compteurs visiteurs gratuits

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

29/03/2018

GIBOULÉES PRINTANIÈRES

Dans l'avalanche de réforme(tte)s lancées par le pouvoir en place on trouve du bien et du pire, à l'instar d'une giboulée de printemps alternant soleil radieux et pluie pernicieuse (voire neige dommageable). Un mot pour dire que "l'urgence" réformatrice provient (sans doute) de la crainte suscitée par les succès populistes  enregistrés dans le landerneau européen, dont le récent cas italien. Dont acte, E. Macron craint de finir comme M. Renzi dont on faisait son jumeau politique, il n'y a pas si longtemps… Pourtant, la dialectique est inverse: c'est à cause de réformes inopportunes et mal négociées que la grogne augmente et donc le populisme, autre mot pour qualifier les pauvres et les mal traités. Or, E. Macron ne possède pas de modèle original quoiqu'on ait pu lui prêter. En fait il se cale sur la gouvernance européenne actuelle* elle même calée sur le système allemand. La critique de ces deux modèles est taboue dans les "cercles autorisés".

Les réformes macronistes internes se classent en deux catégories: celles qui affectent le domaine social lato sensu, et celles qui touchent l'univers économique. Intéressons-nous à ces dernières.Giboule.jpg

Sans entrer dans un détail trop long disons que souvent le motif macronien semble apparemment pertinent…  alors que le financement porte à critique. Selon le stratagème des libéraux, on édicte une limite "infranchissable" (sic) pour orienter l'opinion vers la conclusion proposée. L'obstacle du plafond de déficit budgétaire posé (arbitrairement), les réformes s'avèrent infaisables… sauf à procéder à une redistribution des contributions financières**. L'équation devient donc simple. Comme le Président a décidé de ne pas (ou peu) impacter les hauts revenus… soit on ne réforme pas, soit on fait porter le poids financier de la réforme sur les catégories moyennes. Avec comme stratégie de présenter à l'opinion les "privilèges" indus de ces dernières: retraités dits dorés, cheminots privilégiés, enseignants dits rentés,…

Face à cet obstacle dirimant du financement du changement, il faut lire le bouquin d'Alain Cotta, "Sortir de l'euro ou mourir à petit feu"***. Pour ma part, j'ai toujours considéré A. Cotta comme l'un des économistes français les plus lucides quant à l'analyse du mode de gestion des États. Certes de tendance libérale, mais souvent iconoclaste, il affirme dans ce propos que si la France veut retrouver un tissu industriel, une croissance économique et faire reculer le chômage, elle n'a pas le choix : elle doit sortir de l'Euro. L'inculture économique des hommes politiques européens a conduit à cette monnaie unique qui a couvert des déficits budgétaires de plus en plus importants, jusqu'à ce que la machine s'enraye en 2008.

En rapport, quel avenir pour notre pays? Alain Cotta envisage deux scénarios potentiels : en restant dans la zone Euro actuelle, la France se condamne à avoir un taux de croissance faible, un taux de chômage élevé et à devenir un pays de services, vieillissant et désindustrialisé. Il s'agit d'un scénario offrant au mark toute latitude stratégique et débouchant sur un Euro trop valorisé par rapport au dollar. Un scénario accréditant la victoire du financier sur l'industriel. On pourrait rajouter une austérité orientée, frappant les "communs" (les communs privilégient la valeur d’usage des ressources -  c'est à dire l’intérêt pour les individus et les collectivités - plutôt que leur valeur d’échange  monétisée).

Ou bien elle retrouve une liberté qui lui permet de battre sa propre monnaie, renouer avec la croissance économique qui lui permettra de résoudre le problème endémique du chômage. Cette deuxième option avance la possibilité de revenir à une monnaie commune, basée sur un panier de monnaies nationales européennes**** qui "permettrait de maintenir l’indépendance monétaire des nations tout en soumettant les monnaies à une même référence disciplinaire". Cet abandon de la monnaie unique au profit d'une monnaie commune représente une alternative de plus en plus crédible même si elle a été "brouillée" par les errements discursifs de Marine le Pen. Cette option, massacrée par les théoriciens académiques et dogmatiques, s'avère tout à fait praticable sans les malheurs promis par eux.

