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03/11/2017

POUCE-POUSSE*

S’il est un fait acquis en économie c’est bien que les acteurs sont rationnels. Tout l’échafaudage de l’économie classique et néo classique part de cet axiome (paradigme), ce qui permet de modéliser et, ensuite, de mathématiser les décisions qu’elles soient individuelles (micro économie)  ou collectives (macroéconomie). Avec ce parti-pris, on a fait de cette "science" l’alfa et l’oméga de l'argumentation politique. La dynamique des idées se nourrit bien plus de taux, de budgets, d’équilibre, de déficits,…. que de sociologie, sans parler de philosophie. L’homo eligens (l’homme qui choisit), icône du libéralisme, se représente dans la figure d’un consommateur-épargnant ou d’un producteur-investisseur complètement raisonnable ce qui permet de construire de belles théories avec de belles équations savantes.

Or, paradoxalement,  le prix Nobel (ou plutôt de Prix de la Banque de Suède en Sciences économiques) de cette année, Richard Thaler**, a détruit ce "merveilleux" conte. En effet il affirme, lui, que "des biais cognitifs " sont le lot commun desdits acteurs, comme l'observe le premier quidam venu. On pourrait logiquement en conclure qu’il a ainsi sonné le glas de toute l’économie fondée sur le principe de rationalité.

L'économie ne serait plus une science exacte et la fameuse main invisible du marché serait affectée d'un Parkinson improbable. Vous imaginez le séisme!  Sauf que son discours issu de l’économie comportementale n’a généré pas même une petite tempête tropicale. Les grands esprits ont convenu de cet obstacle et… décrété qu’il conviendrait donc de "tutorer" ces aberrations.

Tutorer simplement, ce qui exclu l’idée d’économie dirigée, ce diable honni par les libéraux même timorés, du moins dans leur discours. Non, on dit seulement que l’État (ou son émanation) a l’obligation de "donner un coup de pouce" (nudge en anglais) à l’acteur économique pour qu’il retrouve l’ornière de la rationalité qu’il s’apprêtait à éviter. Dès lors les décisions prises à l'emporte-pièce sous le coup de l'émotion, ou d'une méconnaissance des choses (asymétrie de l'information) sont soit empêchées (loi) soit influencées (fiscalité positive ou négative) pour qu'elles ne viennent pas fausser et perturber les soit disant "lois" économiques. L'économie y perd en autonomie, la politique y gagne en pouvoir d'action. Légitimé par cet effet Thaler le gouvernement (quel qu'il soit) va pouvoir s'en donner à cœur joie pour subventionner ceci, taxer cela, favoriser tel secteur, bloquer tel autre,… On comprend mieux en conséquences, l'avalanche de coups de pouce qui poussent les acteurs "dans la bonne direction"! Faites un tour rapide de votre vie quotidienne et vous allez voir que quasiment tous vos actes sont ainsi poussés: le loyer (aide au logement, HLM, APL,…), l'essence (diésel), l'énergie (chèque énergie, éolien), les médicaments (SS), le péage, la nourriture bio, le coca,… De même pour nos usages financiers: épargne (livret A, Assurance vie,.. ), investissements (voitures électriques, loi Pinel,…).

Au total on évolue – sans l'avouer ni le reconnaître - dans un système dirigiste (ou administré) dans lequel, l'État s'immisce partout, en usant de coups de pouce,  pouvant aller jusqu'à l'interventionnisme direct. Pour justifier cette dernière attitude il prétexte, certes,  la gestion des biens collectifs purs (au sens de Musgrave) qui lui revient de droit, mais aussi de "biens méritoires" qui répondent à certains besoins jugés suffisamment importants pour que cet État prenne en charge leur satisfaction. Or, lorsqu'il subventionne un bien particulier – plutôt que de simplement transférer de l’argent au consommateur potentiel - il décide à la place des individus ce qu'ils doivent consommer. Il se rajoute donc une dimension paternaliste au dirigisme. Ce n'est plus un coup de pouce mais une consommation forcée (force feeding).Avec l'accumulation de ces interventions, le fonctionnement économique s'en trouve largement encalaminé, rigidifiant les échanges, les marchés en allant même jusqu'à contrarier la logique naturelle des flux.Ce type de système peut marcher, voire même s'avérer efficace, à certaines conditions.

