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02/01/2017

VŒUX 2017

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23/12/2016

MORCEAUX DE VÉRITÉ

Je vous l'ai souvent dit, la stratégie des hommes politiques face à l'économie (et à ses problèmes) consiste au morcellement. A l'instar d'un boucher, ils découpent en parties bien distinctives: cuisse, jarret, filet, paleron,… Ensuite chaque camp "prend" un panier de morceaux pour le traiter, laissant le reste en souffrance ou à d'autres. Dès lors, comme en boucherie, les "riches" (les plus forts) s'intéressent aux pièces nobles à griller ou à rôtir, les "pauvres" héritent des basses pièces à bouillir ou  à braiser.

Hélas pour ces politiciens (et surtout pour nous!), l'économie vraie est systémique et tout se tient, tout est inter relié. Bons morceaux, bas morceaux, triperie, carcasse, peau,… Ce que l'on donnera aux entreprises sera fait au détriment des ménages, ce qui ira aux banques n'ira pas aux universités, ce qui ira à l'armée ne profitera pas à l'hôpital… et inversement. Car nous raisonnons désormais dans un jeu à somme nulle ou quasiment (la croissance économique n'augmentera pas ou faiblement dans les quinze prochaines année). Or, le paradigme de la croissance reste encore l'axiome fondateur de nos dirigeants: lors des débats de la primaire de droite il planait sur tous les discours. Mais il faut se faire une raison cet axiome est caduc. La crise qui s'est installée s'avère une crise de l'industrialisme, soit, pour faire image, celle d'un coureur sur un home trainer: on pédale, on pédale mais on n'avance pas (plus)! La cause essentielle étant que l'on engloutit notre énergie économique dans des dépenses d'entretien, de sécurité ou de prestige* qui ne génèrent que de la compensation et non de la richesse réelle. Les dégâts environnementaux, les remplacements d'infrastructures, les feux d'artifices, les coûts sociaux d'attentats, d'épidémies, guerres ou de catastrophes,... sont dans ce cas.  Un seul chiffre, les 32 milliards de dollars estimés nécessaires pour réparer les dommages causés par la fuite de pétrole BP dans le Golfe du Mexique. Cette sorte de pompe à finances engloutit les apports potentiels de la productivité et des innovations. Dès lors, si de "gâteau" du revenu national réel ne croit pas, soit son partage se fait équitablement de façon consensuelle, soit une catégorie est avantagée et l'autre lésée.

Pour pallier cette limite objective, deux possibilités s'offrent : l'inflation qui, via le revenu nominal, masque la stagnation de revenu réel (mais elle n'est plus en odeur de sainteté) ou les solutions keynésiennes (tentatives de relance) qui ne sont que des pis aller temporaires et qui, en plus, subissent de nombreuses "fuites", notamment "la trappe à liquidités". Arithmétiquement, si les actionnaires exigent des retours sur investissement de 10% et au delà alors que le revenu global réel du pays ne croit que de 1 à 2% il n'est nul besoin de se plonger dans Piketty pour dire qu'il se produit une captation de richesses par ceux qui s'avèrent les plus forts (ou structurés) soit, en l'état actuel, les détenteurs de capital.   

Pour tout arranger, cette crise se double d'une mutation dans le travail vouant à l'échec toute inversion durable de la courbe du chômage chère à F.H.. Via la robotisation déjà et le numérique massif demain, le nombre d'emplois dans le secondaire se réduit et l'emploi tertiaire n'évolue plus. Des protocoles nouveaux émergent (uberisation, dématérialisation, réciprocité, individualisation,..) qui changent la nature profonde de l'activité productive en rendant progressivement le salariat obsolète**.

Une révolution dans le traitement dudit travail est donc urgentissime… mais largement occultée par les politiques qui répugnent à se saisir de ce problèmes qu'ils maitrisent mal (ou pas du tout!). La droite a trouvé la défausse partout proclamée du "coût du travail". Cette obsession de diminuer les coûts paraît d’autant plus étonnante qu’il y a plus de chômeurs que d’emplois à pourvoir.  Or ce coût (qui s'avère en fait des cotisations), s'il est réduit, affectera le revenu national et donc la quantité ou la qualité des services publics. Sauf à augmenter les autres impôts, ou à emprunter, générant des remboursements différés. L'interrelation je vous disais!