En deux mots une monnaie commune sert de référentiel commun pour les transactions internationales et les changes. "En dessous" les monnaies nationales qui s'y réfèrent gardent une liberté de gestion importante notamment en matière de déficit. Elles servent seulement pour les usages domestiques et les échanges avec le reste de la zone monétaire européenne. Dès lors, la Banque Centrale Européenne gère les émissions en euros et les conversions entre euros et devises étrangères. Les Banques nationales gèrent les émissions de leur monnaie et les conversions dans une autre devise européenne ou en euros. Les pays pourraient appliquer alors une politique fiscale autonome mais concertée.

Ce passage à la monnaie commune apparaît bien plus simple et moins coûteux que les bricolages financiers par lesquels, depuis six ou sept ans, on tente de sauver la monnaie unique.

Si l'on ne sacrifie pas le dogmatisme (et les intérêts!) des dirigeants européens actuels, on va donc vers une "petite mort" économique – et donc de notre niveau de vie moyen -implacable.

L'industrie made in France, déjà en parties condamnée, périclitera sous les coups de boutoirs asiatiques ou américains (via notamment les accords bilatéraux). Les actuelles velléités de protectionnisme de Trump annoncent les données de cette guerre. L'agriculture subira, peut être de façon encore plus drastique, cette concurrence "déloyale" quant à la différence des coûts de production et des normes imposées.  Les projets mirifiques tant de numérisation que d'écologisme ne trouveront pas les investissements à la hauteur de la mutation  tant directe qu'indirecte dans la tenaille actuelle de Bruxelles. Il n'est nécessaire que de s'intéresser à la "ridicule" dotation accordée à l'intelligence artificielle pour mesurer l'écart entre ambitions affichées et moyens attribués.

"Le meilleur moyen de rendre l’Europe odieuse, détestable pour longtemps, de faire le lit des nationalismes les plus étroits, est de poursuivre cette politique imbécile de monnaie unique associée à une « concurrence libre et non faussée » qui fait se pâmer de joie ceux qui en profitent, Chinois, Américains et autres BRICs" nous assénait Bernard Maris (Alternatives Économiques du 20/04/2014). 

Les giboulées de ce printemps feront-elles plier la verticale certitude macronienne? La tâche populiste droitière qui peu à peu grignote l'aire européenne lui fera-t-elle abandonner la ligne euro-bureaucratique qui l'anime pour retrouver quelques repères plus inclusifs quant aux différentes catégories sociales?

 

* Le rêve-projet de Macron concernant la réforme européenne quant au pilotage économique et financier s'est heurté au veto de la chancelière (et des pays du Nord) et donc tout continue comme  avant.
** la dernière alternative réside dans la vente de grands équipements publics, hier autoroutes, demain aéroports.
***  voir également S. Ohana, Désobéir pour sauver l’Europe, Max Milo, 2013. et  T. Porcher, Traité d'économie hérétique : Pour en finir avec le discours dominant. Fayard. Mars 2018 **** à l' instar de l'ECU

05/03/2018

BARAK MACRON ET DONALD WAUQUIEZ

Suite à de nombreux commentaires sur les offs de Laurent Wauquiez ce que je vais décrire pourrait être les prémisses d'un mouvement droitier dont l'écume explicitée aujourd'hui s'avère trompeuse. Beaucoup desdits commentaires fustigent la légèreté (la vulgarité, la perversité, la…) de l'homme à la parka rouge et/ou sa radicalité déplacée en lui prédisant un avenir improbable. Peut être… quoique… restons lucides!

L'élection de E. Macron a répliqué en France (avec le décalage habituel) à celle de B. Obama quant aux raisons majeures du choix. Pour faire simple, la préférence des votants est allée à une vision "modernisée" (youngster, punchy, cool, new look, hight tech,…) aidée par une logistique marketing de grande envergure. Ici comme aux US cette image renouvelée du politique a séduit d'autant mieux que l'on sortait ainsi d'un vieux monde musty (vieux jeu) ayant usé des combinaisons jusqu'à la corde. Un vieux monde fractionné alors qu'ils proposaient, l'un et l'autre, un "enmêmetemps" d'inspiration systémique. Obama incarnait une nouvelle vague de politique clean et équilibrée. Sauf qu'au bout du compte les américains se retrouvent avec un Donald Trump vainqueur des urnes.

