…

REb. Je ne te le fais pas dire! En plus, il faut bien reconnaitre que les réseaux sociaux n'arrangent rien. Avant, quand tu habitais à La Manère ou à Trifouillis les Oies, tu avais peu de chance de te faire embringuer dans ces "sectes de pensée". Aujourd'hui, tu te branches sur le web et tu es connecté à un millier d'adeptes, si tu le désires.

GUS. C'est comme ça que les ados se font radicaliser?

REb. Exactement! Car l'empathie restrictive crée une surenchère irrationnelle.

GUS. Ça me rappelle les électeurs qui se sont tétanisés sur Fillon, contre toute logique.

REb. En effet. On peut les appeler des "croyants", ces gens qui ont tellement fermé leur empathie qu'ils sont aveuglés, voire fanatisés, incapables d'accorder le moindre crédit à ceux qui ne sont pas dans la même empathie.

GUS. Les intégristes musulmans, mais aussi cathos, juifs,… qui n'accordent aucun trait partageable aux autres religions, voire aux autres courants de la leur. Tu vois, je commence à comprendre comment se forme l'opinion!! Je commence aussi à comprendre pourquoi la démocratie marche de plus en plus sur la tête!

REb. Un certain Jeremy Rifkin dit, de mémoire***, "L’empathie est l’âme de la démocratie. Plus la culture est empathique, plus ses valeurs et ses institutions de gouvernement sont démocratiques. Moins la culture est empathique, plus ses valeurs et ses institutions de gouvernement sont totalitaires". Tu as donc tapé juste! Comment peut-on envisager une gouvernance démocratique si chacun s'enferme dans un ilot sectaire duquel il réfute et négativise tout se qui se fait "ailleurs"? Cette non empathie primaire (comme il existait un anticommunisme primaire) débouche sur le totalitarisme si l'ilot devient majoritaire. Ou sur la guerre civile s'il n'existe aucun groupe majoritaire…

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GUS. Macron a fait communiquer ces ilots. Je pense donc qu'il a gagné comme ça.

REb. A peu près. Lui a fait de l'empathie intégrative en acceptant tous les autres qui avaient quelque chose à partager, même peu. Ses concurrents ont pratiqué de l'empathie exclusive en rejetant tous ceux qui n'épousaient pas stricto sensu leur position. Méluche a repoussé les communistes et les socialistes apparemment "compatibles". Marine a récupéré Dupont Aignan mais bien tard et c'était trop peu.

GUS. Okéééé! Sa marche… ça marche donc pour l'accueillant Emmanuel! Et il a la clé du succès!

REb. En partie. En partie seulement. En effet il a forcé l'empathie inter partisane en puisant dans tous les réservoirs et en obligeant les gens à se côtoyer pour décider ensemble. Le risque, toutefois, existe dans la reconstitution d'un ghetto d'idées avec des croyants obéissant audit Emmanuel. Ce risque existe par le fait que les habitus sont aujourd'hui bien moins structurés (politiquement) qu'à l'époque bénie des instits missionnaires de la République. Que le devoir d'empathie qui s'appelle, dans cette dernière, la fraternité, reste une bien pâle pratique alors que montent de toute part….

GUS. Hola! Hola! On se calme! Reprend un peu de "jaune" qui est dans le Midi l'huile qui améliore les engrenages de ta fraternité. En fait, moi je crois que les apéros sous le figuier avec de l'eau bien fraiche, de l'arak libanais, des pistaches de Syrie, quelques autres spécialités exotiques, il n'y a rien de tel pour se développer l'empathie! Il faudra en parler à Macron quand il viendra voir Saurel. Mais c'est pas demain la veille!!

REb. Vrai! Toutefois, on a oublié de parler des contraintes. S'aimer les uns les autres, comme disait l'Autre, constitue un bon précepte. Reste à jouer avec les obligations qui nous sont faites, micro et macro socialement.

GUS. Micro c'est les cons et macro c'est les organes puissants?