A partir de là, certains candidats auront recours à la panacée européenne, voire au mythe de la mondialisation fructueuse. Ces avantages, s'ils existent, ne profitent qu'aux individus dotés d'un capital (d'argent ou de compétences) avec une mobilité forte. L'ouvrier de base ne joue pas dans cette catégorie.

boucher.jpgCertains candidats se défausseront en sortant la baguette magique de "l'économie verte". Même si l'impératif écologique est patent, il faut être réalistes: le coût de maintenance des structures énergétiques actuelles engloutit déjà énormément d'argent et n'incite en rien les dirigeants à financer les investissements gigantesques pour réaliser un renversement de tendance. L'enjeu financier ne garantit pas des retours positifs avant des décennies. Aucun capitaliste n'acceptera de son plein gré une économie stationnaire à faible niveau pendant le temps nécessaire à la mutation énergétique. Seul un pays strictement administré pourrait ceteris paribus entrer dans cette perspective. Le faible engouement sur la réduction des effets de serre et le réchauffement climatique révèle la mauvaise volonté ambiante actuelle.

D'autres sortiront des flots une "économie bleue", une exploitation raisonnée des ressources de la mer. Certes il y a là un gisement non négligeable d'emplois. Mais, outre que l'on s'affronte là au mastodonte chinois,  les compétences mobilisées et les zones de mise en œuvre limitent drastiquement l'impact sur le chômage à court terme.

Aucun ne parlera de la régulation monétaire et des monnaies alternatives qui, pourtant, pourraient contrebalancer les diktats ou dérives auxquels nous sommes soumis.

Ainsi Fillon - puisqu'il fait désormais la une - a trié un ensemble de morceaux dont il donne un accommodement apparemment sérieux, presque inéluctable… dont le traitement conduit à l'évidence à favoriser le groupe des nantis, propriétaires. Sauf qu'il omet de parler de toute une série de problèmes qui, forcément constitueront, le cas échéant, le "carburant" de ses solutions. Sauf qu'il utilise sans le révéler un système qui est au bout du rouleau, qui s'évertue à dire qu'il marche alors qu'il génère à la fois chaos et affrontements. En méprisant carrément l'impératif écologique.

Pour Mélenchon et les gens de gauche, c’est la brutalité de l’exploitation capitaliste et la  relative faiblesse de la classe moyenne, les machinations de spéculateurs sans scrupules et de banquiers voraces, la délocalisation de la production vers des pays à bas etc. qui sont responsables de la misère actuelle de la population active. Certes! Pourtant, en regardant plus systémiquement, on comprend que s’il y a de moins en moins de ressources à répartir parce qu’il est de plus en plus difficile de les extraire au propre et au figuré), alors même dans un monde meilleur avec une classe ouvrière forte, on pourra atteindre tout au mieux une répartition plus équitable, mais pas une prospérité croissante pour tous***. Le réaménagement du partage appelle un conflit majeur avec les détenteurs actuels dont l'issue n'est pas jouée.

Il en sera sans doute de même (le contenu du panier changeant) des autres compétiteurs, sociaux démocrates, FN,… Chacun expliquera qu'il va résoudre le problème de façon séduisante… sauf qu'il s'agira de SON problème c'est à dire celui dont il se sera saisi, avec les morceaux savamment sélectionnés et avec les omissions savamment occultées.

Les prochains six mois vont donner lieu à un pugilat dont les médias vont se délecter en amplifiant, déformant, biaisant…

Tempête dans un verre d'eau, dont je vous fais le pari, qu'elle aboutira à une continuité accentuée pour l'une des parties. Tous parleront les yeux humides, d'un autre monde, mais se feront les gérants d'un capitalisme aménagé (!) dans un détail ou un autre.  L'expression de l'opinion sera une fois encore "digérée" par les pros de la politique pour en faire leur miel.

Personne n'avouera que tout le monde cherche un optimum d'injustice sociale, c'est à dire un état où le degré d'inégalité est jugé supportable et ne donne pas lieu à un désordre public trop fort. C'est pour cela que les référendums font peur: en France (traité de Lisbonne), en GB (brexit), en Italie (anti Renzi) les soit disant "idiots" ont créé du désordre en démentant les soit disant "éclairés.