Ici, Emmanuel Macron a pris le même chemin électif, jouant sur le moderno-jeunisme, social mais pas trop, pourfendeur des vieilles badernes partisanes.

Fort de son succès, Macron joue maintenant au réformateur tous azimuts et à toute vitesse. J'éviterai de lister tous ces changements entrepris pour éviter de donner le tournis après la trébouline*.

Sauf que l'enmêmetemps systémique qui (m')avait fait espérer de nouvelles pratiques plus holistiques (globalisantes) n'oubliant pas les dimensions humaines au profit des dimensions économico-comptables, se traduit en vérité par un usage pervers. Enmêmetemps macronien consiste à concentrer le temps, à faire comme si les transitions nuisaient au changement. Dès lors, l'accélération des mutations (statuts, écoles, agriculture, énergie, transports, émigration,…) fait exploser la capacité de bonne volonté de nombreux acteurs concernés. En politique il faut laisser le temps au temps, comme disait l'autre, sans brusquer (voire violer) les situations. L'accélération ne se supporte que lorsqu'elle s'avère rémunératrice en argent ou en position sociale. Lorsqu'elle n'est donc pas un sacrifice!

Or, les changements actuels imposent ou imposeront des sacrifices à de nombreuses catégories se situant dans ce que l'on nomme "les classes moyennes": fonctionnaires, paysans, retraités, petits commerçants,… On retrouve le fameux ex ante/ex post déjà cité dans la note précédente** sans que le délai de retour sur sacrifice soit clairement exprimé et, enmêmetemps un bonus pour d'autres classes jugées (à tort ou à raison) plus favorisées. Quant à la justification  donnée elle reste du niveau de thèses plus ou moins éculées pour avoir foiré dans le passé (ou ailleurs).

Le projet macronien semble donc vouloir brûler les étapes d'une numérisation de l'économie de façon à prendre de l'avance sur la mutation inéluctable en faisant de la France le premier de cordée européen. Mais pour cela il eut fallu signer un pacte de progrès avec les syndicats avec, pour le moins, une flexisécurité concertée. Il eut fallu compenser pour les agriculteurs la mutation vers le bio et les pertes temporairement subies. Il eut fallu trouver avec les profs et les étudiants des bases acceptables d'application de la nouvelle sélection via un bac étiolé et un Parcoursup contestable. Il eut fallu ne pas faire penser que l'enseignement public, de la maternelle à l'université, allait devenir un grand marché (juteux) de l'éducation.

Il eut fallu… mais les négociations piétinent voire n'existent pas. D'où une grogne qui se généralise en obligeant le gouvernement à jouer au pompier-incendiaire avec plus ou moins de bonheur.

C'est ce type de mécontentement affirmé ou rampant, méconnu ou dénié par le pouvoir, qui a conduit à l'élection de D. Trump. C'est le même qui a apporté au Brexit une majorité inattendue.

En réfléchissant un peu on perçoit tous les éléments contributifs à la surprise des élections américaines ou anglaises qui se mettent en place en France. Alors que les "élites sachantes" jouaient du déni d'une possibilité de ces énormes surprises, les courants de fond les ont concrétisées dans les urnes. Comme ils ont porté (entre autre) Ménard à la mairie de Béziers et son épouse à l'assemblée. Comme ils viennent de se manifester en Italie!

Celui qui a récupéré les vestiges de la droite française, le normalien,  énarque, major agrégé à la parka rouge délavé, sait analyser le marché politique. Les morceaux de la droite BCBG s'avèrent quantitativement bien maigres suite aux trous d'air Sarko, Juppé, Fillon et cie***. Pour accroitre la part de marché de voix, il ne peut guère espérer mordre sur un centre-droit droit récupéré solidement par Macron. Reste donc deux groupes potentiels à attirer: les frontistes exaspérés par la pantomime lepéniste nourrie d'errements vis à vis de l'U.E. d'une part, et les "plus rien à faire, plus rien à foutre" décrits par Brice Teinturier de l'autre.  