REb. A peu près! Laissons les premiers (quoique!) et ayons la lucidité de tenter d'échapper aux autres qui détiennent des leviers visibles et invisibles pour nous manipuler. Cela demande du courage et de la perspicacité… Mais il faut reconnaître que le regroupement s'avère indispensable à la lutte, même pacifique. Ce qui ramène aux ghettos empathiques… et la boucle est bouclée!

GUS. Tu me tues! Moi qui croyais avoir trouvé l'explication des choses, je m'aperçois qu'elle enferme dans un cercle vicieux. Alors, il n'y a pas d'issue favorable? Le match est irrémédiablement perdu?

REb. Du moins il n'est pas gagné! Pour garder un mince espoir sans doute faut-il insister sur la qualité des habitus. Former des citoyens ouverts aux autres, capables de chercher davantage ce qui rassemble que ce qui sépare, plus portés au partage qu'à la capitalisation perso. Il ne peut y avoir empathie si l’on n’a pas commencé par se construire soi-même, si on n'a pas intégré la valeur de la diversité, de l'originalité. L'école doit apprendre avant tout à accepter la pluralité des opinions avec lucidité et modestie. Voilà le chantier majeur du temps qui vient!

GUS. Pareil qu'au rugby! Il faut que les gamins apprennent le collectif mais aussi le créatif alors qu'on en fait de plus en plus des robots uniformisés. Je me souviens quand Raoul Barrière disait "Au rugby ce n'est plus je mais nous!", dans son dos, Cantoni ajoutait mezzo voce "Sans oublier je!". Ah! la saveur de la feinte de passe, au moment le plus improbable, ça c'était du jeu. Comme l'anisette dans ma sauce! Mais je m'égare… Allez, amen et à la tienne!!

 

* Ne pas confondre sympathie et empathie. La première est une la contagion émotionnelle positive, L’empathie suppose, elle, qu’on soit capable de comprendre autrui en se mettant effectivement à sa place.
** Le premier de ces étages s'appelle l’empathie directe, puis vient la réciproque et enfin l'intersubjectivité. Pour approfondir cf: Empathie. Sous la direction d'Alain Berthoz & Gérard Jorland. Edt Odile Jacob. 2015
*** pour ceux qui ne s'en contentent pas: Jérémy Rifkin. Une nouvelle conscience pour un monde en crise. Civilisation de l'empathie. Ed. Les liens qui libèrent. 2012

12/07/2017

DESTRUCTION SCHUMPÉTERIENNE

Ceux qui m'ont appelé "macronphile" croyaient sans doute que j'avais emboîté le pas de la marche triomphale. Non! Simplement je pense que la trébouline qui a eu lieu s'avérait implacable un jour ou l'autre. Les partis, leurs idées(ologies), leurs permanents, leur entre-soi,… tout cela devenait d'une obsolescence rare, obsolescence pour régler les problèmes actuels et à venir. Des trois tendances qui s'affrontaient, la libérale a gagné au détriment de la marxiste et de la populiste. Je considère que ce n'est pas pire, toutes les offres - quoiqu'elles s'en défendent – s'avérant aventureuses. Elle possède un sous bassement moderniste, managérial, assez séduisant.

La critique première qui lui est adressée s'exprime par une imprécision, une indéfinition des objectifs et des procédures. En fait, je crois plutôt à un type de "leadership de responsabilisation" qui se traduit par la consigne "Tu vas dire que tu ne sais pas tout et tu vas demander de l’aide" faisant ainsi appel à l'implication de chacun d'entre nous. Cela permet de faire confiance aux acteurs et à leur capacité à comprendre et à intégrer les défis avec leur complexité. Cela change de (l'apparent) mépris des politiques vis à vis de l'opinion et des "gens" consistant à leur dire "la vérité" en les prenant pour un peu demeurés (JLM revendiquant d'apprendre le code du travail à un titulaire de la médaille Fields!). Dans l'attitude d'E. Macron, plus on veut conduire un changement en profondeur plus il faut communiquer sur ce qui ne change pas (le cadre) en agitant le reste (les modalités d'action).