Lors du vote d'Avril, beaucoup de gens, frustrés et furieux, s'apprêtent à émettre des votes protestataires qui peuvent conduire à des surprises. D'autres, résignées face à l’échec du "bonapartisme" sarkozien et du "socialisme" hollandais préfèreront aller à la pêche. Sciemment ou non il leur manque une perspective systémique (globale et non en morceaux) qui intègre le socialisme pour le partage concerté, l'éthique pour l'affirmation laïque de certaines valeurs, écologique pour assumer la réponse raisonnable au péril qui nous menace dans les errements productivistes actuel et enfin scientifique pour peser les coûts/avantages des innovations.

Mais comme on ne part pas de rien et qu'il faut(drait) que chacun fasse les concessions nécessaires il s'agit d'une utopie… pourtant nécessaire! Sauf à continuer bon an, mal an, à bidouiller l'optimum d'injustice en faisant tourner le mistigri de l'exploitation.

Bonnes fêtes messieurs les "bouchers" !

 

 

*On entend par là les dépenses indispensables au maintien d'un rang international (feu artifice du 14 juillet à Paris par ex)
**cf Bernard STIEGLER.. L'emploi est mort. Vive le travail! (entretiens avec Ariel Kyrou). Editions des mille et une nuits. 2015
***cf Saral SARKAR. Comprendre la crise économique actuelle. Une approche écosocialiste. Publié par Initiative Ökosozialismus. Cologne. 2012

 

23/11/2016

LE GOUT DU GRAS

Pour tenter de ne pas sombrer dans l’avalanche d’avis concernant l’élection américaine, je vais tenter une métaphore culinaire.

Dans un  monde imaginaire qui s'était globalisé, les cuistots avaient progressivement imposé une idée – pour ne pas dire idéologie - dominante, celle de la "nouvelle cuisine". Ils avaient ainsi réduit les portions jusqu’à l’échantillon perdu dans une assiette traitée façon tableau de maître. Ils bannissaient les sauces, trop lourdes, pour préférer les "jus". Peu de beurre, très peu d’huile hormis des huiles d’origine improbable pour assaisonner. Cuisson "moléculaire" à l'azote liquide… et tout à l'avenant!! L'austérité gastronomique en quelque sorte! L'argument majeur, car il en faut toujours un pour justifier des idéologies, fut l'impératif de minceur, canon des femmes lianes des magazines et des hommes d'affaires des pages glacées de Forbes. Bien sûr personne ne disait que ce discours s'adressait aux élites bien nourries et bien nanties (ces menus s'avérant coûteux) en occultant tous ceux qui vivaient dans la zone kebab.

Cette cuisine dite épurée fit d'abord florès dans les lieux chics, pour se généraliser ensuite à tous les niveaux de restauration. Avec à la clef, une culpabilisation du réputé idiot qui n'appréciait pas, voire n'aimait pas du tout. A la manière des gardes rouges assignant subitement Confucius au rang de social traître, un quarteron de chefs séditieux destituèrent le Maître pour enfin, s’en affranchir. Le grand Timonier de la cuisine française, le Phare de la pensée gastronomique hexagonale, le grand Génie des marmites, Auguste Escoffier fut successivement mis en doute, critiqué, puis jugé à huis clôt et finalement liquidé dans une cave, lui et son héritage*. Comme un vulgaire Keynes!

Assiette.jpgRapidement se constitua une élite culinaire prompte à la médiatisation et aux réseaux d'entregent. Les ex soutiers des fourneaux se muèrent en animateurs d'émissions, en donneurs de recettes étoilés, sortant des offices pour parader devant les caméras. Tous parés de références d'écoles ou de maîtres auto reconnus. Evidemment tout cela bien mitonné créa un business d'enfer. La nouvelle cuisine devint un entre soi de spécialistes auto déclarés, un cercle fermé de rentabilité, "passe-moi le sel je te passe le poivre", exploitant un marché de gogos s'extasiant de trois tranchettes de magret surmontées de feuilles de cerfeuil croisées.

Les plus malins se mirent à glisser des tranches de volatiles indéterminés entre celles de canard et des rillettes d'équidés hors d'âge parmi le veau Baylet. Des empires bouffe-hôtels-vins-médias se multiplièrent à l'échelle planétaire, une partie de la Chine et de la Russie s'étant converties à la liturgie gastronomique.

Or la cuisine est un marqueur identitaire fort révélateur d'appartenance sociale, de "distinction", de hiérarchie. Dédaignés par la haute cuisine, la classe moyenne se fractura en sectes: le burger, le kebab, la pizza, le sushi, le tex-mex,…. Voire en chapelles: hallal, casher, végan,… Cet éclatement sociétal exacerba les communautarismes (KKK) (Kebab, Kefta, Keftedes) voire la néophobie alimentaire. Au diffusionnisme historique (diffusion lente des spécialités pour évoluer vers une synthèse harmonieuse) se substitua un repli fanatique rendant le contrôle social compliqué. 