Wauq.jpgL. double V. la joue donc dans le registre populiste afin de donner consistance politique (et surtout électorale!) à cette vague qui va du désagrément à l'exaspération. Ayant appris du macronisme la nouvelle donne transpartisane, il espère attirer dans son escarcelle, à l'instar du trumpisme, ceux que l'on méprise, ceux que l'on abandonne, ceux qu'on leurre,… en un mot les insatisfaits du régime. Certes, ils viennent d'une gauche modérée qui ne se retrouve pas dans l'insoumission mélenchoniennne, de la gauche communiste irritée par cette dernière, de la droite banale qui reste porteuse d'une forte frustration du "vol des élections présidentielles", de la droite dure qui trouve en Wauquiez les ingrédients frontistes sans en subir l'opprobre… Mais pas que! L'élection de Trump résulte de la mobilisation d'une part de l'électorat que l'on n'attendait pas comme votants. Les humbles, les gueux, les obscurs, les oubliés du partage des richesses que l'on dit fructueux… pour d'autres. Ce cortège des ombres du capitalisme new look, celui qui est passé des hauts fourneaux aux bureaux hyper informatisés, celui qui s'est mué en vampire des profits, celui qui est en passe de sacrifier l'école républicaine à une école castratrice, celui qui banalise les empreintes territoriales… Cortège improbable d'effrayés par la mondialisation, l'avenir et la perte des repères, tétanisés par la vague attendue d'émigration cosmopolite et allogène. En fait tous ceux qui se moquent de celui qu'ils élisent pourvu qu'ils se vengent de ceux qu'ils tiennent pour responsables de leur infortune. "Laurent Wauquiez est dans une opération à la Trump où il s’agit de scandaliser pour exister et pour fédérer les troupes", explique le politologue Philippe Moreau Chevrolet, président de MCBG Conseil. L’avantage d’une telle parole est d'avoir un impact émotionnel immédiat chez l’auditeur. Le choc provoqué est ensuite relayé maintes fois par les médias.

Voilà le pari de Wauquiez qu'il ne faut pas prendre pour un idiot, qu'il ne faut pas négliger comme les US ont négligé Trump.

Ce que certains prennent pour des erreurs, des bourdes, ne s'agit-il pas d'éléments de différentiation (je ne suis pas comme les autres, je parle vrai, j'assume,…) comme ce dernier a procédé au début? Les diatribes contre la presse aux ordres qui le ciblerait volontairement ne rappellent-elles pas la stratégie trumpienne?

Nous verrons si l'homme possède l'épaisseur du président américain. Nous verrons s'il arrive à s'extraire de son passé politique pour apparaître avec les habits neufs d'un Don Quichotte moderne crédible. Si les Sancho Pança qui l'accompagnent tiennent leur rôle sans faillir. Mais ne mésestimons pas le projet wauquiezien tant le moment semble propice pour fédérer l'armée des "rien à perdre"****. Un regard au delà des Alpes doit nous préoccuper… Les européennes donneront une première évaluation du coup de poker du président des LR.



* voir : LA TREBOULINE 30/05/2017
** voir : (R)ÉQUILIBRATIONS 14/02/2018
*** On peut tout de même retenir que cette hécatombe marque clairement la droitisation de cette partie de l'opinion.
**** LW recueillerait 25% d'opinions favorables chez les agriculteurs

14/02/2018

(R)ÉQUILIBRATIONS

Si on prend l'histoire longue, la quête des sociétés a été avant tout l'état d'équilibre. Bien sûr dans les systèmes traditionnels mais aussi dans la phase moderne. Ainsi l'amélioration des conditions de vie se faisait par accumulation d'expériences et par l'introduction raisonnée de nouvelles connaissances. Lentement mais sûrement. C'est à partir de la seconde moitié du siècle précédent que l'on a introduit la notion de croissance, l'équilibre recherché devenant, dès lors, un "sentier équilibré de croissance" (Solow).

Équilibre entre d'une part les producteurs et les consommateurs, entre le travail et le capital d'autre part, entre les entrepreneurs et les banquiers enfin, s'effectuant  via le(s) marché(s).