Avant tout, il faut résoudre le préalable de la rationalité prise en référence. En effet il n'existe pas une rationalité transcendantale qui s'imposerait ex nihilo. La rationalité s'avère toujours le produit d'une idéologie qui la pose et la justifie. Quand Thaler parle de coup de pouce, il entend "afin d'infléchir la décision vers une norme jugée rationnelle". Toutefois, comme personne (et aujourd'hui moins que hier) ne définit le projet de société dont la rationalité serait le sous produit contingent, le nudge relève d'un parti pris sans que ce dernier ne soit connu de celui sur lequel on l'applique. Et si le coup de pouce nous poussait vers le précipice? Ou vers une situation inacceptable? Vers une catastrophe?Nudgé.jpg

Ce flou dangereux, les citoyens électeurs français l'ont ressenti et "dégagé" les dirigeants  qui le perpétuaient. Sans se garantir que les nouveaux maîtres seraient plus finalisés et plus explicites sur cette finalité. 

L'astuce du macronisme a été, à mon avis, de donner en défausse à cette vision garrottée, une finalité éco-gestionnaire new look, en occultant soigneusement la finalité sociétale (en avait-il une?). Une majorité de français avait conscience de l'empilement régulateur qui étouffe le pays selon une métaphore largement utilisée. Elle a donc adhéré à une présentation "managériale" de la gouvernance apportant moins de dirigisme mais plus de coaching, et où les nudges seraient délivrés avec parcimonie mais puissance. Selon cette logique on supprime des intermédiaires (au sens large), des médiations, des relais,… toutes choses jugées contraires à la fluidification des flux. On supprime aussi quelques nudges ne paraissant pas opportuns. Le prix social à payer réside dans la perte de protection (au sens noble et au sens négatif) qui tombe brutalement sur le jeu traditionnel des acteurs économiques. Qui dérange. La chose relève d'un coup de… pied au cul à ceux qui se planquent dans les méandres du dirigisme rigidifié. Ou d'une poussette aux investisseurs afin de les débusquer des tanières immobilières où ils stagnent. Pourquoi pas? Mais pour construire quoi? Flexibilité comme crédo. Mais que veut dire ce mot pour toute une catégorie d'individus qui n'ont ni le QI, ni l'envie, ni parfois l'âge d'enfourcher le pouce tendu, formation ou autre palliatif? Il ne s'agit pas de déconstruire mais aussi et surtout de reconstruire une société plus……, mieux……, mettez les qualificatifs qui vous plaisent.

Actuellement on se trouve entre deux "eaux": la fuite en avant aventureuse des LRM et le maintient dirigiste des Insoumis. En rendant la société plus agile (mot à la mode!) la seule cible visible d'E. Macron consiste à placer un peu mieux la France dans le concert européen, voire mondial. Courir avec les autres, si possible dans le peloton de tête, mais sans projet humaniste clairement assumé. Ou bien un projet conciliant avec les "puissants" par le biais d'accords ou de traités internationaux (U.E.,CETA) jouant le rôle de défausse de responsabilités***.

A l'autre bout, pourquoi pas tenter de resocialiser avec Mélenchon! Mais alors il faut mobiliser la seconde condition, au moins aussi importante, qui s'inscrit dans un puissant contrôle des actions d'assistance. Gouverner selon un dirigisme appuyé et des redressements musclés implique ce contrôle extrêmement rigoureux. La Chine fournit un exemple parlant de ce "modèle" en réalisant des performances en terme de croissance économique de 6 à 7% par an. Ce "socialisme aux  caractéristiques  chinoises" de Xi Jinping s'avère aujourd'hui exportable. On peut même avancer qu'il préfigure parfaitement le capitalisme occidental de demain à condition que le dirigisme occidental accepte de s'appuyer sur la vérification que les injonctions soient appliquées strictement. On nous dira que ce n'est pas notre culture. Mais l'un ne va pas sans l'autre sauf à fantasmer.

On nous dit que tout change ou va changer. Je crois comme Marx que les conditions de production seront plus maitre d'œuvre dudit changement que les discours des hommes fussent-ils gouvernants. Ces derniers s'agiteront dans le décor, un peu comme des acteurs de théâtre d'une pièce hypermoderne dont le public ne saisit pas vraiment le sens de l'intrigue. Une intrigue sans raison! Quand la question des moyens évince celle des finalités, les choses perdent leur sens, l'État sa raison d'être, et l'homme son chemin****. 