La trébouline donc représente la phase "destruction" de la logique schumpeterienne de l'évolution dite "destruction créatrice". Pour l'instant la razzia macronienne ne peut être qualifiée que de destructrice et dégagière.

Il faudra suivre l'évolution des actes pour mériter la qualification de créatrice. Avec lucidité sans tomber dans le négativisme habituel des partis d'opposition et sans verser dans l'éblouissement béat des "croyants" sans preuves. En effet l'innovation Politique exigée par l'accélération de l'Histoire (avec des majuscules!) ne saurait se satisfaire de vieilles recettes ressassées à l'envi et qui feraient reculer encore notre pays au rang des suiveurs plus ou moins passifs. Les deux derniers présidents se sont contentés de cette posture consistant à tenter de réparer les méfaits de la mondialisation a posteriori, en replâtrant vaille que vaille les fentes, brèches et brisures économico sociales faisant désordre. Privés d'un objectif clair et ambitieux*, hier les détenteurs du pouvoir s'appliquaient au ravaudage des méfaits en terme d'emploi (fermeture d'usines, concurrence déloyale, uberisation, chômage résultant,…), de sécurité (attentats, migrations), de finances (renflouement des banques sans changements), de degré d'acceptation des mutations sociétales (islamisme, incivisme, modes de vie,…). Ils utilisaient une régulation dite passive c'est à dire en subissant les évènements plutôt que par anticipation des évènements.

En regardant bien, pas une véritable innovation digne de ce nom n'a été générée dans les dix ou quinze dernières années. Les opposants, eux, s'acharnaient à invoquer des remèdes de bonnes femmes à base de plus de libéralisme où ou plus de conservatisme, promettant des miracles, ce qui s'avère toujours plus facile dans l'opposition. La logique de ces attitudes reposait sur le paradigme d'une continuité relative, avec un changement se réalisant à une cyclicité variant de Juglar (8 à 10 ans) pour l'économie à Kondratieff (40 à 60 ans) pour le social.

En nous extirpant de ce marais stagnant, la nation s'est jetée dans le grand bain de la liquidité à la Z. Bauman agitée de remous et de rapide. Nous y sommes et les premiers temps de "l'ivresse des commencements" montrent que nous y pagayons assez bien.

Le nouveau président de la République, dans un discours dense et lucide a tracé un chemin dont je retiens "la cause de l'homme" comme finalité directrice. Les instances régulatrices semblent correctement définies, notamment le "jury" du Comité Économique et Social qui me semblait faire cruellement défaut dans sa version édulcorée précédente. Doté de ce "chemin" donnant sens à la régulation, la gouvernance réelle reste en charge des moyens "révolutionnaires" pour faire face en les anticipant aux changements profonds qui déferlent sur le Monde.

Cette phase créatrice de la séquence schumpeterienne, exige une innovation sociale(tale) préparatrice d'un affrontement positif avec les futurs défis, ou du moins ceux qui se dessinent. B. Lussato, dans un opuscule visionnaire, utilise la métaphore des chevaux de l'Apocalypse: le cheval noir (l'intégrisme financier), le cheval blanc (l'intégrisme technologique), le cheval rouge (l'intégrisme égalitaire) et, enfin, le cheval jaune (l'intégrisme bureaucratique). Chacun a une "mission" à accomplir.