L'esprit français se satisfait assez bien de ce parti pris "équilibré" exigeant une gouvernance mi figue mi raisin agissant par équilibrations plus que par régulation. Certains diraient que cela reflète le manque de courage des dirigeants pour assumer une véritable stratégie régulatrice marquée.

En effet cette dernière exige un parti pris affirmé, donc courageux puisqu'il admet le risque de l'erreur (sans y croire bien sûr!). Il faut choisir explicitement entre autocratie et démocratie, entre Marx et Keynes, en un mot entre des idéologies. Courage aussi de s'inscrire dans la durée puisque les choses ne s'équilibrent pas dans l'instant comme l'a affirmé l'école de Stockholm en introduisant le décalage entre le déséquilibre ex ante et le rééquilibrage ex post (Lunberg). Courage de tenir bon tout au long de ce délai qui dure parfois… longtemps, plus longtemps que le temps politique scandé par des échéances électorales. Courage in fine de "parler-vrai" (parrhèsia) en annonçant clairement des choix.

A l'inverse, le centre sied bien à la gestion sans engagement, un peu molle du genou pour ne choquer personne, godillant pour ne pas dériver d'une ligne de récupération maximale d'opinions, favorisant un camp puis l'autre comme indiqué dans le marché politique. Théoriquement, comme l’évoquait Maurice Duverger*, tous les partis sont attirés vers le centre pour se permettre de recueillir un plus grand nombre de voix.

Foin de régulation, repli donc sur l'équilibration parfaitement illustrée par les fameuses politiques de "stop and go" de l'époque giscardienne prolongées sous Raymond Barre. Selon François Perroux, les équilibrations sont "un processus social tendant à un équilibre acceptable alors que d'autres tendances reposant elles-mêmes sur d'autres forces tendraient à rendre plus intolérables les tensions". Depuis l'après guerre on vit sous ce régime malgré les colorations droitières ou gauchisantes que les partis au pouvoir ont voulu s'accorder tant sous la IVème que la Vème. Chaque fois (Pompido u, Giscard, Mitterand, Chirac, Hollande) – Sarkozy s'étant situé plus clairement d'un bord – on a observé des coups de rames successivement d'un côté puis de l'autre. Cet art du louvoiement  consiste, selon Littré, à "porter le cap d'un côté, et puis virer de l'autre pour ménager un vent contraire, et ne pas affronter les risques de navigation"**.

Equil.jpgLe sous-bassement du macronisme s'inspire d'une conception "centriste" tentant de ne pas trop laisser la balance pencher d'un côté selon le fameux "en même temps", cherchant la concorde entre la gauche et la droite, promouvant ainsi la fin des grands partis politiques et des grandes idéologies.

Fort bien, le principe a séduit les foules et écarté les engagements fermes à gauche (Mélenchon) et à droite (Le Pen) d'autant mieux qu'ils s'étaient un tant soit peu radicalisés.

Les premiers temps de l'embellie passés, la trébouline*** se dissipant, il faut reconnaître que le bateau gite à droite, côté capital. Un peu trop pour que ce ne soit pas repérable par l'opinion, un peu fort pour que les dégâts collatéraux n'atteignent pas des catégories sensibles. Et ceci trop profondément et trop durablement rompant dès lors le mythe du consensus centriste.

Déjà, en se dessillant, l'opinion s'aperçoit vite que les ministres choisis sont faits du même bois issus de l'arbre ENA branche Polytechnique exfiltrés des partis honnis sous le sceau de "personnes expertes de bonne volonté". Cette bivalence ou interchangeabilité provient du fait que le centre représente de 15 à 20 % du corps électoral français (plus ou moins) mais génère pourtant 80 % du personnel politique et du logiciel qui l'anime. Hier, dès qu'un camp gagnait il s'empressait de faire une politique digne de l'autre camp pour afficher une "objectivité de gestion" par ailleurs fallacieuse. Avec Macron ce sont les hommes qui se sont (re)définis sous l'étendard de l'enmêmemetemps marqueur premier du centrisme.

Ensuite, dans un première phase, la politique extérieure a été privilégiée. Elle convient parfaitement à l'exercice centriste en enfourchant les grands courants dominants. Le président Macron s'est ainsi bien positionné sur l'échiquier international, avec un certain opportunisme, il faut le reconnaître.