* En fin de rédaction de cette note, je m'aperçois que Christian Schmidt traite (en mieux!) le même sujet sous le titre "Pourquoi les politiques croient-ils encore à la rationalité?" dans le Monde du 26/10/2017.
** pour être juste il faut lui associer Cass Sustein qui a coécrit ses contributions majeures. Cf "Richard Thaler remporte le prix Nobel d'économie". Le Nouvel Economiste.fr. Publié le 17/10/2017.
*** cf La démocratie n’est pas gênante. Marcel MONIN. Agoravox.29 octobre 2017
**** Régis Debray. L'erreur de calcul. Éditions du Cerf. Le Poing sur la table. 2014

10/10/2017

PROFILAGE URGENT

Le mythe un peu éthéré de Jupiter se solidifie petit à petit, pris dans une réalité implacable. Les mythes peuvent faire rêver en transgressant les faits. Pas les hommes affrontant la dureté des contraintes du monde. O.A. Hirschmann appelait cela (après Tocqueville) la thèse d'inanité pour dire que toute révolution s'avère inutile puisque in fine elle ne change rien. Soit les remèdes sont pires que le mal, soit ils ne changent pas grand' chose.

On a tous besoin de mythes pour s'extraire de l'étreinte du quotidien, de la turpitude des autres… un moment, jusqu'à subir l'implacable mur de la vraie vie. Autant qu'il le peut, le pouvoir gère ces mythes qui lui permettent de surfer sur la vague de l'opinion et tente de rester le plus longtemps dans cette configuration. Afin d'éviter des dérives trop fortes de ce surfing, il existait avant des fous du roi, aujourd'hui des oppositions.

Hier, E. Macron maniait le nectar et ambroisie, il doit, ici et maintenant, jouer avec les vils et amers diktats des lois et budgets ainsi qu'avec les fameux "acteurs sociaux" qui ne sont pas tous subjugués.  La couleur du pouvoir voilée par un centrisme de funambule resurgit trop déséquilibrée côté libéral. La sidération macronienne passée, il faudrait impérativement que le contre pouvoir (je n'ose pas dire la gauche tellement ce serait aujourd'hui ambiguë) se mette, lui aussi, en marche. Or il est avéré qu'il ne peut exister de courant politique crédible qu'autour d'un leader affirmé et reconnu.

En vérité,  ce n'est pas dix sept insoumis, une poignée d'ex-socialistes divisés, un zeste de PC qui vont mettre en branle un mouvement sérieux faisant contre poids au raz de marée de la majorité. Selon moi ils ont plusieurs handicaps dirimants: le nombre, la défaite, le type d'opposition et, peut être avant tout, l'absence d'un véritablement leader avéré. Seul Mélenchon peut revêtir ce rôle. Mélenchon, a l'avantage d'avoir tenté une aventure qui a failli aboutir. Il a réussi (avec Macron et seulement en partie) à "dégager" les éternels politiques politiciens qui à droite, à gauche et au centre squattaient le champ électif. Il a réussi à lancer un certain nombre de voies à explorer. Mais aujourd'hui il représente, me semble-t-il, un handicap pour le renouvellement d'un mouvement viable de contre-régulation de la tendance libérale qui est au pouvoir. La qualité du personnage n'y est pour rien mais, marqué par son passé trotskiste qu'une partie de l'électorat ne peut absoudre, marqué aussi par l'épisode socialo-mittérandien qu'il ne peut effacer, il porte les stigmates du "vieux monde" tant dénoncé. Il incarne un ainsi un aporisme oxymorique** vivant! N'ayant apparemment actuellement aucun dauphin de pointure présidentielle (ou alors il faudrait le "révéler"), il s'avère urgent de lui trouver un (ou plusieurs) remplaçant susceptible de concurrencer véritablement E. Macron.

 Alors, malgré les réticences des acteurs traditionnels du monde politique, ne faut-il pas user des mêmes armes qui ont réussi à l'actuel président? Pourquoi nier l'intérêt de présélectionner un candidat compatible à la fois avec un corpus politique de gauche et avec les attentes de l'électorat selon la technique de l’analyse de données et l’exploitation des réseaux sociaux?  Il existe en France une certaine "pudeur" à ne pas reconnaître avoir recours à ces procédés statistiques évolués, même si les candidats les utilisent tout de même plus ou moins (Fillon et Mélenchon au moins ont eu recours à NationBuilder) afin de cibler les messages électoraux. Pourtant, le principe premier du marketing pose qu'on ne peut bien vendre qu'un bon produit, malgré tous les efforts déployés. Et un bon produit ce n'est pas celui qui se dit meilleur, mais celui qui est jugé tel par l'opinion. 