Cette dimension fortement identitaire, cette fracturation des liens conviviaux, fit que les gens - ce que les puissants appelaient de façon un peu méprisante "le peuple" - en eurent brusquement marre de cette austérité portée comme un sceptre. Ils en eurent marre d'être destinés à la paupérisation fast food Mac Donaldisée. Marre de chez marre, d'être stigmatisés pour une épice en moins ou un ingrédient en plus! Car en fait le monde n'allait pas mieux! Sous promesse d'ascétisme, d'austérité bienfaitrice, jamais il n'y avait eu autant d'obèses, jamais le légume (fut-il oublié!) n'avait atteint ces sommets de coût… La cuisine "moléculaire" non seulement ne nourrissait pas, mais en plus rendait malade… Pourtant le gourou de cette pseudo gastronomie, un certain Milton Friedman ayant fait l'école de cuisine de Chicago, restait la référence vénérée. Dans cette fuite en avant, les fanas proposèrent un AFTA (Alimentation Facile Tout Azimuth), d'autres un CETA (Cuisine Élémentaire Toastée et Aromatisée)

Alors un jour où un référendum (un vote) eut lieu, ledit peuple renversa la table d'un très grand hôtel joliment décorée par une hôtesse fatiguée au sourire forcé, trois étoiles dans le G.M. (Gault et Millau ou Grand Marché?) froide comme l'azote liquide. Ils retrouvèrent le goût du gras, lui préférant un "ragoût d'escoubilles"** plat biterrois fait avec tous les restes de la veille revenus à la graisse d'oie.

Mais c'est le problème des révolutions pacifiques, elles donnent un coup de balancier excessif. Le ragoût sus cité n'est pas forcément très digeste, très esthétique, ni obligatoirement adapté à tous les palais. Mais il sonne le tocsin de la fameuse austérité et déconsidération. Il manifeste le ras le bol du fric, du sabre et du goupillon, comme buts majeurs d'une société.

Le sociologue Théodore Zeldin définit la gastronomie comme "l’art d’utiliser la nourriture pour créer le bonheur". Ce bonheur reposant sur des valeurs humaines essentielles : le partage, la convivialité et la fraternité. Sur des besoins humains essentiels : l’identité, la culture, le territoire. Sur des exigences humaines essentielles : la qualité, le respect de l'autre, la transmission. Sur les plaisirs humains essentiels de nos cinq sens : le goût, le toucher, le parfum, l’ouïe et la vue***. Tous les brexits trumpériens rappellent subliminalement qu'une société est à l'image de son assiette. Plutôt que de mettre en exergue les clivages, de déconstruire un élément majeur de la richesse conviviale en sacrifiant l'exaltation des saveurs et du partage à l'excès puritain de l'épuration budgétaire ou cultuelle, ce coup de semonce résonne comme un cri, une supplique pour revenir au cassoulet chaleureux, à l'ouillade plantureuse,… à ces politiques plus promptes aux agapes qu'aux guerres. Il appelle à engager des dynamiques économiques vertueuses au service du développement social ancré dans des valeurs qui rassemblent chaleureusement. Cessons de défigurer notre avenir en déconstruisant ces valeurs pour le prix d'une campagne électorale ou un défilé de mode politique, pour quelques dollars de plus.

A votre bonne table! Cessons de défigurer la réalité sociale. Comme si le citoyen électeur, pris pour un débile, pouvait gober indéfiniment des mensonges de classe. Le vivre ensemble n'est ni un défilé de mode, ni une campagne électorale, ni un manuel d'économie financière. Il est le bonheur de donner à vivre paisiblement à tous, pas seulement à quelques uns.

 

* Stéphan Lagorce. La nouvelle cuisine. En ligne
** les escoubilles désignent en occitan tout ce qui est destiné à finir à la poubelle...
Le ragoût éponyme est constitué des restes de la veille, abats, bouts d'ailes, des légumes que l'on a sous la main… liés avec de la graisse d'oie ou de canard toujours présente dans les resserres de jadis. Délicieux!

*** Carole DELGA. Discours à l’occasion du lancement de la Fête de la Gastronomie. Paris. 5 mai 2015.