Mais ce faisant il a laissé l'intérieur aux mains de gens marqués à droite (Philippe, Le Maire, Darmanin,…) qui ont du mal à se situer face à des situations conflictuelles non prévues: EPAHD, Gardiens de prisons, Primes zones défavorisées, migrants, impact de la hausse CSG,… et des situations conjoncturelles dramatisantes: inondations, justice, Corse,… situations contingentes à un discours plombant "de gouvernement des riches pour les riches".

Et à ce stade on s'aperçoit progressivement que le projet de Macron relève, lui aussi et surtout, d'un schéma de centre technocratique. Suppôt des riches s'avérant une qualification un peu courte, il faut lui préférer la thèse selon laquelle il s'avère vital pour l'économie d'un pays de disposer d'une périphérie précaire pour consolider le centre actif et moteur (modèle dualisme: Piore, Berger, Sabel). Selon cette grille de lecture, les décisions du gouvernement sont limpides: elles tendent à opérer un transfert des charges de façon à alléger le centre en pénalisant la périphérie… ex ante (maintenant), en supputant le fameux ruissellement ex post (après coup). Le hic réside dans le délai de "retour de richesse" qui n'est jamais complètement daté (il ne l'était pas davantage dans le multiplicateur des Insoumis)… ni garanti! Chaque précaire anticipe des "trajectoires à la Sisyphe" que l'on a observé dans le Nord et l'Est. On soulève là la différence essentielle avec la flexisécurité scandinave qui assure (ou du moins amortit) les nuisances générées par les "transferts" durant ce délai d'adaptation. On comprend aussi que les 25.000 précarisés de Carrefour ne se sentent pas vraiment sécurisés en attendant le retour du soleil! L'hypothèse macronienne d'une solidarité asynchrone supposant que certains devraient sacrifier le présent pour bénéficier d'un futur positif ne pourrait fonctionner que si l'accompagnement du temps d'ajustement s'avérait acceptable. Sinon (et c'est le cas le plus fréquent) les obligations de l'urgence (se nourrir, payer les factures, élever les gosses,…) rendent la faisabilité de cette idée technocratique de "délai de reconversion" insupportable. Plus généralement cette impossibilité joue dans tous les cas de promesses faites à une classe modeste. Le projet de E. Macron d'une drastique mutation de l'économie et des rapports sociaux se heurte à cet obstacle majeur. L’implication collective des travailleurs dans un processus de changement profond ne peut apparaître que s’il existe une solidarité de destin négociée entre les firmes et leur personnel. Or ladite solidarité reste un concept technocratique de décideurs qui ne connaissent pas eux mêmes la précarité.

Ce projet-discours de changement qui a bluffé les électeurs las des petits arrangements franco-allemands face à la mondialisation,  s'avère à mon sens infaisable ceteris paribus. La barre est trop haute et l'élan trop court. Le navire France est lourd et peu agile. Le timonier va se trouver très rapidement confronté à l'impératif d'équilibration lui qui rêvait sans doute d'horizons plus larges. La croisière en haute mer se réduira à du cabotage à vue dans les marécages de la cuisine de promesses qui n'engagent que ceux qui y croient!

Mais ne culpabilisons pas trop!

Le Monde entier est centriste, attentiste. L'environnement, le réchauffement de la planète, les OGM, le nucléaire, les perturbateurs endocriniens, le glyphosate,… autant de "tapage en touche" des dirigeants mondiaux. La prochaine crise financière est inévitable car les mesures nécessaires n'ont pas été prises. Les alertes du Club de Rome datent de 1972… sans grands effets…

Le premier outil nécessaire à la gouvernance et à la régulation c'est le courage (cf Cynthia Fleury: La fin du courage. Fayard.2010). Le leadership politique, lui, se nourrit d'équilibrations fuyant les vrais enjeux sociétaux pourrions nous ajouter.

 

* Maurice Duverger est une figure majeure du droit constitutionnel. Cf Institutions politiques et
droit constitutionnel (I. Les grands systèmes politiques et II. Le système politique français)
PUF.1970

** Seul peut être Pierre Mendès France pourraient échapper à cette critique de louvoiement.
*** voir note précédente "La trébouline" 30/05/2017