Une démarche dite prédictive appuyée sur un très grand nombre de données de qualité (Big Data)** s'avère aujourd'hui la façon la plus sûre de "profiler" un échantillon de deux ou trois candidats potentiels répondant aux attentes des électeurs (avouées ou subliminales) et ayant donc les meilleures chances de réussir. La technologie permet de digérer toute cette masse d'informations collectée grâce aux traces numériques laissées lors de l'utilisation d'Internet et des réseaux sociaux, de procéder au recoupement de toutes les données afin d'entrer dans un autre univers, celui des algorithmes. Que l'on se comprenne bien: le jeu consiste à construire un portrait robot (tant physique que socio professionnel) "kiffable" par une majorité de citoyens. Viendra ensuite la phase dans laquelle on cherchera des individus se rapprochant asymptotiquement du portrait dont on testera alors le "coffre", le charisme et l'empathie. Enfin au stade ultime, la motivation et la volonté feront la différence. Et au bout du bout les électeurs "kifferont" (ou non!) ce nouveau produit porteur des "qualités attendues" !

Le candidat à choisir doit être donc celui, répondant au cahier des charges, issu du data mining et non celui sélectionné sur l’affectif (il le mérite) ou selon un critère d'historicité (il est le candidat naturel...). Quand on y regarde de plus près, cette approche élimine quasiment tous les participants aux primaires (droite et gauche).

Comme ça, sans technologie, je dirais qu'il faudrait un candidat masculin, assez jeune, grand et plutôt viril, style sportif sympa et dynamique (anti Macron), exerçant un métier valorisé dans l'imaginaire collectif, vraiment clean vis à vis de la loi, n'ayant pas beaucoup de passé politique mais une histoire personnelle valorisante socialement et internationalement, parlant anglais et chinois parfaitement, diplômé mais pas trop… Laïque sans affectation (mais ce point s'avère complexe à traiter a priori dans le contexte évolutif actuel) et cultivé cultuellement. Marié, deux enfants…

Mais ce faisant, je reste "humain" en usant de motifs que j'estime raisonnables. En réalité, si l'on va au bout du "raisonnement Big Data", l'électeur croira choisir untel ou untel, voire se passionner pour lui, sauf qu'un algorithme aura "choisi pour lui son choix"! L'algorithme devient une prothèse que vous ne maitrisez pas et qui vous donne en satisfaction une position électorale préétablie en dehors de votre entendement. Une "machinerie" telle un GPS interne non objectivé.***441.jpg

Aux US le créateur de Facebook, Mark Elliot Zuckerberg, illustre parfaitement notre propos. Incarnant la réussite planétaire, ayant fait une grande école sans toutefois la terminer, placé au cœur d'une immense banque de données (ses réseaux) un mouvement d'opinion le détermine déjà comme successeur de D. Trump en exploitant les résultats d'un vaste data mining sur lesdites données. Lui se dit ni démocrate ni conservateur, gomme son origine juive, délivre des messages de bon sens, vantant la fibre solidaire et moderniste… bref joue le jeu en créant une multitude d'événements IRL (in real life, "dans la vie réelle") permettant aux sympathisants de se rencontrer et de partager "spontanément" leur enthousiasme. C'est donc déjà créer un effet boule de neige destiné à promouvoir l'opportunité "Zuck" au travers des États Unis et au delà.

 Le risque premier de cette procédure selon Thierry Giasson (Université de Laval) c'est une dilution des intérêts communs, du bien commun, dans un corpus qui est de plus en plus organisé autour d'intérêts qui répondent aux besoins, aux attentes "intimes" de catégories d'électeurs classées, profilées (analyse de sentiments ou opinion mining). Le temps des idéologies est sans doute fini dans ce processus électoral au profit de désirs, préoccupations et de répulsions individuelles compactées statistiquement. C'est hyper cynique mais hyper lucide!

Le second risque réside, à terme, dans le renversement potentiel de la logique des traces numériques par la multiplication des "masques" d'anonymat et des robots,  les réseaux sociaux devenant un vaste carnaval de Venise brouillant la signification desdites traces (Frédéric Kaplan. EPF Lausanne). 