Le camp de la cavalerie noire fait de la bonne gestion et permet aux multinationales de prospérer. Le camp rouge suscite les avancées sociales et protège les minorités contre les abus des nantis Le camp de la cavalerie blanche a fait la gloire de l'Occident. Le camp de la cavalerie jaune maintient dans une zone, un pays, une ville, un ordre primordial.  Le "vieux Monde" défend la pérennité de ces attelages en mode individualisé. Leurs adversaires leurs fournissent leurs meilleures arguments en mode "Curiaces": les anti-rouge sont dits racistes, les anti-jaune poujadistes, les anti-noir gaspilleurs, les anti-blanc passéistes et rétrogrades. Ces antagonismes "épuisent" l'énergie des acteurs contribuant à une inefficacité larvée et la bonne conscience de chaque camp s'érigeant inconsciemment en défenseur de ses propres fermetures. On le voit, considérer les cavaliers séparément, c'est s'interdire de trouver des solutions. Si on veut bien prendre le recul systémique nécessaire, on doit driver un quadrige car les chevaux ont tous au fond des objectifs conciliables.

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Nous abordons un monde turbulent dont le mode de production va muter complètement. D'un mode de production des choses répondant au critère marxiste au cœur d'une société animée par l'opposition d'une classe ouvrière et d'une classe capitaliste, on passe à un mode de production du sens opposant une classe de détenteur des données à une classe  usagère desdites données. Le numérique n'est que l'outil de ce bouleversement allié aux algorithmes mathématiques. Cette mutation a débuté insidieusement via les fameux GAFSA aspirant toutes les "datas" et des moulinant dans des systèmes "prédictifs" visant à rendre l'avenir prévisible. Les hommes qui fabriquent, qui rendent des services, qui font les petits boulots - et qui sont encore en mesure d'intégrer les populations étrangères, de former des apprentis voire des citoyens - vont se trouver bannis, ruinés par cette économie de la data. L'épuisement des profits par la massification de la concurrence sur les produits accélère ce nouvel Eldorado immatériel. Les marchés eux mêmes se yieldélisent** en otant au prix son critère optimisant.

Sans préparation d'une régulation anticipatrice, les conséquences de la pérennisation du système actuel de production sont limpides: chômage accru, extrême pauvreté des ex salariés, régression culturelle, règne de la démagogie, égalité dans la misère et la médiocrité, destruction de toute classe intermédiaire entre le groupe des très riches (les sachants détenteurs des outils du sens) et la masse usagère, aliénée et exploitée. Mélenchon - le savait-il? -  a montré la voie avec son hologramme. Demain on n'achètera plus de bouquets mais des fleurs hologrammiques et on nous convaincra qu'elles ont de plus belles couleurs, qu'elles sont moins périssables. Demain les instits donneront place à des MOOCs démultipliés à l'infini, dits plus compétents et plus efficaces. Demain nous ne ferons plus appel à des médecins humains mais à des "médicopoles" soignant à distance. Demain des "logiciels d'assemblage" génèreront automatiquement des romans en réutilisant des morceaux de milliers d'œuvres. On communiquera par twitts squeezant les medias institutionnels… L'argent sera totalement dématérialisé… On annonce ainsi la victoire de la carte sur le territoire***!

La "fin du travail" – mais pas que puisqu'il s'agit du mode de production! - annoncée peut être un peu tôt reste néanmoins une réalité à prendre en compte vitalement. Alors, je crois que nous n'avons pas d'autre choix que d'espérer que le président possède la conscience (il semble), le courage (nous verrons) et le temps (??) de concocter une stratégie rusée pour prévenir cette Apocalypse. Aussi rusée que celle qui a désarçonné les partis jugés immuables, aussi ruptrice que celle qui a provoqué ce point de retournement dans le cours des choses politiques.

Craignions toutefois que "l'annonce au Congrès" ne soit que "le sermon de St Antoine aux poissons" de Malher**** dans lequel, après avoir écouté avec délectation le prédicateur reprocher au crabe de marcher à l'envers, à la carpe sa lascivité, à l'anguille sa malhonnêteté, les poissons s'en furent et reprirent leurs habitudes comme si de rien n'était.

L’invention d’une nouvelle forme politique, un "parti-mouvement" articulant ses différentes composantes de façon souple et non hiérarchique, et exerçant un contrôle institutionnellement organisé sur ses dirigeants et ses élus existe maintenant. Mais, il n’y aura pas de sauveur suprême, nous sommes condamnés à l’imagination pour inventer les outils qui feront vivre la démocratie réelle. (Thomas Coutrot, co-auteur du Manifeste des économistes atterrés).