Quoiqu'il en soit espérons, pour qu'existe un tantinet de débat équilibré dans ce pays, que le gouvernement ne se grise pas d'unanimisme, que tout cela nous donne rapidement un leader d'opposition puissamment crédible.

* problème impossible à résoudre car portant en soi la contradiction dirimante
** il faut néanmoins modérer la transposition des techniques américaines (notamment celle employée par Obama) en France du fait de l'existence de la loi Informatique et Libertés limitant la constitution de fichiers nominatifs relatifs aux opinions politiques, philosophiques ou religieuses
*** cf par exemple sur ce thème  https://www.rts.ch/la-1ere/programmes/on-en-parle/6813759-enquete-ouverte-donnez-moi-mes-donnees-.html. Je pense que c'est ce qui s'est passé pour Macron.

 

14/09/2017

L'HOMÉOSTASIE EN NUANCE DE GRIS

La phrase lapidaire (mais tronquée) de E. Macron "La France n'est pas un pays réformable" appelle plusieurs réflexions.

En effet, une fois balayés les squatters du microcosme politique, le président de la République se heurte au peu d'entrain des partenaires sociaux à le suivre, voire au mur du refus des acteurs de la vie sociale de changer la plupart les situations. D'où vient cette crispation face au changement?

La société ressemble à un nuage de cellules, plus ou moins grosses, plus ou moins souples, plus ou moins nanties, qui a trouvé un certain équilibre homéostasique (qui est la capacité de maintenir ses constantes lorsque les contraintes du milieu extérieur évoluent). C'est l'image du vol d'étourneaux qui fournit la métaphore la plus parlante. La cohésion sociale se réalise et se perpétue aussi longtemps que les rapports interindividuels demeurent liés entre eux. Et par le fait qu'il s'agit d'une stabilité mouvante (en vol).

Le gouvernement (de quelque nature qu'il soit) n'est qu'un "distributeur de rôles" dans ce jeu complexe et fragile qui tente de rendre les rapports sociaux vivables et viables. Il est garant du dosage du pseudo équilibre des situations résultantes des transactions (économiques et humaines) afin que l'homéostasie s'établissent (rétablissent) malgré les écarts individuels de dotations de biens publics et privés.

Ladite homéostasie ne veut pas dire immobilité mais le maintien d'un certain état global par l'adaptation des micro composants. Avec des situations d'apparent chaos mais qui ne représente qu'une crise d'ajustement jugée salutaire (vagues du vol d'étourneaux).

 L'effet Macron a résulté d'un rejet brutal d'une certaine gouvernance (dégagisme). Partant, la société française ne souhaite pas vraiment changer profondément son état. Au contraire elle manifeste une certaine résilience afin de retrouver une stabilité proche de l'état précédent… mais avec un espoir d'amélioration (correction) vue par le regard de chacune des cellules. Dans un monde qui nous bouscule par son instabilité, ses mutations accélérées, ses crises et les incertitudes induites, il est normal  que les stratégies homéostatiques individuelles et méso collectives s’activent et souvent s’opposent.  Plutôt que de prendre le risque de révolutionner les choses on préfère les "gérer". D'ou le constat du président.

Certains vont s'étonner (ou s'étrangler!) de cette vision: comment vouloir pérenniser une société injuste et inefficace à l'aune de l'avis proféré des acteurs économiques. Combien de chômeurs, combien de sans abris, combien de précaires, combien de sans papiers, combien de faillites, combien de fermetures d'usines…?

grisou.jpgSauf que cette vision s'avère une vision fonctionnellement inexacte. Ces états cellulaires sont en réalité insérés dans des situations "grises", plus ou moins avouables et qui font que leur situation réelle est moins pire que leur situation nominale.  Ils gèrent ! Subsides publics de toute nature, petits boulots au noir, auto production légumière, bricolage d'appoint, revenus complémentaires (locations de biens personnels, chambres, voitures- outils,…), collaboration, coopération,… toutes choses qui donnent un certain ressenti de liberté. Une sorte de zone de confort individuelle même si ledit confort s'avère en fait précaire. On peut nommer cela contrepartie désaliénante du mode de production salarié d'une part. Ou bien jeu de survie, jeu avec les lois et règlement, jeu du chat et de la souris avec la norme, la manne publique ou européenne d'autre part. Un halo d'opacité entoure les situations nommées pour constituer à la fois un objet de résistance à la rareté objective et servir de réservoir d'insatisfaction plus ou moins évoqué dans le champ politique. Souvent aussi la perte de pouvoir d'achat devient indolore, compensée par un endettement supplémentaire permis par de faibles taux d'intérêt. Soit au total une homéostasie construite de mille nuances d'économies grises jamais explicitement nommée mais que les acteurs ne souhaitent pas perdre. Les promesses n'engageant que ceux qui y croient, les cellules préfèrent surfer sur cette part d'ombre consubstantielle au capitalisme social qui est le notre que de risquer un déclassement sur l'échelle de la rareté largo sensu**. Homéostasie grise qui explique donc en grande partie la résilience dénoncée par E. Macron. Bien évidemment il existe une part maudite, celle des vrais exclus, qui n'ont pas accès à ces mécanismes "compensateurs". Les dirigeants vous diront qu'ils sont minoritaires, souvent désocialisés et, surtout, qu'ils ne votent pas. Cynisme ou réalisme on ne doit jamais oublier que notre société réelle s'inscrit dans un capitalisme socio démocrate qui vise à établir un degré supportable de barbarie.

Ainsi en est-il pour le Président.

Pour l'opposition le même syndrome se manifeste. La fameuse "classe moyenne" convoquée ne désire pas en dernière instance "casser le jouet". Débattre oui, refaire le Monde en parole certes, disserter sur un meilleur modèle pourquoi pas.  Mais rafler le pouvoir brutalement en changeant les arcanes de la cohésion sociale (même critiquable) certainement pas. Un baromètre de ce point de vue peut se trouver dans le revenu universel, vécu comme révélateur de la zone grise qui a mobilisé contre lui la majorité de cette middle class.

 La seule manière de faire évoluer l'état sociétal consiste alors à "violer" le système homéostasique pas trop et pas longtemps. Pas trop car une transformation qui ferait sauter beaucoup de méso régulations (régulations intermédiaires) risquerait de ruiner l'état stable. Il faut que la perturbation engendrée soit une perturbation admissible par le corps social, et donc par l’organisme, le système, l’objet considéré, service, famille, ... qui vont mettre en œuvre des comportements de régulation qui ont été appris pour que l’on puisse «vivre avec». L'exemple de la Syrie est illustratif de la désagrégation d'un système homéostatisque qui fonctionnait (assez) bien pour arriver à un système éclaté inviable. L'option d'un système démocratique brutalement imposé en grande partie de façon exogène s'avère mortifère pour ces sociétés de vieille complexité. L'étude des dispositifs vecteurs de cohésion sociale apprend que les sociétés humaines sont fragiles à un point tel que leur pérennité s'avère une surprise, nous dit H. Solans*.

Pas longtemps car il se passe alors une désorganisation des comportements qui risque de faire sauter la plupart des micros équilibres régissant ce lien social et qui mettent un certain délai à s'établir causant des troubles sérieux (révolte, émeutes, jacqueries).

On doit aussi évoquer la contingence de la transformation effectuée. À l'évidence si on se trouve dans une cascade de feed backs positifs pour une majorité de cellules affectées la "pilule" deviendra plus facile à admettre et à avaler qu'à l'inverse. A cette fin on parle d'état de grâce lorsqu'une série d'événements provoqués ou extérieurs valorisent les situations (réelles ou nominales).

 Voilà quelques matériaux pour lire la situation d'E. Macron. Il vérifie dans sa baisse de popularité et les difficultés qui se dessinent ce paradoxe né du non dit de la société française quant à sa part grise. Son pouvoir se résume au court délai permis par l'usage des ordonnances ou l'accumulation rapide des signaux positifs. Sinon le système se repliera sur sa position précédente (ou à peu près) et les jeux compliqués d'optimisation du degré admissible d'insatisfaction.  Il serait pour le moins inopportun de rompre trop fortement l'homéostasie new look générée par les décisions de début de mandat en laissant la résilience française digérer ce surcroit de libéralisme. Pour le meilleur et pour le pire!

Rien n’est permanent, sauf le changement (Héraclite).

  

* Soit la somme des raretés économique, financière, relationnelle et affective ressenties
** Faire société sans faire souffrir ? Les dispositifs vecteurs de cohésion sociale et leurs victimes. L'Harmattan. 2012