* ou en changeant en permanence ce qui revient à peu près au même…
** le yield management est une politique de prix qui consiste à proposer des tarifs différents pour gérer au mieux les capacités (réduction des prix pour remplir les capacités ou augmentation des prix quand elles vont être saturées) et maximiser la contribution à la marge. En France la SNCF, les compagnies de transports aériens et l'hôtellerie l'utilisent majoritairement.
*** selon l'expression fameuse d'Alfred Korzybski  
****cité par B. Lussato

30/05/2017

LA TREBOULINE

Trébouline est un mot occitan qui était utilisé pour qualifier l'eau troublée en l'agitant avec un bâton par les pêcheurs de rivière. Cette action dérangeait la faune aquatique et on pouvait ainsi attraper une belle prise… ou non! C'était un risque à courir!

Ce qui se passe actuellement en France ressemble à s'y méprendre à une immense trébouline politique. L'élection d'E. Macron et les péripéties qui s'en suivent agitent les fonds de partis et le néo président espère pêcher quelques gros poissons autrement improbables. Les "puristes" – c'est à dire les militants purs et durs – s'offusquent de ce procédé comme les pêcheurs authentiques le faisaient en tenant la trébouline pour sacrilège… quitte à prendre sempiternellement les mêmes petits vairons ou barbeaux.

Je ne suis pas un admirateur fervent d'E. Macron. Mais ce qui est fait est fait et il faut se résoudre à transformer les cinq années qui viennent en quelque chose de pas trop dét(c)onnant, tant sur le plan économique (ça devrait aller) que sur le plan social et sociétal (ce sera plus difficile). J'entends tous les cris d'orfraie concernant "le Spasme"** et la purge libérale annoncée. Mais je garde en mémoire ce que nous disait Raymond Barthès le sorcier du rugby biterrois : "Il faut jouer LE match du jour avec les conditions du jour. Ceux qui jouent déjà le prochain match sont complétement hors sujet". Le prochain coup reste incertain, problématique, tributaire d'un rapport de forces que nous ne maîtrisons pas. Attaquons-nous à l'actuel de façon pragmatique et autant que possible objective.

Déjà il faut valider le bon accueil international, ce qui représente un atout d'importance. Le monde a été surpris favorablement de l'élection de Macron, Trump puis Poutine ont déjà adoubé de président français. Ce n'est pas rien! L'Europe, après avoir craint l'accession des eurosceptiques, est un peu chamboulée par cette nouvelle donne ringardisant la chancelière et ses ensembles d'une autre époque. Aidé par un FMI qui s'inquiète explicitement de la montée de la pauvreté outre Rhin, peut être E. Macron a-t-il une fenêtre de tir pour infléchir la dame de fer teutonne.

Déjà, à l'issue de la trébouline post électorale, le "tirage" du nouveau gouvernement ne me paraît pas le pire qui eut pu se faire. Certes la nuance apparaît pour le moins libérale mais on pouvait s'en douter. Avec une teinture européiste mais elle était annoncée sans ambages, avec un fort accent vert, Hulot s'avérant le brochet le plus remarquable piégé par l'agitation tréboule.

Le gouvernement né de cette dernière, pesé à l'aune de la dentelle d'Alençon (équilibre des sexes, des âges, des origines partisanes, des extractions, des obédiences maçonniques,…) s'avère un système dont les valences libres* sont multiples, permettant de tisser potentiellement maintes alliances.Tréb.jpg

Alors, je vais accorder un jocker à cet attelage du brochet et du barbeau pour apprécier son action d'ici les législatives qui, elles, mettront en branle une nouvelle trébouline géante!

En outre, concédons que peut être il faut aux structures françaises un peu moins de contraintes, notamment en matière de marché de l'emploi. L'adaptation à la nouvelle donne numérique et robotique exige des relâchements juridiques, une flexibilité aménagée. L'usine à gaz de la protection sociale et des retraites mérite aussi de recevoir un sérieux coup de brosse. Toute cette contrepartie sociale d'une main d'œuvre dont la productivité reste la meilleure d'Europe doit subir une remise à l'heure qui n'est pas obligatoirement pénalisante pour les acteurs concernés à plus ou moins long terme. Attendons de voir la procédure et la latitude autorisée pour la mener et l'attitude des partenaires sociaux pour porter un jugement. N'abordons pas la relance de l'industrie car elle s'avère un chantier ardu exigeant un programme innovateur de longue haleine. A moins que les fermetures massives qui se concrétisent les unes après les autres mettent le feu aux poudres et imposent des réponses immédiates même si elles s'avèrent plus conjoncturelles que structurelles.

Les promesses institutionnelles paraissent devoir être tenues, hormis toutefois le cas Ferrand qui fait tache dans sa similitude fillonesque. A se vouloir jupitérien on doit trancher vite et net, sans tergiverser à l'aide d'arguties que les citoyens (surtout de droite) ne sauraient admettre.

Quant à la fiscalité qui se trouve à la charnière économie/social les propositions macroniennes semblent d'une banalité extrême, favorable plus aux catégories aisées qu'aux autres, allant même jusqu'à différer encore la mensualisation que l'ensemble des pays avancés pratique. Mais ladite fiscalité n'a jamais été une source directe de conflit eu égard au caractère différé des décisions.

Reste le social/sociétal. Sur cet angle les visions avancées par E. Macron sont floues et parfois inquiétantes. L'école, l'université, la recherche et au delà la culture ne semblent pas un terrain privilégié par le nouveau président. A mon avis il se propose de surfer sur les évènements en pariant sur sa bonne étoile. Pourquoi pas! La résilience de l'exception française en la matière reste un bouclier sérieux.

Mais, au bout du bout, le spectre de la trébouline terroriste et des migrations qui s'amplifient, exigent des prises de décisions tant novatrices que pragmatiques. Là, la limite du macronisme apparaît plus dirimante : le côté noir de la force n'est pas semble-t-il, abordé à l'ENA. La guerre structurée et structurante – même revue style Task Force - semble bien inadaptée à la fluidité des conflits new look. La lutte contre la cryptographie semble bien désuète voire contre productive. Il serait nécessaire et urgent que le "petit Prince" en marche se trouve un stratège éclairé sur la gestion de ces problèmes et que la France recouvre une ligne polémologique claire et durable.

Au total, vous l'avez senti, je ne me pâme pas devant la nouvelle gouvernance. Toutefois mon penchant systémique m'incline à ne pas condamner cette tentative de logique contradictoire, de médiations sur les identités et les différences, qui rappellent le génial Stéphane Lupasco***. Aussi je veux faire le pari d'une telle habileté systémique et d'un charisme générant une efficacité que les français n'ont pas connu depuis longtemps. Pari aussi que celui en qui d'aucuns voient la créature des financiers s'émancipe de cette contrainte pour se donner l'ivresse de la réussite universellement reconnue. En parodiant Edgar Morin "Mon espoir, c’est qu’il y a beaucoup de forces vives dans la société française qui bouillonnent. C’est un pays qui veut vivre, et dans le fond, il y a un écran entre le pays et l’administration, les politiques. J’ai un espoir dans les forces vives, mais l’espoir n’est que l’espoir…" (intervention au "Club de la presse" d’Europe 1).

 

* En chimie la valence d'un atome fixe de façon précise le nombre d'atomes auquel cet atome peut se lier. Une valence libre est disponible pour établir une nouvelle liaison.
** surnom donné à E.M. par F. Lordon (le Monde Diplomatique 12/04/2017)
*** S. Lupasco. Logique et contradiction, P.U.F., Paris, 1947.